L’actuel directeur général de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) a présenté en janvier 2023, six mois après sa nomination, un plan d’action en trente leviers, dont l’approbation initiale par les personnels de l’AP-HP était inspirée davantage par la courtoisie que par la conviction. D’emblée, le caractère technocratique de ce plan et le niveau inégal des mesures proposées avaient suscité des réserves. Le moment est venu d’en dresser le bilan et plus largement d’examiner l’état financier et moral de l’institution.
Les déficits enregistrés ces dernières années n’ont jamais été aussi profonds, la résignation des équipes soignantes, techniques et administratives n’a jamais été aussi marquée, les affaires judiciaires n’ont jamais été aussi nombreuses.
Une course après le retour à l’équilibre
La communication officielle de l’AP-HP peine à masquer ces échecs. Dans son rapport distendu à la réalité, elle a pour souci de gommer toute aspérité, de laver toute tache. Les actions de l’institution doivent apparaître parfaites, ses initiatives formidables et son bilan merveilleux. Les reculs sont présentés comme des avancées inédites et les défaites célébrées comme des triomphes éclatants.
Le moral des troupes n’est pas bon, car elles ont l’impression de ne pas être entendues
Les mauvais résultats sont pourtant là. La part de l’AP-HP dans les déficits des hôpitaux publics est supérieure à sa part d’activité. La nouvelle direction générale est arrivée avec une aide exceptionnelle de l’État de 750 millions d’euros sur cinq ans (2023-2027). Malgré cela, les années 2023 et 2024 se sont soldées par des records de déficit (plus de 400 millions d’euros en 2024 pour un budget de 10 milliards d’euros et la dette s’est creusée en conséquence). Depuis plus d’une décennie, on court vainement après le retour à l’équilibre.
Les dirigeants actuels préfèrent accuser les décisions gouvernementales. Ils ne se posent pas la question des améliorations possibles à leur niveau, notamment la simplification d’une organisation médico-administrative illisible, source de perte de temps, y compris pour les personnels soignants, et de gaspillage. Des gains de productivité non négligeables seraient obtenus en luttant contre la réunionite, en limitant les strates administratives et en réorientant les dépenses vers les soins.
Le moral n’est pas bon
Le moral des troupes n’est pas bon, car elles ont l’impression de ne pas être entendues. Les hauts fonctionnaires qui règnent sur l’institution savent mieux que les personnes directement concernées ce qu’il convient de faire, et le démenti de la réalité ne rabat pas pour autant leur superbe.
Le moral n’est pas bon, car il est demandé aux équipes soignantes des efforts importants. Si elles les accomplissent, loin d’être reconnues et récompensées, elles s’en voient exiger de nouveaux, dans une décourageante répétition.
Le moral n’est pas bon, car les conditions de travail éloignent trop les équipes de leur présence auprès des malades. Elles sont soumises à des tâches de reporting imposées par une hiérarchie elle-même contrainte. Les plannings sont bousculés au dernier moment, les agents considérés comme des pions. Les cadres, pris entre le marteau et l’enclume, en arrivent à ne pas être toujours bienveillants. La souffrance éthique et le travail empêché sont généralisés. Les patients témoignent souvent des remarquables qualités humaines et techniques des soignants présents à leur chevet tout en constatant les innombrables dysfonctionnements qui émaillent leur parcours.
Le moral n’est pas bon enfin parce qu’il est devenu quasiment impossible de s’exprimer librement. Les pressions, les menaces, les brimades et les représailles s’abattent sur ceux qui critiquent l’état actuel de l’institution, quel que soit leur statut. Des suspensions et destitutions sont décidées après des enquêtes internes souvent téléguidées, sans possibilité de contradictoire, voire en l’absence d’enquête, et, quand elle est saisie, la justice met des années avant de se prononcer. (Le Pr Granger a été démis de ses fonctions en début d’année et dénonce une sanction disciplinaire déguisée, NDLR)
Les déboires judiciaires de l’institution se multiplient, qu’il s’agisse d’annulations de décisions administratives, de procédures disciplinaires engagées contre des personnes finalement innocentées, de harcèlement moral, de plaintes multiples la visant devant les juridictions administratives et pénales. Cette dérive répressive et cette judiciarisation s’accentuent en raison d’un enhardissement de certains « responsables », d’un climat général délétère et d’un mode de gouvernement déséquilibré depuis la loi hôpital, patients, santé, territoires (HPST) de 2009. Les mesures brutales deviennent un nouveau mode de management, alors que les autres voies de résolution des difficultés ne sont pas toujours explorées.
L’AP-HP ne sortira pas grandie de cette période : elle est devenue une institution maltraitante qui dévore ses enfants.
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