Nombreux sont les Français, qu’ils soient médecins ou non, qui ont regardé l’émission polémique d’Élise Lucet concernant les déserts médicaux. Au décours de ce programme, la célèbre journaliste, qui ne mâche jamais ses mots pour trouver les failles d’un système, n’a pas hésité de prendre son bâton de pèlerin pour dénoncer la situation actuelle concernant la liberté d’installation des médecins libéraux.
Pour ce faire, elle a interviewé trois médecins généralistes : le Dr Barucq, le Dr Hamon, et enfin le Dr Olivier-Koehret. Mis à part le dernier confrère, les autres ont bien exprimé leur volonté de maintenir le système actuel de liberté d’installation. Tout aussi intéressant est de voir le rapport entre syndicat et CNAM, rapport qui visiblement penche du côté de la balance syndicale.
Au décours de ce reportage nous avons appris qu’au Canada les mesures incitatives pour permettre l’installation des jeunes en milieu rural fonctionnent (les journalistes ont, pour ce faire, mis en avant l’exemple d’une jeune consœur), et une syndicaliste hilare se gaussait dans le reportage de l’attitude frileuse des syndicalistes arc-bouté sur une position jugée d’un autre âge.
Farce journalistique
La réalité n’est pas aussi simple que celle développée dans cette farce journalistique. En regardant de plus près, nous ne pouvons qu’être surpris par la très mauvaise qualité de l’enquête menée par Élise Lucet et son équipe.
Tout d’abord, on ne peut rester quelque peu surpris par les choix des confrères qui ont réalisé les interviews. Le Dr Hamon est un vieux loup, qui n’est que le président d’honneur de la FMF (d’ailleurs je ne connais pas le président de ce syndicat), très aguerri des plateaux télévisés. Le Dr Barucq qui a des positions très particulières sur la vaccination, et représente le médecin de famille très implanté dans une ville où ses ancêtres officiaient également. Le Dr Olivier- Koehret qui a toujours défrayé la chronique par ses positions bien tranchées sur le rôle du médecin et qui avait essayé, sans réel succès, de mettre sur pied une association prônant la pluridisciplinarité. Au total l’ensemble de ces participants n’est pas nécessairement représentatif de la médecine libérale.
De plus, nous avons pu voir que les propos du Dr Hamon étaient quelque peu troublants car parmi les morceaux choisis par la rédaction (il est difficile de croire que le Dr Hamon n’ait pu discourir de cette manière), on voit notre confrère qui ne parle que d’argent et pèche par son manque patent de conviction.
Le ministre de la Santé n’a pas eu ce manque de lucidité car il a exprimé son souhait de s’exprimer uniquement en direct pour éviter toute coupe sombre pouvant le desservir. Bien entendu, notre journaliste, très irascible, a une nouvelle fois montré que les études médicales étaient très coûteuses. De cette manière, on peut sensibiliser les contribuables au fait que les étudiants sont des nantis peu reconnaissants envers la nation qui les nourrit, ce qui est bien entendu totalement faux (ayons une pensée pour tous les internes qui travaillent plus de 50 heures par semaine en étant très mal payés).
L’aparté concernant les rapports entre CNAM et syndicats reste très pathétique et totalement irréel, car depuis des années la revalorisation des médecins est un vœu pieux, et les libéraux ne voient pas de quelle manière le directeur de la CNAM ouvre les cordons de sa bourse.
Par ailleurs, le journaliste, qui ne cessait de jouer le rôle du comique troupier, était quelque peu pathétique lorsqu’il se moquait ouvertement de la pêche aux aides financières.
Ce comportement était similaire lorsque le Dr Olivier- Koehret était comparé à un équarrisseur d’abattoir (cette image est repassée plusieurs fois d’ailleurs et elle me semble tout à fait inappropriée). Tout aussi triste est l’exemple canadien choisi pour montrer que les mesures incitatives peuvent aussi intéresser les jeunes. Ce reportage oublie de mentionner que cette réussite concernant la désertification des zones rurales n’est que partielle.
De plus, la formation des étudiants dans ce pays est plus importante, et d’autre part les aides financières pour une installation en zone rurale sont bien plus importantes au Canada qu’en France. Un médecin généraliste au Canada ne reçoit pas 25 € pour une consultation, mais le plus souvent 50 € (les tarifs sont libres), ce qui est un facteur qui favorise une plus grande attraction des médecins en provenance d’autres pays.
À aucun moment, Mme Lucet n’est revenue sur les causes de la désertification en milieu rural : le numerus clausus, et la responsabilité du monde politique. D’autre part, le monde rural a beaucoup de difficulté pour trouver un médecin, mais ce constat est aussi valable pour un grand nombre de villes et de banlieues. Aussi, avant de diaboliser les libéraux (c’est pas mal avant les élections), il est fondamental de les rencontrer. Ainsi Mme Lucet pourra voir qu’ils travaillent tous d’arrache pied, et que nombreux sont ceux qui, du fait d’une charge de travail excessive sont en dépression.
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