Vol entre ciel et terre

Publié le 02/05/2001
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« L E pilote aimerait savoir si vous souhaitez qu'il se pose aux Bermudes », demande, d'une voix professionnellement calme, l'hôtesse de l'air. « Non, il n'y a pas de chirurgien cardiaque là-bas », répond le Dr Thomas Martin. Nous sommes au-dessus de l'Atlantique, et l'heure est grave.

« Reisha, ma petite patiente de quatre mois, avait choisi un mauvais jour pour essayer de mourir », raconte le Dr Martin, pédiatre et cardiologue à Antigua. « Nous avons su qu'elle avait une maladie de cœur peu après sa naissance. » Elle a d'abord fait des épisodes de cyanose à deux mois, signe d'une tétralogie de Fallot. A Antigua-et-Barduda, cela prend du temps pour organiser un bilan et une prise en charge outre-Mer. « Mais, grâce à l'aide du Rotary club et à son programme " Le don de la vie ", nous avons organisé son transport à l'hôpital pour enfants Schneider de New York. » Reisha et sa mère seront accompagnées par le Dr Martin et une infirmière de réanimation.
Trois jours avant le départ, les épisodes de cyanose se font plus fréquents et plus intenses. « Il aurait mieux valu un transport sanitaire, mais le coût est prohibitif pour les pays en voie de développement. Nous avons donc prétendu qu'elle pouvait prendre un vol commercial. »
Dans l'ambulance qui conduit l'équipée à l'aéroport, Reisha a une chute de SaO2 à 40 %. Le véhicule doit s'avancer jusque sur le tarmac et l'on embarque en ventilant au masque.
« Elle ne semblait pas aimer l'atmosphère raréfiée au-dessus de l'Atlantique et son taux d'oxygène s'est mis à baisser à 30 %. » Morphine, apnée, ventilation, remontée temporaire de l'oxygène à 95 %, puis nouvelle chute.
Bolus d'adrénaline pour élever les résistances systémiques et, théoriquement, accroître le flux sanguin dans les poumons. « Cela a marché quand l'oxygène a baissé à moins de 40 %, mais, à chaque fois, le pouls et le taux d'oxygène de Reisha n'étaient plus détectables pendant cinq minutes. C'était comme si mon cœur s'arrêtait et redémarrait quand son oxygène remontait à 95 %. Nous faisions des massages thoraciques quand nous n'étions pas sûrs. Entre deux doses d'adrénaline, la voie d'abord est sortie de la veine. Je n'ai pas eu besoin de dire à l'infirmière qu'un échec de ponction signifiait la mort de Reisha. » Au premier essai, dans l'obscurité, à 30 000 pieds, l'infirmière trouve une nouvelle voie d'abord. « C'est à ce moment que l'hôtesse de l'air nous a fait sa proposition. » La technique du bolus d'adrénaline devenant moins efficace, on commence à l'administrer en perfusion avec des injections de bicarbonate de sodium. « Une mesure désespérée, même au niveau de la mer. »
« Je ne pensais pas qu'un voyage de trois heures pouvait durer aussi longtemps. Mais, avec le masque à oxygène, l'adrénaline, le bicarbonate et la morphine, nous sommes arrivés à New York. » Là, l'équipe de réanimation a besoin de 45 minutes pour mettre Reisha en condition pour le transport en ambulance. A son arrivée à l'hôpital, sa PaO2 est à 25 torrs, son pH à 7,40. « J'étais inquiet pour son cerveau. » On l'opère en urgence (shunt de Blaylock-Taussig) ; la réparation de sa tétralogie est faite un an plus tard. Reisha a maintenant 4 ans. Elle va à l'école et son développement est normal.

« BMJ » du 21 octobre 2000, p. 993.

Dr Emmanuel de VIEL

Source : lequotidiendumedecin.fr: 6910