Courrier des lecteurs

Déserts médicaux :  de si nombreuses causes...

Publié le 09/04/2021

Je partage en grande partie le point de vue du Dr Jean-Pierre Brunet (« Honte à Monsieur Lilti ? » dans « Le Quotidien» du 5 mars), en particulier l’accusation, fausse me semble-t-il, de parisianisme et d‘hospitalo-centrées des séries («Hippocrate», Ndlr) en question. Certes, ayant fait mes études à Paris j’ai été ému de revoir notre vieille fac de l’Odéon, ses amphis, sa bibliothèque Dupuytren, ses couloirs chargés d’histoire, ainsi que les pavillons de l’hôpital Raymond Poincaré de Garches où j’ai beaucoup traîné mes bottes. Cette émotion-là n’a probablement pas été ressentie par un médecin ayant fait ses études ailleurs… Ne serait-ce que dans un autre CHU parisien…

Par contre, derrière l’intrigue de ces séries apparaissait une vérité sur la vie étudiante de première année, qui n’a pas beaucoup changé, bien que j’aie connu l’époque d’avant le concours, mais où l’examen était aussi sélectif et globalement le sésame d’entrée en 2e année aussi difficile à obtenir. Seules changeaient la mentalité et l’entraide… Par contre, à l’époque, peu de QCM, méthode commode pour des corrections automatisées et rapides qui plaît beaucoup aux enseignants par le gain de temps et qui serait plus égalitaire…

Le débat est vaste, privilégiant probablement le réflexe à la réflexion et à la pensée structurée ; et probablement ayant favorisé l’apparition des algorithmes décisionnels dont il y aurait beaucoup à dire. Il est vrai que, pour un médecin, il n’est pas nécessaire d’être « cultivé », mais cela n’est pas interdit non plus, et la profession est une de celles où les disparités dans ce domaine sont les plus importantes. Ce que l’on peut regretter, c’est peut-être la sélection par le niveau en mathématiques, conséquence directe du numerus clausus. Un individu qui aurait un bac littéraire, comme moi, ne pourrait plus faire d’études médicales actuellement et pourtant mes années d’étude de langues anciennes et en particulier de Grec effectuée avant « médecine » m’ont été plus utiles dans mon métier que mon (faible) niveau en mathématiques…

Méfions-nous tout de même de l’acculturation et méfions-nous de ne pas devenir — comme cela, hélas, semble être le cas — des espèces de cyborgs, bien formatés aux algorithmes décisionnels, pouvant avoir d’autres préoccupations que la santé des patients, passifs derrière leurs écrans de téléconsultation et drogués à l’EBM sans esprit pratique ni critique.

Ce qui m’a frappé, par contre, dans la série « Hippocrate », en dehors de l’intrigue nécessaire à toute fiction est l’absence de compagnonnage des aînés vis-à-vis des jeunes internes… Signe des temps là aussi ?

Des déserts aussi en ville

Le problème des déserts médicaux mérite aussi d’être posé, mais pas en terme binaire de liberté ou non d’installation. Les déserts médicaux sont le fait, non seulement de la diminution du nombre de médecins, mais aussi de la désertification de nos campagnes et de beaucoup d’autres phénomènes. Il existe des déserts médicaux « en ville » dans certains quartiers où personne ne veut plus vivre et où personne ne songe sérieusement commencer une carrière professionnelle après 11 ans d’études pour vivre la peur au ventre.

Il existe aussi dans nos villages une telle désertification, pas seulement médicale, mais de services publics, de commerce, de transports qui font que personne ne veut plus s’y installer sans compter la baisse dramatique de la population dans ces territoires.

À l’opposé, dans l’anonymat des grandes métropoles [à Paris parfois aussi], on trouve l’équivalent de déserts médicaux avec difficulté à trouver un médecin et recours systématique à SOS médecins, aux urgences Hospitalières ou privées pour n’importe quelle pathologie et sans suivi bien entendu… le concept de « désert médical » est donc vaste !

Moi qui suis Parisien dans l’âme, j’ai exercé pendant plus de 40 ans dans une sous-préfecture de province de 45 000 habitants avec une communauté de communes de 130 000 habitants et je ne le regrette pas : vie agréable, immobilier peu cher, rythme de vie apaisant, relations humaines faciles et personnalisées. J’ai eu la chance d’exercer plus de 25 ans dans une petite clinique qui appartenait aux médecins et qui réinvestissait tous ses bénéfices pour améliorer l’outil de travail, puis est venu le temps de la politique de regroupements forcés des ARH devenus ARS, des planifications bureaucratiques basées sur des concepts erronés et dangereux comme « le grand plateau technique » et donc la venue des groupes financiers qui considèrent les médecins comme de simples prestataires de service et le personnel comme du bétail.

Attention avant de toucher à la liberté d’installation

Les jeunes médecins [chirurgiens en ce qui me concerne] n’ont pas la même vue que nous et préfèrent vivre à 45 km de leur lieu de travail voire à 80 km dans la capitale régionale… avec les problèmes que cela peut poser pour les gardes et astreintes, mais les conjoints refusent souvent de venir s’installer dans une petite ville… Pourtant il est préférable de traverser la rue (comme j’ai pu le faire) pour aller voir une urgence que faire languir l’urgentiste ou l’infirmière…

La liberté d’installation est une notion complexe et, avant d’y toucher, il faudrait y réfléchir longuement. Une obligation d’installation conduirait à des installations temporaires sans investissement humain, social ni médical et contribuerait à la diminution des vocations compte tenu des contraintes et aussi, peut-être, à des départs à l’étranger. Peut-être faudrait-il organiser des consultations délocalisées sous forme de vacations dans ces déserts médicaux…

L’individualisme qui règne dans notre profession n’est pas étranger à l’état dans lequel elle se trouve. Medice cura te ipsum !

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Dr Richard Béracassat , Chirurgien orthopédiste

Source : Le Quotidien du médecin