Je vais bientôt cesser mon activité pour reprendre en province au sein d'une équipe qui se crée. Et ma question est la suivante : à quel moment prévenir mes patients ? Je voulais attendre que l'épidémie se calme un peu, mais il se trouve que je vais devoir quitter les lieux dès fin février ; plus tôt que prévu, pour un tas de raisons personnelles et familiales. En sachant que je n’ai, hélas, pas encore de successeur, car la banlieue parisienne, au même titre que les déserts ruraux, fait peur…
Alors que, professionnellement, pendant 18 ans, j'ai aimé faire de la médecine générale ici. Bien sûr, comme tout le monde, marre des papiers, demandes administratives diverses et variées – sans doute plus fréquentes ici —, des urgences, de gens pressés, angoissés. Mais cela est compensé par la confiance des patients, les kilos de chocolat, les litres d'huile d'olive, les cadeaux divers et variés et les gâteaux… Tous les gâteaux… Miam…
Être un peu leur mémoire
Écouter, examiner, traiter, orienter, réexpliquer, répéter inlassablement, jusqu’au jour où on entend : « J'ai arrêté de fumer depuis un mois » ; « Il me faudrait un certificat pour m’inscrire en salle de sport » ; ou plus tristement : « Merci docteur d'avoir été là jusqu'au bout ». Voir les familles qui évoluent, la grand-mère qui décède, la fillette qui devient maman… Avoir été là dans les bons moments, et surtout les mauvais : les deuils, la maladie de soi-même ou d'un proche, les difficultés au travail… Être la mémoire de patients parfois peu préoccupés de leur santé. Veiller sur eux comme une mère sur ses enfants, ou en bon père de famille, comme on dit dans les anciennes formules du serment d'Hippocrate.
Je me suis attachée à mes patients, comme s'ils m'appartenaient ; aux patients qui venaient me consulter, aurait été plus juste, car c'est toujours le patient qui choisit : de venir, de faire confiance, d'écouter et de suivre les conseils ou pas… Nous, on montre juste une direction qu'on estime être la meilleure.
Ma vie va continuer ailleurs. Si mes futurs collègues me lisent, ils vont se dire que j’ai l'air un peu déprimée...
Mais toutes ces diversions ne m'empêchent pas de penser à cette question : quand et comment annoncer à ses patients qu’on s'en va ? Sans culpabiliser, en les laissant sans médecin, dans une zone sans MG, pour partir dans une autre zone sans MG, mais beaucoup plus attrayante. Sans avoir le sentiment d'être un rat qui quitte le navire qui coule ? Sans avoir le sentiment de les abandonner ou de les trahir ? Choisir la vie plus facile quand eux restent dans leurs galères, leur lutte au quotidien.
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