Attendre des heures pour une urgence, c’est inconcevable. Perdre du temps de soins à chercher des lits, satisfaire des exigences administratives, c’est aberrant. Souffrir en soignant, c‘est dangereux. Laisser dériver la notion d’urgence, c’est injustifiable. Notre service d’urgence est défaillant. Ce diagnostic fait consensus.
Mais sur la physiopathologie du problème et donc le traitement c’est le dissensus. Pour les uns, les causes et remèdes se situent dans les moyens humains et matériels : pas assez de soignants, de lits, de services, de sous. Augmenter les salaires peut psychologiquement rendre plus tolérable la souffrance au travail mais ne change rien aux conditions d’exercice. Pour alléger la charge, il faut recruter, mais pour cela d’abord former en nombre. L’augmentation des lits d’aval est dans la même problématique.
Mettre le paquet sur les urgences n’est pas sans conséquences sur les autres secteurs du soin. En faisant un pont d’or aux généralistes pour les attirer aux urgences les Américains ont dégarni leur médecine de famille. Survaloriser urgences et soins non programmés peut nuire à la continuité des soins entendue comme la continuité relationnelle soignant-soigné et d’un projet de soins structuré.
Dans cette approche, réguler l’accès aux urgences est tabou et perçue comme une limitation de l’accès aux soins. Seul le patient définit son besoin de recours aux urgences et seul un examen clinique peut dire a posteriori si ce recours est ou non approprié. Mais peut-on oublier l’évolution sociétale du vécu du temps, de sa gestion, du besoin d’immédiateté, du soin bien de consommation, du principe de précaution sans nuance. Le risque d’un système en besoins et moyens sans fin existe.
L’autre approche du problème est différente sans nier les demandes précédentes. Le dysfonctionnement se situe d’abord dans la mauvaise utilisation des urgences, de la notion d’urgence. Réguler l’accès est indispensable. Tout patient peut légitimement ressentir le besoin d’une intervention rapide ou non programmée et doit avoir une réponse. Mais ce n’est pas lui qui définit la légitimité de la réponse. Elle peut être conseil, réintégration aux soins programmables, recours à des structures d’urgence ou sociales. Le meilleur régulateur est le médecin généraliste traitant pour ses patients qu’il connaît et qui le connaissent. Pour ceux-ci, il est le meilleur effecteur des situations qui ne relèvent pas de l’urgence immédiate ou d’un plateau technique ou qui, bien que non programmées, peuvent parfaitement devenir programmables.
Encore faut-il que le patient ait un médecin généraliste traitant et que celui-ci soit disponible pour sa patientèle et présent à son cabinet. Mais ce médecin ne peut travailler 24h/24 7j/7 ni garantir d’assumer toute urgence et doit respecter le repos de sécurité. C’est là qu’interviennent centres de régulation, urgentistes hospitaliers ou ambulatoires avec leurs personnels spécialisés, leur statut spécifique et un cadrage de mission très précis. La question est de définir pour chacun des corps du système de soins qu’elle est sa place, limite, responsabilité et organisation en matière de PDS-AMU. Une partie du problème des urgences hospitalières est la conséquence de désastreuses politiques de santé, incapables de construire un système de soins cohérent et aboutissant de fait à la déstructuration-disparition de la position du médecin généraliste traitant.
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