Courrier des lecteurs

Honte à Monsieur Lilti ?

Publié le 05/03/2021

Le Courrier des lecteurs est une des rubriques les plus intéressantes de ce journal. Point n’est besoin d’être spécialiste, professeur, membre éminent de tels ou tels syndicats, association ou institution, pour y écrire. Les opinions peuvent s’y exprimer en toute liberté, et éventuellement diverger.

C’est ainsi que dans le numéro du 12 février 2021, le docteur Benoit Barrandon, à propos d’une interview parue dans le précédent numéro, porte un jugement assez sévère («Les paradoxes de Thomas Lilti») sur celui qu’il appelle « monsieur » Thomas Lilti, lui refusant la compétence, sinon le titre, de docteur en médecine. J’aimerais donner le point de vue d’un autre médecin qui, bien que retraité, est un vrai « docteur », puisque je verse scrupuleusement une cotisation non symbolique au Conseil de l’Ordre…

En préambule le docteur Barrandon estime que les films réalisés par l’accusé donnent une vision « rétrécie, parfois erronée, notamment par une vision parisiano et hospitalo centrée ». Je n’ai pas de compétence particulière en cinématographie, mais parmi les trois films que j’ai vus, il me semble qu’il y en a un, intitulé « Médecin de campagne », qui, par définition, ne peut pas se passer dans un hôpital parisien. Les deux autres, « Hippocrate » et « Première année » se passent effectivement à Paris. Mais il fallait bien qu’ils se passent quelque part. Aurait-il fallu les situer à Rouen ou à Bordeaux, lieux de formation du docteur Barrandon, pour éviter cette accusation de parisianisme ? Quant aux qualifications « rétrécie, parfois erronée » elles ne reposent que sur un sentiment subjectif, éminemment respectable, mais qui n’appartient qu’à son auteur.

Docteur en médecine ?

Mais il y a plus grave. Le docteur, pardon, monsieur Lilti, ne mérite pas d’être considéré comme médecin. Pourquoi ? Parce que depuis dix ans il a abandonné la pratique pour se consacrer au cinéma. Pourtant il a passé sa thèse, et la Faculté lui a bien octroyé le titre de docteur en médecine. Mais depuis les années 1940, pour exercer la médecine en France, il ne suffit pas d’être docteur en médecine, il faut être inscrit au Conseil de l’Ordre. Et l’accusé ne l’est pas ! C’est cet oubli, cette négligence, ou peut-être ce refus, qui lui a fait interdire, au bout de quatre semaines, de faire bénévolement fonction de médecin dans un hôpital de Seine- Saint Denis en ces temps de Covid. Et c’est bien fait pour lui ! Il n’avait qu’à payer sa cotisation !

Mais il y a encore plus grave. Monsieur Lilti ose prétendre que les médecins ne sont pas dans l’ensemble très cultivés dans les domaines culturels et artistiques. Il est vrai que lorsqu’on va consulter un médecin, on ne lui demande pas tellement d’être cultivé, mais plutôt de savoir vous soigner. Il est vrai que les études de médecine actuelles, à base de sélection féroce sur formatage par QCM, ne favorisent pas l’ouverture d’esprit en matière culturelle. Seulement le dire, simplement le dire, constituerait, pour le docteur Barrandon un grave manquement à la Confraternité, et il invoque le serment d’Hippocrate à l’appui de cette accusation.

J’ai relu notre serment. Concernant la confraternité je n’y ai trouvé que cette phrase : « J’apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu’à leurs familles dans l’adversité. » Peut-être faudrait-il y ajouter : « Je m’abstiendrai de prétendre que certains de mes confrères n’ont pas un niveau culturel particulièrement élevé » ?

 

Mais il y a encore plus grave, beaucoup plus grave. Monsieur Lilti ose donner son avis sur les « déserts médicaux ». Il préconise de « demander aux jeunes médecins d’aller exercer pendant quelques années dans les endroits où il n’y en a pas ». Quelle intolérable atteinte au principe admirable, intangible, sacré, de la liberté d’installation ! Des médecins, bien sûr, car ni les pharmaciens, ni les enseignants, ni les militaires évidemment, ni même les notaires, n’ont une totale liberté d’installation, et ne s’en portent pas plus mal.

Qui s'intéresse aux déserts médicaux ?

Or, nous dit le docteur Barrandon, « il faut défendre la liberté d’installation, afin de ne pas créer de rancœur et de zones de médecine au rabais. » Pourquoi rancœur ? Parce que d’autres s’installeraient dans les quartiers huppés des grandes villes tandis que vous iriez dans des endroits abandonnés où l’on a tant besoin de vous ? Pourquoi « médecine au rabais » ? Le prix de la visite, de la consultation, ne serait-il pas le même qu’ailleurs ? Parce que le niveau social de votre clientèle ne vous permettrait pas de substantiels dépassements d’honoraires ? Parce que vos qualités professionnelles seraient dépréciées par le fait même que vous exercez dans une zone réputée peu attractive ? Il me paraît bien méprisant, à la fois pour les malades et pour les médecins, de considérer qu’exercer son métier dans un désert médical équivaudrait à faire de la « médecine au rabais ».

Mais que le docteur Barrandon se rassure. Jamais les médecins, jeunes ou moins jeunes, ne s’inquiéteront vraiment des déserts médicaux. Pour la simple raison qu’ils ne se sentent pas concernés. Car ceux qui pâtissent le moins des déserts médicaux, ce sont justement les médecins, qui ont toujours, lorsqu’ils sont malades, l’adresse d’un autre médecin qui acceptera volontiers de prendre en charge le « cher confrère ». Ajoutez-leur les personnalités célèbres, et vous comprendrez que la question des déserts médicaux n’intéresse que les petits, les sans grade, et aussi certains responsables municipaux clamant leur désarroi impuissant lors du départ à la retraite du dernier médecin généraliste de leur commune. Quant aux dirigeants gouvernementaux, c’est dans le numéro du 19 février que l’on peut lire : « Depuis dix ans les assauts des parlementaires (notamment ruraux) (….) sont méthodiquement repoussés par les différents gouvernements »

Oui, la liberté d’installation a encore de beaux jours devant elle. Les déserts médicaux aussi.

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Exergue : Ceux qui pâtissent le moins des déserts médicaux, ce sont les médecins, qui ont toujours, lorsqu’ils sont malades, l’adresse d’un autre médecin

Dr Jean-Pierre Brunet, Chirurgien Evreux 27000

Source : Le Quotidien du médecin