Le processus de parentalité

Une œuvre d’anticipation

Publié le 16/12/2010
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Crédit photo : S. toubon/« le quotidien »

UN ENTRETIEN AVEC LE Pr SYLVAIN MISSONNIER *

LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Comment vous êtes-vous intéressé à la parentalité prénatale ?

PrSYLVAIN MISSONNIER - Au début de mes recherches, j’étais essentiellement centré sur la triade mère/père/bébé, porté par la mise à jour des compétences néonatales du bébé, dont le statut est passé en l’espace de quelques années de celui de « tube digestif » à celui de « bébé-personne ». Ces données développementales originales sur le nourrisson et les interactions parents/enfant venaient s’inscrire à l’époque dans le sillage des pionniers de la psychanalyse francophone du premier âge : J. Aubry, M. David, F. Dolto, P. Mâle, S. Lebovici, M. Soulé, B. Cramer, L. Kreisler…

Ce n’est que plus tard que je me suis ouvert à une chronologie périnatale dans laquelle le anténatal occupe la place qu’il mérite dans le processus de parentalité. Et parmi les moteurs de cette transformation de ma pratique clinique et de mon regard, je citerai ma rencontre avec les usagers de la maternité, du centre d’action médicale précoce et de la pédiatrie néonatale. C’est la récurrence en postnatal du discours des parents au sujet de ce qu’ils avaient vécu en prénatal qui m’a véritablement montré la voie. Les rencontres cliniques autour de l’infertilité/PMA, de l’IVG, des fausses couches, du deuil prénatal, une recherche sur l’échographie obstétricale m’ont aussi beaucoup apporté dans la compréhension des enjeux psychiques et éthiques du diagnostic anténatal, de l’IMG et de leurs influences capitales sur les processus croisés du devenir parents et du naître humain.

Peu à peu, la constance d’une thématique m’est ainsi apparue : celle de l’incertitude. En prénatal, les devenant parents sont en effet – individuellement, conjugalement et familialement - soumis à une confrontation très éprouvante et doivent faire face à une liste accrue d’inconnus événementiels et affectifs. Or l’humain confronté à l’incertitude multiforme et omniprésente apporte une réponse privilégiée : l’anticipation, qu’elle soit comportementale, affective ou fantasmatique.

En quoi consiste cette anticipation ?

Je dirais tout d’abord ce qu’elle n’est pas dans le meilleur des cas : la prévision exacte du futur. Au contraire l’anticipation tempérée adaptative correspond à un processus de symbolisation de la diversité et de la complexité des scénarios possibles. Autrement dit, l’anticipation permet non pas de tout prévoir mais d’être préparé à rencontrer l’imprévu. De fait, il a été montré par exemple que face à une hospitalisation impromptue d’un nouveau-né, les parents qui avaient envisagé avant la naissance cette éventualité affrontent l’épreuve dans de meilleures conditions que ceux n’ayant pas cette connaissance anticipatrice. Plus encore, le rôle de ce processus dans le développement du nourrisson et de la parentalité apparaît majeur, l’anticipation naissante du bébé et les schèmes d’anticipation maternel et paternel se rencontrant dans une spirale interactive. S’y ajoute l’anticipation des soignants dont la qualité est tout aussi influente.

En quoi nous éclaire-t-elle sur la parentalité ?

L’anticipation est un fil conducteur pour la compréhension des variations tempérées et pathologiques du développement de la parentalité et de l’enfant. L’analyse de l’œuvre anticipatrice inhérente à la parentalité, de la maturation de l’anticipation chez l’enfant et de leurs interactions ouvre la fenêtre sur le jardin secret de la filiation.

Les identifications projectives parentales prénatales sont très représentatives de la tonalité contenante ou déstructurante du virtuel parental qui s’actualisera en postnatal. Et bien sûr, tous les incidents ponctuant la grossesse surdétermineront simultanément la parentalité et l’émergence de « l’identité conceptionnelle » de l’enfant selon l’heureuse expression de Benoît Bayle.

Qu’en est-il des dysfonctionnements de l’anticipation ?

L’horizon tentateur de l’anticipation, c’est bien sûr la prédiction toute-puissante qui en exprime la potentialité aliénante car elle colonise l’avenir alors que l’anticipation et l’information mesurées le négocient. À l’inverse, le refus de toute anticipation plonge dans l’ombre et fige. Dans ce contexte, la signature de l’anticipation, c’est la nature de l’angoisse inhérente. En référence avec la théorie freudienne de l’angoisse (1926), quand l’anticipation fait fonction de « signal », elle souligne sa créativité adaptative « suffisamment bonne ». Lorsqu’elle est « traumatique », elle muselle le travail de grossesse psychique, c’est un appel de détresse. On peut ainsi rencontrer des tableaux variés d’anticipation névrotique, dépressive, limite ou délirante.

L’anticipation familiale peut aussi être transitoirement paralysée par l’effraction de l’annonce d’une anomalie fœtale synonyme de handicap de l’enfant à naître, d’une possible IMG, de la survenue d’une naissance prématurée… : il faut alors souligner l’importance de la qualité de l’anticipation substitutive du soignant et de son institution qui est un marqueur fidèle de la contenance cicatrisante du cadre.

Mais il faut encore que cette anticipation soignante ne soit pas systématisée mais délivrée sur-mesure, en suppléant l’anticipation parentale sans empiétement ni emprise qui induit la dépendance et favorisent l’émergence de ce que la prévention prétend justement combattre. À cet égard, il est important de souligner que face à une angoisse « signal » parentale légitime, comme la crainte fréquente d’anomalie fœtale lors d’une échographie, toute réponse du soignant qui viendra museler la juste inquiétude (« À l’issue de l’examen, je peux vous affirmer que votre enfant est parfait ») est un obstacle au travail d’anticipation. L’idéalisation parentale d’un pouvoir soignant omnipotent est en effet une protection bien précaire.

Il faut enfin ajouter qu’actuellement le travail d’anticipation parentale est devenu beaucoup plus complexe car soumis à une tension paradoxale. D’un côté, le fœtus est devenu un patient du diagnostic anténatal, membre de la famille exposé dans l’album dès son premier cliché échographique, sujet d’une possible ritualisation en cas de deuil, survivant en néonatologie… ; de l’autre côté, l’IVG, l’IMG, la législation lui confèrent au pire, un statut de « débris humain », au mieux d’ « humain potentiel »…

Finalement, cette mise en exergue du couple incertitude/anticipation dans le travail de parentalité anténatal plaide en faveur d’une préparation à la naissance et à la parentalité interdisciplinaire et en réseau où « somaticiens » et « psychistes » partagent une stratégie d’accueil bienveillant des souffrances parentales anténatales. Et, en ces temps de menaces prédictives iatrogènes au nom de la prévention, la réflexion éthique pérenne d’un tel chantier en constitue la condition sine qua non.

* Professeur de psychologie clinique de la périnatalité, Paris Descartes, Laboratoire LPCP (EA 4056), psychanalyste (institut de psychanalyse, SPP).

Références

Missonnier S., (2009), Devenir parent, naître humain. La diagonale du virtuel. Paris, PUF.

À paraître : Cesbron P., Missonnier S., (2011), Neuf mois pour devenir parents, Paris, Fayard.

 Propos recueillis par le Dr PATRICIA THELLIEZ

Source : Bilan spécialistes