Les médecins et les responsables politiques aux manettes des institutions sanitaires et étatiques transnationales sont attendrissants et agaçants à la fois. Ils ressemblent à ces petits enfants sur la plage que nous avons presque tous été, qui découvrent les marées, guettent les vagues et caressent l’espoir de défier la mer en érigeant des châteaux de sable. Inconsciemment inspirés par Vauban, ils déploient toute leur imagination et leur imagination architecturale, à l’aide de douves savantes et de monumentales forteresses qui s’efforcent de dépasser en démesure celles de leurs voisins.
Constatant que, quels que soient leurs efforts pour en colmater les inévitables brèches, ces constructions s’avèrent éphémères, ils ont vite fait d’en accuser une marée traîtresse, un tsunami à leur échelle, ou le manque d’ardeur et de coopération de leurs téméraires camarades pour les consolider. Ils accusent parfois ces derniers d’abandon de poste au profit d’une baignade, après s’être associés à eux pour ravager les ruines du château en le piétinant dans une fête joyeuse, un hallali désappointé mais libérateur.
Lorsque cette tour de Babel a survécu à la marée, ils sont bien obligés de s’avouer qu’ils ne doivent cette pseudo victoire qu’à une erreur de calcul qui a laissé leur édifice hors de portée des vagues, et non à leur ténacité. Ils gardent parfois l’illusion de la victoire sans en être dupes, lorsqu’une mer enfin étale a laissé subsister quelques vestiges de leur ouvrage avant de se retirer. Ils rêvent toutefois que leurs œuvres qui cherchent à terrasser la mer deviennent un jour aussi solides que les môles, digues et quais du port voisin de la plage de leur enfance, sans pour autant souhaiter que ces ouvrages de béton envahissent leur terrain de jeux favori.
Face à la pandémie, le médecin devrait faire preuve de modestie
Face à la vie, aux marées des épreuves et de leurs cortèges de chagrins et de joies, l’homme rêve d’invulnérabilité et d’éternité. Face au Covid, à une pandémie habillée de modernité destinée à se muer en endémie, quoiqu’il en coûte de ses illusions de maîtrise du risque, le médecin rêve de victoires définitives là où il devrait faire preuve de modestie et se contenter avec humilité d’espérer pouvoir protéger et soigner les plus vulnérables. Affublés de titres ronflants, d’experts en virologie, épidémiologie, infectiologie, réanimation, ils envahissent les plateaux télévisés avec la complicité envieuse des journalistes, et profèrent aussi doctement que confusément des conseils, des devises, des injonctions et des prophéties contradictoires, avec une frénésie que le désaveu imposé par l’épreuve du temps échoue à réfréner leurs rodomontades et à leur faire quitter les feux de la rampe avec modestie.
Les responsables politiques défiés par l’opinion publique et effrayés à l’idée du risque de ne pas être maintenus aux commandes de leur paquebot, que celui-ci s’appelle OMS, Europe ou France, rivalisent de discours cacophoniques pour nous annoncer le maintien ou l’érection de nouvelles lignes Maginot, dans l’intérêt de notre sécurité et de notre liberté à venir. Les gestes barrières, le gel hydro alcoolique, les tests et l’ineffable doctrine « dépister-tracer-isoler », sont autant de nouvelles lignes Maginot, de nouveaux châteaux de sable. Les vagues offensives des Panzer Covid-19 et de leurs mutants dérivés s’empressent de les contourner et de ridiculiser les responsables de cette « drôle de guerre ». Ces derniers n’osent le reconnaître ou n’en ont pas conscience. Ce sont des « hommes sérieux » qui oublient qu’ils ont été des enfants et le demeurent.
Réunis dans un louable effort, médecins, industriels et responsables politiques, ont cependant promu la conception, la fabrication et l’inégale mais large diffusion d’un vaccin, seule arme efficace pour protéger les plus faibles, comme autant de digues indispensables pour maintenir à l’abri et à flot de frêles et vénérables rafiots. Ils ont bien conscience qu’ils n’auront ni les moyens ni heureusement le désir d’ériger un nouveau « mur de l’atlantique » et de contenir tout ce qui peut voguer dans d’inexpugnables ports. Cela priverait les hommes et tous les marins en herbe de prendre la mer, d’affronter les embruns et les tempêtes, mais aussi de voyager, échanger, partager, communiquer et de découvrir de nouvelles « terra incognita ».
Il est temps de renvoyer les médecins à leur tâche, prendre soin des plus faibles. Nombre d’entre eux le font loin des projecteurs, dans l’ombre des déserts médicaux de nos banlieues et de nos campagnes. Leur permettre de témoigner en les invitant à remplacer sur les plateaux télévisés les sommités médicales autoproclamées et lassantes permettrait de leur rendre hommage et peut-être de susciter quelques vocations. Il est temps que les responsables politiques revendiquent leur sens du collectif et des responsabilités, qu’ils délaissent leurs châteaux de sable et lignes Maginot, et qu’ils travaillent ainsi ou rêvent à leur réélection. Il est temps qu’ils nous laissent reprendre la mer, ou tout simplement nous baigner une fois les vestiges de nos sempiternels châteaux de sable effacés par les vagues et nos pieds vengeurs. Vivons en harmonie avec l’endémie au lieu de nous battre contre des chimères.
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