Le 19 octobre les « AESH » (auxiliaires d’élèves en situation de handicap) étaient en grève pour faire reconnaître la précarité de leur statut, la faiblesse de leurs revenus, leurs difficiles conditions de travail, leur absence de formation, et par rebond mettaient en lumière l’immense désarroi des enfants en situation de handicap qui leur sont confiés, et le désarroi de leurs familles.
Là est peut-être l’occasion d’analyser les effets bénéfiques mais aussi parfois contre performants et pervers de la loi de 2005 sur le handicap dans le domaine de l’enfance, de reconsidérer les objectifs et les moyens à atteindre en ce domaine. Pédiatre depuis plus de 40 ans, exerçant exclusivement au sein d’une consultation de « neuro-pédiatrie » hospitalière au service du diagnostic et de la prise en charge au long cours d’enfants atteints de handicaps cognitifs, mentaux ou relationnels plus ou moins profonds d’origines diverses, ou de simples difficultés scolaires et éducatives, j’ose revendiquer une relative légitimité de terrain pour apporter ma modeste contribution à cette réflexion.
Grande pauvreté des moyens
Dépistés et diagnostiqués de façon plus ou moins précise et pertinente, le plus souvent à l’aube de leur entrée en école maternelle, parfois dans leur 2°année, trop souvent plus tard, ces enfants et leurs familles, le personnel de l’Éducation nationale, les établissements spécialisés et institutions de type MDPH CMPP et IME, et l’ensemble des professionnels de santé, font face sur le terrain -occultés par les déclarations officielles et les principes législatifs généreux mais inaboutis- à l’infinie pauvreté des moyens, à l’inadaptation des structures proposées, au gaspillage des ressources.
À l’opposé de l’objectif initial de la loi, cela tend à générer paradoxalement une démobilisation des « éducateurs » au sein des institutions, une ghettoïsation des enfants handicapés et de leurs familles, une aggravation des inégalités sociales. Cela accule l’ensemble des « éducateurs » de ces enfants à la débrouillardise, à un bricolage peu satisfaisants et à un épuisement démobilisateur.
L’aveuglement égalitaire républicain impose l’accueil d’enfants handicapés profonds - je pense notamment aux enfants de plus en plus nombreux — atteints de troubles du spectre autistiques sévères, dans des classes « normales », totalement inadaptées pour les accueillir avec un personnel, incluant les incompétents car sans formation spécifique et accaparé par les enfants « dits normaux ». Cela est la règle pour ces enfants en âge de « maternelle » qui n’ont aucune alternative d’accueil possible ; les établissements spécialisés type IME n’intégrant qu’exceptionnellement les enfants de moins de 6 ans. Les écoles réduisent le plus souvent l’accueil à quelques heures par semaine ce qui accroît le désarroi quotidien des familles, leur précarisation matérielle par perte d’emploi, leur vécu de rejet et de stigmatisation, leur sentiment d’injustice et de « double peine ». Lorsqu’après 6 ans, pour moins de la moitié d’entre eux, après avoir stagné dans une longue et déshumanisante liste d’attente, ils bénéficient d’un accueil en IME, ils subissent, ainsi que le personnel de ces institutions, l’effet « ghetto » du handicap. Ce personnel s’use et se renouvelle trop souvent du fait de leur isolement.
Imaginer des unités spécifiques
On pourrait rêver d’unités spécifiques équivalentes, de petite taille, intégrées dans des établissements scolaires normaux, avec un personnel formé spécialisé et plus performant que des AESH, souvent de bonne volonté mais incompétents en la matière. Ledit personnel spécialisé de ces microstructures intégrées s’userait sans doute moins en bénéficiant du voisinage de classes et d’enfants dits « normaux ». Ces derniers bénéficieraient de la découverte du handicap qui les inviterait de façon durable à la reconnaissance et au respect des personnes handicapées et de leur dignité. Ces structures existent : elles accueillent actuellement moins d’un enfant sur 70 dans une telle situation.
Heureusement pour les enfants, les AESH ne sont affectées que minoritairement pour des enfants en situation de handicap lourd. On assiste depuis des années, à une dérive de leurs attributions. Nombre d’enfants en « difficulté scolaire » font l’objet d’un absurde et contreproductif dépôt de dossier auprès de la MDPH avec demande d’AESH, associé à de multiples et coûteuses prises en charge externes surajoutées, auprès de « psychomotriciens, orthophonistes » souvent peu pertinentes. Ceci se fait sous l’égide du principe absurde du non-redoublement qui dénie le droit d’être différent, d’apprendre à lire, écrire et compter à une vitesse différente. Sous prétexte de la prise en compte de leurs particularités par des enseignants perplexes ou démotivés, ces enfants sont le plus souvent alors marginalisés et passent de classe en classe vers l’échec avéré. Les enseignants revendiquent à tort leur non-habilitation à accompagner de tels enfants.
Les parents d’enfants en situation de handicap ou simplement en difficulté ne sont pas « formés » a priori pour accompagner mais ils n’ont pas le choix. Les soignants et les éducateurs sont eux formés à des degrés divers. Donnons-leur les moyens humains de les assister. N’oublions pas que la « différence », le handicap, est l’affaire de tous, et sera pour la plupart tôt ou tard l’affaire de chacun !
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Exergue : La loi de 2005 sur le handicap dans le domaine de l’enfance a eu des effets bénéfiques mais aussi des effets pervers
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