Le nouveau diplôme de médecine d’urgence limite la pratique de la médecine d’urgence aux seuls médecins issus de cette spécialité. Depuis cette date, les autres médecins urgentistes officiant à l’hôpital ne sont plus autorisés à cumuler la prise en charge de l’urgence médicale avec leur propre spécialité (médecine générale, pédiatrie, cardiologie pneumologie, etc.). C’est une ineptie !
Cette décision a provoqué une diminution nette et brutale du nombre de médecins urgentistes, accentuée par un nombre croissant de départs à la retraite de praticiens qui ne sont pas remplacés et laissent des services vacants. Cela laisse craindre le pire. À titre d’exemple, la France comptait encore près de 7 000 médecins spécialisés en médecine d’urgence avant 2015 (capacitaires en médecine d’urgence) contre seulement aujourd’hui 4 400 à temps plein, avec une explosion des temps partiels et 25 % de postes vacants aux urgences. En 2021, plus de 600 services d’urgences publics ont été contraints de fermer la nuit. Certains ont disparu.
Si rien n’est fait pour inverser cette tendance, nous risquons d’assister à une désertification médicale des urgentistes se traduisant par une réduction drastique des capacités de prise en charge affectant la totalité des services d’urgence médicale présents sur le territoire : cabinets libéraux, services de garde, pompiers, cliniques, hôpitaux. Or le nombre de médecins formés chaque année (400 par an, en moyenne par promotion) est insuffisant. Et on voit mal comment les nouveaux urgentistes, essentiellement actifs dans les CHU, pourraient couvrir les besoins croissants. Faute d’effectifs, la grande majorité des services d’urgence est saturée. À l’avenir, ils seront contraints de transférer leurs patients vers les rares établissements encore en mesure d'assurer les urgences.
La tragédie du Covid a jeté une lumière crue sur le manque d’urgentistes en France. En deux ans de formation (durée de la capacité d’urgence) ces derniers auraient pu assurer le fonctionnement des services d’urgences, renforcer les équipes de réanimateurs et ainsi réduire la pression exercée par la pandémie. Rappelons que la saturation des hôpitaux, et des services de réanimation, a toujours constitué, aux yeux du gouvernement, une ligne rouge dont le franchissement précipitait la décision de confinements. Si nous avions disposé de davantage d’urgentistes, de telles mesures auraient peut-être pu être évitées.
Malheureusement, nous serons fatalement confrontés à de nouvelles épidémies, guerres, terrorisme, catastrophes climatiques et écologiques. Aujourd’hui, seuls les médecins formés à l’urgence sont en capacité de prendre en charge leurs conséquences médicales. Comment pourra-t-on traverser ces épreuves si la vaste majorité des médecins français est dans l’incapacité de prendre en charge les urgences ? En vérité, le manque d’urgentistes n’est pas seulement un problème médical, mais de sécurité nationale. Il est donc nécessaire de réfléchir, dès à présent aux solutions.
Un état des lieux préoccupant
Actuellement, il existe des spécialistes en réanimation hospitalière très compétents, mais trop peu nombreux. Et le diplôme exclusif de médecine d’urgence ne permettra pas de former suffisamment d’urgentistes pour combler ce manque. Les jeunes médecins choisissent peu la médecine d’urgence aux ECN. Et la crise du Covid a montré qu’ils avaient de plus en plus tendance à fuir cette spécialité aux conditions d’exercice très difficiles.
D’un point de vue scientifique, la formation à l’urgence médicale est parfaitement accessible aux médecins diplômés d’autres spécialités. Celle-ci demande seulement de connaître 200 questions de médecine d’urgence et de maîtriser 50 gestes techniques de réanimation.
Les médecins urgentistes généralistes assurent au quotidien une excellente prise en charge des situations d’urgence. Ce sont, depuis plus de 50 ans, les seuls capables de traiter sur le terrain, tous les types d’urgence médicale. Ils jouent un rôle essentiel : traiter l'urgence en amont, avant toute hospitalisation et partout, afin d'éviter l'aggravation de la situation médicale du patient.
Les urgences absolues ne dépassent pas 5 % et les moins graves nécessitant une hospitalisation ne dépassent pas 20 % de la totalité des urgences. Les trois quarts des interventions aux urgences hospitalières sont en réalité des « consultations de médecine générale » baptisées « urgences » au prix de l’hôpital. Non-sens scientifique, la stratégie du « tout hôpital » se traduit par un énorme gâchis économique.
En cas de catastrophe, il est nécessaire de pouvoir disposer rapidement de médecins urgentistes opérationnels. Or, le maigre module de médecine d’urgence que tous les étudiants suivent est insuffisant pour faire face à la réalité des urgences médicales.
Des rapports actuels de l’Assemblée nationale proposent la création d’une capacité de médecine d’urgence pour les médecins militaires, capacité qui est refusée en même temps actuellement aux médecins généralistes.
La vraie médecine d’urgence est une « médecine de l’extrême ». Les personnels officiant dans ces services sont quotidiennement confrontés à des situations très éprouvantes. En temps normal, et a fortiori en période de Covid, la majorité des médecins urgentistes est épuisée par son travail. Beaucoup abandonnent leurs fonctions en milieu de carrière, éreintés. Cette situation accentue encore le manque d’effectifs.
La médecine d’urgence doit redevenir ce qu’elle est
Quelles solutions adopter ? D’abord, reconnaître officiellement la valeur de la spécialisation, des compétences et de l’expérience des médecins qui détiennent déjà la Capacité nationale de médecine d’urgence ou un DESC. Ensuite, recréer un Diplôme national reconnu de médecine d’urgence ouvert à tous (Capacité ou DESC), plus simple, permettant une prise en charge des urgences en dehors du CHU. Il faut offrir la possibilité aux médecins détenteurs de ce diplôme de travailler dans tout type d’hôpitaux, ce qui évitera de mobiliser les étudiants et les retraités moins bien formés. Enfin, il convient de modifier les critères d’hospitalisation des patients. Idéalement, l’hospitalisation ne devrait plus constituer que 25 % des urgences.
Pendant plusieurs dizaines d’années, 90 % des structures d’urgences françaises ont pu fonctionner grâce aux médecins compétents qui étaient des généralistes urgentistes titulaires d’une capacité. Aujourd’hui, ces effectifs disparaissent. Cette situation a été considérablement aggravée par la crise du Covid. La catastrophe sanitaire actuelle doit donc nous ouvrir les yeux. Il est impératif de réagir au plus vite.
Certaines associations d’urgentistes ont déjà alerté des dégâts que la formation restrictive d’une médecine d’urgence exclusive provoquerait. Mais elles n’ont pas été entendues. Pourtant, la médecine de terrain pratiquée par les médecins urgentistes généralistes est indispensable.
L’immense majorité des urgences débute en dehors de l’hôpital et doit être prise en charge par des médecins généralistes urgentistes de proximité. Il faut laisser à l’hôpital la spécialité d’urgentiste réanimateur spécialisé, très compétente dans un environnement sophistiqué. En revanche, la médecine d’urgence doit redevenir ce qu’elle est par essence, une médecine de terrain et d'action. Priver aujourd’hui la nation de ses généralistes urgentistes, c’est condamner, demain, notre système hospitalier à l’effondrement.
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