Courrier des lecteurs

Le programme santé de Marine Le Pen est-il crédible ?

Publié le 22/04/2022

Le programme de Marine Le Pen ressemble par de nombreux aspects à celui d'Éric Zemmour. Il semble plus abouti mais est-il crédible ? Son vœu général est de protéger « la complémentarité du double système de santé public et libéral », en insistant sur le maillage territorial des acteurs indépendants de la santé (médecins, pharmaciens, laboratoires d’analyses…). Ce serait une bonne chose mais c'est vague. Voyons avec plus de détails ses propositions.

Elle souhaite, d'abord, garantir la Sécurité sociale pour tous les Français et le remboursement de l’ensemble des quatre risques : maladies, accidents du travail, vieillesse et famille. Ils sont déjà pris en charge par l’Assurance maladie, donc jusque-là, rien de nouveau. Elle ne précise pas par ailleurs quelles tarifications des actes seraient actualisées, ni à quels taux seraient les remboursements, Et elle veut créer un cinquième risque de Sécurité sociale consacré à la dépendance liée à l’âge, à la perte d’autonomie ou au handicap. Mais avec quels financements ?

Dans mon livre Blouses blanches, colère noire j’ai analysé les raisons de la désertification, disparition des structures locales mais surtout changement des habitudes des jeunes médecins qui ont opté de plus en plus pour le mi-temps et le salariat. La candidate RN se fait fort de recruter plus de médecins en relevant le numerus clausus « pour éviter le recours massif aux médecins étrangers et permettre le remplacement des trop nombreux départs à la retraite prévus ». Il faudrait donc doubler le numerus clausus mais cela n’aurait d'effet que dans 10 ans… Elle veut, de plus, empêcher ou limiter le nombre de médecins étrangers. Ce serait aggraver les déserts et paralyser l’hôpital. Quant à la délégation de tâche qu'elle promet, elle se fait déjà tous les jours, les personnels soignants se formant par compagnonnage.

Marine Le Pen propose aussi de moduler la rémunération des consultations en fonction du lieu d’installation du médecin. C’est typiquement le genre de mesures qui est inapplicable. Il y a pénurie de médecins dans tous les départements et dans toutes les spécialités. Payer davantage les consultations de ceux qui sont installés à tel ou tel endroit dans telle ou telle spécialité se révélerait effroyablement complexe.

Son souhait d'instaurer un stage d’internat dans les zones concernées est pour le reste de la pure utopie, l’internat étant – faut-il le rappeler ?- une formation.

Toujours sur ce chapitre, la candidate RN entend maintenir les hôpitaux de proximité plutôt que d'organiser des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et augmenter les effectifs de la fonction publique hospitalière. Pour faire face à la pénurie de personnel soignant à l'hôpital public, elle souhaite recruter « en masse » des personnels soignants, affirmant que 30 % des postes ne sont pas pourvus. C’est exact, mais elle ne dit pas comment les former et les recruter. Il faudrait  repasser aux 39 heures au lieu de 35 pour faciliter cette transition.

La lutte contre les déficits est par ailleurs mise en avant par le RN, qui veut ainsi supprimer l’aide médicale d’État (AME), une protection santé qui s'adresse aux ressortissants étrangers en situation irrégulière et précaire, et la remplacer par une aide restreinte réservée aux soins d’urgence vitale. Il faut savoir que chaque année des dizaines de milliers d’interventions sont faites dans nos hôpitaux, sans caractère d’urgence, pour des ressortissants extras européens ; et que les règlements ne sont pas toujours exécutés.

La lutte contre les diverses fraudes à l’Assurance maladie est mise en avant, en créant notamment une carte Vitale biométrique fusionnée avec la carte nationale d’identité. Les fraudes seraient de 15 à 45 Mds€, affirme Charles Prats. Pour autant, rien ne justifie la création d'un nouveau « ministère des fraudes » cher au RN ; il suffit d'avoir la volonté de les combattre.

Et pour faire des économies sur les médicaments, la candidate voudrait instaurer une vente à l’unité afin de lutter contre le trafic et contre la revente à l’international. Cette gestion serait en réalité complexe et source d’erreurs pour les malades âgés ! Autre mesure annoncée par Mme Le Pen : accélérer et faciliter la mise en place des génériques. Ces médicaments sont certes moins chers que les médicaments princeps. Mais cela pourrait être dangereux en particulier pour les traitements hormonaux et cardiovasculaires car certains génériques n’ont pas une efficacité aussi stable. Elle promet aussi d'augmenter les financements de la recherche scientifique, notamment biomédicale, pour valoriser les technologies françaises sur la scène internationale et soutenir les start-up françaises.

La réforme des études médicales et la réorganisation générale du système sont aussi abordées. Ce sont les seules mesures qui pourraient sauver le système. Mais concernant les études médicales, le retour à la sélection et à l'élitisme est à peine esquissé. En réalité, seul le rétablissement du Concours républicain créé par Napoléon en 1802, « l'Internat des hôpitaux » supprimé en 2002, serait un bon signal. Il faudrait actuellement 12 000 internes formés chaque année. Moins de 9 000 sont admis en première année d’internat car 18 % manquaient cette année à l’appel, obligeant à inscrire plus de 200 internes étrangers.

Marine Le Pen promet aussi de supprimer les Agences régionales de santé (ARS) et veut confier la tutelle des hôpitaux aux préfets de région. Ce serait une mesure salutaire pour libérer les soins. Mais quel serait alors le rôle des maires des grandes métropoles ?

L’ensemble de ces mesures ne sera pas suffisant pour restaurer le système de santé, faute d’une réorganisation générale simplifiant les administrations et faute de revoir la formation des médecins et des internes.

Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans le « Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr .

Exergue: Rien ne justifie la création d'un nouveau « ministère des fraudes ». Il suffit d'avoir la volonté de les combattre.

Dr Bernard Kron membre de l'Académie de chirurgie

Source : Le Quotidien du médecin