Mon cher Matthieu,
Ne vous ayant pas connu dans l’enfance, je ne me pose nullement la question de l’utilisation du pronom « tu » ou « vous », du comment faire avec vous : la confiance y étant le vouvoiement, signe de respect et non de distance, s’impose entre nous. Et vous appeler également par votre prénom, est-ce le signe d’un paternalisme ringard ou d’un « maternalisme » mal assumé ? C’est tout bonnement l’indice de notre différence d’âge, ainsi que celui de la confraternité. J’apprécie votre style direct, vos mots précis, vos écrits concis, et je suis souvent du même avis que vous ; je vous l’avoue. Mais là, vous y allez fort dans votre « foire à la saucisse » ! (Chronique Humeur parue dans Le Quotidien du Médecin n° 10057).
Ne pensez-vous pas que passer de six à dix ans, c’est pousser un peu loin le bouchon ?
Vous dénoncez l’idée de certains élus et universitaires de vouloir, demain, « supprimer » le DES en médecine générale, de raccourcir la durée des études. En fait, vous reprochez à ces décideurs ignorants de considérer les généralistes comme des « moins que rien » au niveau du zéro. Bien entendu, dans « mes années » (1973-1974), le médecin généraliste était formé en six ans. Non pas « formé sur le dos du patient » comme vous le prétendez, mais dans le respect de celui-ci et, déjà, dans le souci du « prendre soin ». Ne pensez-vous pas que passer de six à dix ans, c’est pousser un peu loin le bouchon ? Entre les deux, n’y aurait-il pas un juste milieu ? Huit ans par exemple, pour apprendre à soigner de façon cohérente en fonction des données acquises de la science (celle du moment, c’est évident).
Je peux témoigner, si cela m’était demandé, que bien qu’ayant un médecin traitant compétent (et formé longuement), mise dans un parcours de soins prétendu coordonné (et cependant devenu partiellement « fou »), je me suis retrouvée honorée d’un examen complémentaire curieux car cliniquement non justifié (un scanner thoracique), puis d’un autre en cardiologie interventionnelle (inutile pour le moment), le tout assurément conforme aux données de la science, et accompagné d’une prescription médicamenteuse à dose « normale » : donc non adaptée à mon tempérament (je pèse moins de 45 kg et tout va bien, merci !). Peut-être qu’un cardiologue, même un peu moins longuement formé mais adepte de la singularité, qui prenant le temps de me revoir et de m’écouter, aurait adapté sa prescription et laissée repartir avec les examens complémentaires appropriés…
Rendre à la médecine de ville son attractivité
Si je vous suis bien Matthieu, dans certaines spécialités, demain il suffira d’augmenter la durée des études pour être mieux soigné ? Dix ans pour le généraliste, onze ans pour le cardiologue et douze pour le pédopsychiatre qui nous manque tant ? Merci de me corriger si je me trompe dans mes calculs. Maintenir ainsi les Internes en postes comblera assurément ceux restant vacants, fera tourner l’hôpital… Y pensez-vous sérieusement ? Car sans médecins ni spécialistes plus nombreux en ville, les Urgences publiques connaîtront toujours l’embolie ! Reconnaissez votre erreur de logistique et de limitation des savoirs ! Apprendre la médecine ne se limite pas aux pratiques hospitalières et aux savoirs universitaires ! Il y en a une autre, différente : la médecine de ville attrayante et vivante, subjective et fascinante ! Il est urgent de la rendre accessible (ainsi que la médecine spécialisée en ville – merci ! ), de la faire découvrir aux internes en formation. Rendre à la médecine de ville son attractivité, c’est former des « maîtres de stage », reconnaître et valoriser leur statut. Ces réponses enfin apportées, et répondant aux besoins de soins en population générale, auront comme conséquence évidente le soulagement des services d’urgences publiques.
Personne ne vous parle d’une disponibilité 24 heures/24 ! Et je ne vous parlerai pas non plus d’un arrêt des consultations dès le vendredi à 16 h 30, samedi et dimanche inclus (sauf pour celles et ceux qui le souhaiteraient, mais il faudra être encore plus nombreux). Service public ou médecine de ville et libérale ? Bref, être médecin, ça n’est pas rien ! Il y a un soupçon de vocation dans le métier, une pincée de « penser à l’autre avant de toujours penser à soi ». Là encore, un juste milieu est à trouver entre les 57 heures hebdomadaires que nous faisions (parfois plus encore à l’hôpital) et les 35 heures aujourd’hui revendiquées.
Un point au moins où je me sens en accord avec vous, c’est de ne pas me sentir redevable ni contrainte à rembourser mes années d’études à la société. Comme beaucoup pendant ces années-là, j’avais un « petit boulot » à côté. Oui Matthieu, ouvrons à nouveau l’accès aux études de médecine à tous les milieux sociaux. Desserrons l’étau du « numerus apertus » qui n’est, au final, qu’un numerus clausus « masqué » ! Je reste convaincue que formés pendant huit ans, formés à écouter les corps – parce que, même en faisant beaucoup, l’IA ne fera jamais tout – formés à entendre leurs maux et les mots des patients, nourris de considérations éthiques, les Internes de demain, nos futurs médecins généralistes, ne seront pas formés au rabais.
Allez, à votre « foire à la saucisse » trinquons ! Et faisons aimer la médecine de ville ! Un juste milieu Matthieu, un juste milieu à discuter ensemble.
Je vous remercie de m’avoir lue, et je vous adresse l’expression de mes sentiments confraternels.
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