La vitamine D dans la sclérose en plaques

Une révolution en cours

Publié le 09/06/2011
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PAR LE Pr CHARLES PIERROT-DESEILLIGNY*

LE METABOLITE actif de la vitamine D, le calcitriol, se lie à des récepteurs spécifiques de la vitamine D (VDR). Ces récepteurs sont régulés génétiquement par divers polymorphismes et ils sont présents dans presque tous les organes et cellules du corps, incluant les cellules immunitaires circulantes : macrophages, monocytes, lymphocytes B et T. Une littérature considérable, avec notamment plus de 3 000 références originales parues dans les 12 derniers mois, a permis de suggérer que la vitamine D aurait un rôle immunomodulateur protecteur des affections auto-immunes (dont la SEP, le diabète, la polyathrite rhumatoïde, etc.), un effet anti-infectieux sur les virus et bactéries, une action préventive dans certains cancers, en particulier du côlon et du sein, et aussi protecteur pour le système cardio-vasculaire. Or, la quantité de vitamine D contenue dans l’alimentation est négligeable (moins de 200 UI/j) et l’ensoleillement reste donc la source essentielle de vitamine D naturelle. Les apports doivent être régulièrement renouvelés, au moins tous les mois, car les stocks de vitamine constitués en une seule prise orale (supplémentation) ou après un ensoleillement occasionnel disparaissent complètement en quelques semaines.

Il existe donc un problème majeur d’approvisionnement en vitamine D pour toutes les populations vivant au-delà des 40es parallèles Nord ou Sud (Amérique du Nord, Europe, les pays de l’ex-URSS, Nouvelle-Zélande) car, pendant plus de 6 mois par an, le soleil a une inclinaison saisonnière trop basse pour synthétiser cette vitamine dans la peau à partir des UVB. En outre, le mode de vie moderne (dans les villes, usines et bureaux) fait que la plupart des gens ne vont plus assez au soleil pendant la « belle saison », ou ne s’y exposent pas pour de multiples raisons, ou encore abusent de vêtements couvrants ou des écrans-totaux.

Nous sommes tous, ou presque, en manque de vitamine D.

La conséquence est que, dans toutes les études épidémiologiques récentes faites chez les adultes des pays tempérés, il a été montré que 80 à 90 % des sujets étaient en manque de vitamine D, pratiquement tout au long de l’année. On peut facilement vérifier le statut en vitamine D d’un sujet en dosant la 25-OH-D dans le sang, dont les normes (75-200 nmol/l) ont été établies après de multiples études métaboliques et pathologiques. Pour atteindre un taux sanguin d’au moins 75 nmol/l et, de façon optimale, la zone physiologique de 100-150 nmol/l, qui est celle des personnes travaillant à l’extérieur, il convient de prendre une supplémentation orale de 1000 à 3000 UI/j de vitamine D (ou 100 000 UI/mois), ce qui devrait maintenant être recommandé pour la population générale (2). Il n’est pas nécessaire d’ajouter du calcium (sauf chez les sujets âgés), car celui-ci, contrairement à la vitamine D, est en quantité suffisante dans une alimentation équilibrée. Il n’y a aucun risque « d’intoxication » ou d’hypercalcémie, en dehors de très rares cas de granulomatoses, en prescrivant une telle supplémentation physiologique de vitamine D.

Sur le plan épidémiologique, on sait depuis longtemps que la latitude influence la fréquence de la SEP, dont la prévalence est élevée dans les pays tempérés ou nordiques. Il a été récemment confirmé que le risque de SEP est en fait directement lié à l’ensoleillement et il paraît maintenant hautement probable que l’hypovitaminose D constitue un des facteurs de risque de cette maladie (1). Cependant, il existe bien d’autres facteurs de risque de la SEP, d’ordre génétique (en particulier certains groupes HLA) ou environnemental (infection passée au virus Epstein-Barr et tabac), et ces multiples facteurs de risque peuvent donc interagir de façon très variable d’un individu à l’autre, conduisant ou non à la maladie, avec ou sans hypovitaminose D.

L’effet curatif est en cours d’évaluation.

Il a été récemment suggéré que l’hypovitaminose D favorise la composante inflammatoire de la SEP du fait d’un défaut d’activité des lymphocytes T régulateurs qui ne refreineraient plus assez les lymphocytes T1 agressifs. La supplémentation en vitamine D améliorerait significativement ce mécanisme immunomodulateur, tout comme dans l’encéphalite allergique expérimentale (modèle animal de la SEP). On sait, de plus, que les patients ayant une SEP sont en manque de vitamine D, pour la grande majorité d’entre eux dès le stade initial de la maladie (1), ce qui a conduit d’un point de vue médical général à recommander de les supplémenter dès ce stade (3). Il existe par ailleurs un rapport linéaire entre le taux de poussées et la concentration sanguine de vitamine D dans la SEP (4). Des études de phase III évaluant l’effet curatif de la vitamine D viennent de débuter, mais elles n’aboutiront pas avant quelques années. Cependant, si on considère :

1) que l’hypovitaminose D est très probablement un des facteurs de risque de la SEP ;

2) que la vitamine D a un effet anti-inflammatoire et immunomodulateur ;

3) qu’il existe un rapport étroit entre la concentration sanguine de vitamine D et le taux de poussées dans des études d’association faites chez des patients SEP ;

4) que quelques études de phases I/II ont montré des effets bénéfiques d’une supplémentation en vitamine D dans cette maladie ;

5) que ces résultats viennent d’être confirmés dans une étude observationnelle faite sur 3 ans (données personnelles soumises à publication), il existe donc déjà de multiples arguments suggérant qu’une supplémentation systématique en vitamine D potentialise significativement les effets positifs des traitements immunomodulateurs préventifs actuels de la SEP.

*Service de neurologie 1, hôpital de la Salpêtrière, Paris.

(1) Pierrot-Deseilligny C, Souberbielle JC. Is hypovitaminosis D one of the environmental risk factors for multiple sclerosis? Brain 2010;133:1869-88.

(2) Pierrot-Deseilligny C, Souberbielle JC. Widespread vitamin D insufficiency: a new challenge for primary prevention with particular reference to multiple sclerosis. Presse Médicale 2011;40:349-356.

(3) Pierrot-Deseilligny C. Clinical implications of a possible role of vitamin D in multiple sclerosis. J Neurol 2009;256:1468-79.

(4) Simpson S, Taylor B, Blizzard L et al. Higher 25-hydroxyvitamin D is associated with lower relapse rate in MS. Ann Neurol 2010;68:193-203.


Source : Bilan spécialistes