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Dossier

Accès aux soins

Buzyn vous fait confiance... ce que vous êtes prêts à faire

Par Camille Roux et Stéphane Lancelot et Christophe Gattuso et Amandine Le Blanc - Publié le 09/02/2018
Buzyn vous fait confiance... ce que vous êtes prêts à faire

Agnes Buzyn
GARO/PHANIE

Dans l’entretien qu’elle a accordé au Généraliste, la ministre de la Santé exhorte la profession à prendre ses responsabilités pour améliorer l’accès aux soins sur tout le territoire. Agnès Buzyn attend une implication des médecins dans les nouvelles organisations, les coopérations, l’intervention en cabinets secondaires, les délégations de tâches ou les créneaux sans rendez-vous. Les syndicats se disent prêts à s’engager. 

La liberté d’installation

Agnès Buzyn

Les incitations à l’installation n’ont pas porté leurs fruits. Cependant, plusieurs expériences étrangères ont aussi montré l’échec de la coercition, qui n’est pas la bonne réponse. Elle est simpliste. [...] Les médecins ne peuvent plus rester insensibles aux difficultés d’accès aux soins de nos concitoyens. Avec le nouveau zonage, on estime que non plus 8 % mais 18 % du territoire national est déficitaire en offre médicale !

Dr Yannick Schmitt « Les mesures incitatives ne portent leur fruit que très modérément car elles ne sont pas assez nombreuses. Il faut que le ministère change de braquet pour encourager tous les ARS à signer des contrats incitatifs car certains ne jouent pas le jeu aujourd’hui. Quant aux mesures coercitives, elles sont contre-productives. En Espagne, où il y a une régulation très forte, il y a malgré tout des disparités très importantes entre les provinces et entre territoires. Et en France, on peut quasiment superposer les cartes d’installation des professions régulées et des médecins. Le concept de responsabilité territoriale est intéressant, mais nécessite de sortir de la logique de médecin traitant. On ne peut pas maintenir ce système si plusieurs médecins sont tous responsables d’une population donnée. Mais il ne faut pas non plus aller jusqu’à la situation anglaise, où le médecin est obligé de suivre tous les patients de la zone géographique. » Président de ReAGJIR

La responsabilité territoriale

Agnès Buzyn

Nous en appelons à la responsabilité territoriale des forces vives. Celle-ci ne recouvre aucun caractère coercitif. Elle doit cependant entraîner une prise de conscience collective de l’aide que nous devons apporter à ces territoires. Notre système de santé solidaire est en grande partie financé par les cotisations sociales. Nous ne pouvons pas nous désengager, des bassins de vie entiers n’ont aujourd’hui plus accès à des médecins.

Dr Philippe Vermesch « Il en va de notre responsabilité à tous de mettre des médecins dans les territoires. Nous sommes tous dans le même bateau, remplaçants, installés, retraités... Beaucoup de praticiens vont partir à la retraite dans les 3-4 prochaines années. Nous avons déjà fait des propositions pour encourager le médecin volant ou la retraite active mais les incitations ne sont pas assez fortes. Les internes doivent davantage être formés en libéral pendant leur formation, les remplaçants être incités à s’installer et les retraités encouragés à poursuivre leur activité. Pour la retraite active par exemple, le plafond de revenus a certes été relevé à 40 000 euros, mais les praticiens cotisent toujours à fonds perdus. Les pouvoirs publics doivent nous aider à lever tous les freins ! » Président du SML 

L’exercice multisites

Agnès Buzyn

Nous sommes très favorables aux exercices dans plusieurs cabinets, secondaires ou multisites. Jusqu’à présent, l’Ordre des médecins y était plutôt réticent. Notre plan propose également de faciliter l’activité mixte (libéral-salarié). Qu’il s’agisse des fédérations hospitalières ou des libéraux, tous doivent s’organiser collectivement pour améliorer l’accès aux soins dans les zones en difficulté.

Dr Stéphane Attal « Pour proposer un projet d’accessibilité aux soins cohérent, la ministre ne doit pas hésiter à solliciter les acteurs de terrain. L’exemple de Pontarlier est transposable ailleurs, à condition de lever les freins. Les praticiens doivent payer la cotisation foncière entreprise pour chaque journée effectuée sur le site alors qu’ils rendent service à la population. Ceux qui sont retraités cotisent à fond à la Carmf sans gain de points et doivent également payer la redevance Urssaf. Les bonnes volontés, les médecins en ont mais il faut leur donner les moyens pour les mettre en œuvre. » Généraliste au cabinet éphémère de Pontarlier, président CSMF Bourgogne-Franche-Comté 

Les délégations de tâches

Agnès Buzyn

Tout n’a pas besoin d’être fait par un médecin [...]. Un certain nombre d’actes médicaux peuvent être réalisés par des paramédicaux. Un décret va simplifier les délégations de tâches. L’objectif est d’améliorer le suivi de maladies chroniques dans des bassins de vie sous-dotés. Dans certains territoires, les infirmières le font déjà, mais hors cadre. Les besoins en santé de la population sont éminemment variables. Il existe des déserts médicaux en zone périurbaine avec des populations très jeunes, des problèmes d’addiction. D’autres se trouvent en zone rurale, avec des populations très âgées, atteintes de maladies chroniques. Nous faisons confiance aux acteurs de terrain pour trouver un modèle qui y réponde.

Dr Jacques Battistoni « Je suis d’accord, un certain nombre d’actes pourraient être effectués par les paramédicaux. Mais tout cela crée des inquiétudes. Oui à des évolutions, mais attention. Si les propositions de la ministre ne sont pas accompagnées et comprises, elles pourraient générer des tensions. Définir un cadre pour la délégation de tâches sera primordial. Si des infirmières de pratiques avancées vissent leur plaque en libéral et en concurrence avec les médecins, ça ne marchera pas. Cela doit se faire dans le cadre d’une équipe de soins sur un territoire. Les infirmières formées font déjà de l’éducation au contrôle de la glycémie auprès des patients. Pour le travail sur les addictions, comme l’imagine Agnès Buzyn, un protocole de prise en charge en équipe est pertinent. » Président de MG France

La simplification administrative

Agnès Buzyn

J’ai chargé l’Igas d’une mission sur le sujet de la simplification administrative. Mon objectif est de rendre du temps médical aux médecins. Le travail en maison de santé permet une mutualisation des moyens et un gain de temps. Nous espérons que l’IGAS nous apportera d’autres pistes dans son rapport attendu en avril 2018. Les médecins doivent être recentrés sur leur vraie valeur ajoutée.

Dr Pascal Gendry « Le fait qu’Agnès Buzyn ait lancé une mission montre qu’elle s’intéresse à la qualité du travail des médecins. Les maisons de santé et le travail en équipe ont vocation à recentrer le praticien sur les soins. La MSP bénéficie d’un secrétariat, d’une coordination. Cela permet de fluidifier les parcours et de diminuer les contraintes. Des pistes sont à explorer, comme déléguer la coordination des parcours. Le médecin perdrait moins de temps à rechercher une structure médico-sociale, un spécialiste, une place à l’hôpital. Les dentistes ont des assistantes, les pharmaciens s’appuient sur des collaborateurs. On pourrait imaginer un métier d’assistant médical. Il soulagerait la tâche du médecin, ne serait-ce que pour la gestion du dossier patient, en plus du paiement, de la comptabilité. Reste la question du modèle économique, mais en mutualisant on peut y arriver. » Président de la FFMPS

La télémédecine

Agnès Buzyn

Il y a un enjeu de sécurité et de qualité. J’ai saisi la HAS pour qu’elle évalue les limites de l’exercice de la téléconsultation ou de la télé-expertise. Par son expertise scientifique, elle peut aider à cadrer ces pratiques. Il faudra accompagner le mouvement par des référentiels. Certaines situations seront très facilement transférables dans le champ de la télé-expertise et de la téléconsultation. Pour d’autres symptômes, l’examen clinique est indispensable. Ce sont ces informations que j’attends de la HAS.

Dr Jérôme Marty « La téléconsultation doit permettre de magnifier le soin pour offrir aux patients une médecine meilleure. Cependant, on doit empêcher toute exploitation commerciale. Actuellement, l’Assurance maladie restreint l’utilisation de la télémédecine quand il s’agit des médecins, alors que les ARS ouvrent grand les bras à l’exploitation de ce système par des sociétés commerciales. Tous les médecins doivent pouvoir pratiquer la télémédecine, en tout lieu et toute circonstance. Les limites qu’on leur impose sont une aberration totale. Cela va à l’inverse de ce qu’il faut pour les déserts médicaux. » Président de l’UFMLS

Les soins non programmés

Agnès Buzyn

Un défaut d’accès aux soins non programmés nous apparaît clairement aujourd’hui. Cette difficulté explique en partie l’engorgement des urgences. Nous avons chargé le Dr Thomas Mesnier, médecin urgentiste et député de Charente (LREM), de mener une mission sur cette question. Nous devrons travailler avec les syndicats médicaux sur des organisations plus performantes. Cela ne passera pas forcément par l’augmentation des amplitudes horaires. Certaines maisons de santé réservent, par exemple, des plages sans rendez-vous, ou des créneaux particuliers pour accéder
à un médecin.

Dr Jean-Paul Hamon « Nous avons conscience des difficultés d’accès aux soins non programmés. Si les pouvoirs publics veulent que les médecins accueillent convenablement les patients, il faut les aider financièrement grâce à un forfait structure digne de ce nom. Celui-ci permettra aux praticiens d’avoir un secrétariat et une coordination authentique grâce à une messagerie sécurisée. Il est tout à fait possible d’y parvenir en régulant l’accès aux urgences et en investissant dans la médecine libérale. » Président de la FMF

La permanence des soins

Agnès Buzyn

Il n’est pas du tout dans mes intentions, aujourd’hui, de revenir à des gardes obligatoires. J’ai renoué le dialogue avec les médecins, je pars sur un contrat de confiance. Je veux construire avec eux des solutions. Mais de temps en temps, des décisions plus fermes s’imposent. Les praticiens de terrain n’ont pas tous la même perception des difficultés. Ceux qui exercent en zone déficitaire sont très affectés, ceux qui travaillent en zone normalement dotée ont conscience des tensions, mais pas de l’ampleur du problème.

Dr Sayaka Oguchi « En 2001, notre syndicat avait fait grève afin que la PDS soit basée sur le volontariat et pour revoir son organisation. Même si aujourd’hui il y a un essoufflement, nous ne voulons pas revenir en arrière où à un système d’obligation déguisée. Il est nécessaire de développer les incitations financières, mais surtout organisationnelles. Aujourd’hui, il faut pouvoir redonner du temps médical aux généralistes. Cela nous permettrait entre autres de faire de l’éducation auprès des patients pour mieux gérer les situations d’urgence. » Présidente du SNJMG

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