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Pratique avancée

Des super-infirmières à la rescousse des médecins

Par Camille Roux - Publié le 04/05/2018
Des super-infirmières à la rescousse des médecins

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GARO/PHANIE

Pour renforcer l’accès aux soins, des infirmières en pratique avancée (IPA) seront formées dès le mois de septembre. Les textes réglementaires sont parus jeudi 19 juillet (article mis à jour le 19 juillet). Après un accueil frileux de la part des médecins qui craignaient la concurrence, et à la suite de quelques modifications, le texte semble aujourd'hui faire consensus. « Les IPA ne prendront la place de personne », affirmaient les organisations d'étudiants et de jeunes médecins dans une tribune il y a quelques jours. Ces super-infirmières répondront en partie à l’enjeu des déserts médicaux en libérant du temps médical au généraliste, mais joueront aussi un rôle dans l’amélioration de la qualité des soins, en relais du médecin traitant. Le décret prévoit plusieurs domaines d'intervention : pathologies chroniques stabilisées des personnes âgées pour l’ambulatoire, oncologie et transplantation rénale. Les IPA pourront intervenir dans la prévention, le dépistage, la coordination des parcours ou encore l'évaluation et les conclusions cliniques. Le texte leur a prévu plusieurs tâches jusqu’ici dévolues aux médecins : « renouveler ou adapter des prescriptions », « prescrire des médicaments non soumis à prescription » ou encore « réaliser des actes techniques nécessaires au suivi des pathologies ». Dans tous les cas, c’est le médecin traitant qui détermine quels patients il oriente vers l’infirmière. Les IPA suivront un cursus de deux ans et devront justifier d’au moins trois ans d’expérience pour pouvoir exercer en pratique avancée. Mais quelles seront concrètement les compétences de ces praticiennes ? Si au Canada ou en Grande-Bretagne, les infirmières cliniciennes existent depuis plusieurs dizaines d’années, seulement 300 ont déjà été formées dans les universités de Marseille et Saint-Quentin en Yvelines. Elles exercent déjà par endroits, hors cadre, dans l’attente du décret qui reconnaîtra leur spécialité. Le Généraliste a rencontré Éléonore Vitalis, IPA au centre de santé de Nanterre. Elle a été recrutée pour développer la pratique avancée, suite à un appel à projets de l’ARS Île-de-France. 



« Bonjour, je m’appelle Éléonore Vitalis, je suis infirmière et spécialisée dans le suivi des maladies chroniques. » C’est ainsi que démarre chaque consultation de pratique avancée au centre de santé de Nanterre. Un peu de pédagogie pour présenter cette profession méconnue des patients. Éléonore Vitalis, 27 ans, sourire scotché aux lèvres, reçoit depuis plus d’un an des patients diabétiques que lui adressent les généralistes du centre. Salariée par la mairie, elle est déjà formée pour ce type de suivi. Après quatre ans d’exercice à l’hôpital en tant qu’infirmière en chirurgie vasculaire, elle a pris la direction de Marseille pour suivre un master en sciences cliniques infirmières. Depuis, elle attend le décret qui reconnaîtra sa formation. Grâce au projet préfiguration d'infirmiers cliniciens spécialisés (PrefICS) mis en œuvre depuis 2014 par l’ARS Île-de-France, elle consacre toutefois deux jours par semaine à l’expérimentation de la pratique avancée.


Le temps qu'Eléonore accorde aux patients évite les ruptures de soins et permet une prise en charge globale

Dr Célia Sellam
Généraliste au centre de santé

Pour l’instant, son rôle se cantonne principalement à assurer le suivi des patients diabétiques de type II. Au total, elle reçoit en consultation une cinquantaine de Nanterriens. Dès que le médecin estime que son patient a besoin d’un suivi plus approfondi, il l’oriente vers Éléonore – avec son accord. Celle-ci assure des consultations tous les trois mois et le généraliste revoit le patient pour un bilan diabétologique annuel. Entre temps, l’infirmière et le médecin se réunissent, parfois de manière formelle ou entre deux portes chaque semaine pour discuter des cas, ajuster des prescriptions, bref faire le point. Le principal avantage de cette collaboration, « c’est le temps que peut accorder Éléonore aux patients, avec une prise en charge globale. Cela permet aussi d’éviter les ruptures de soins », témoigne le Dr Célia Sellam, généraliste du centre de santé qui prépare également une thèse sur l’évaluation du suivi du diabète en collaboration avec une infirmière en pratique avancée. Visionnaire.

Prise en charge globale

L’infirmière peut en effet accorder beaucoup plus de temps à ces patients complexes, souvent polypathologiques, quand le généraliste n’a que 20 minutes à consacrer à chaque rendez-vous. Pendant près d’une heure de consultation, l’infirmière ausculte, éduque, vérifie. Avec l’aide du Dr Célia Sellam, elle a élaboré des questionnaires sur la qualité de vie du patient, son état cardiovasculaire, sa précarité, etc. La première consultation de Jacqueline (les prénoms ont été remplacés), qui a rendez-vous à 11 heures, démarre donc par une pluie de questions. « Est-ce que vous fumez ? », « Avez-vous de la tension, des douleurs articulaires ? », « Combien de repas par jour mangez-vous ? », « Depuis combien de temps prenez-vous un traitement pour le diabète ? »…

L’idée est de faire un bilan complet de l’état du patient mais aussi de déceler un éventuel manque d’observance. « Nous avons remarqué plusieurs fois que les patients ne racontent pas toujours la même chose au médecin et à l’infirmière. Cela peut signifier une peur de la maladie. Il faut donc envisager tout un travail d’éducation thérapeutique », raconte Éléonore Vitalis. Pour cela, elle peut aussi s’appuyer sur une autre super-infirmière, Ovélie Mirin, spécialisée en éducation thérapeutique, et sa meilleure amie dans la vie. « Depuis l’arrivée d’Éléonore, je suis deux fois plus de patients. Il nous arrive parfois d’assurer une consultation à deux pour ce type de patient compliqué », explique Ovélie Mirin.
 

Retours vers le généraliste

Une fois que l’infirmière en pratique avancée connaît mieux sa patiente, direction la table d’examen pour un quart d’heure d’auscultation. Elle vérifie les constantes, la sensibilité des jambes, les pieds… Ce jour-là, tout ne se passe pas comme prévu pour une autre patiente diabétique, venue à 10 heures. Bernadette, septuagénaire à la plaisanterie facile, s’allonge sur la table. À la prise du pouls, Éléonore décèle un rythme anormal et lance un ECG pour compléter l'examen. Elle sollicite ensuite le Dr Sellam pour contrôler avec elle les résultats. La patiente assure être allée il y a peu chez le cardiologue, en vacances aujourd’hui et dont elle n’a pas amené le compte-rendu à Mme Vitalis. Problème, à l’interprétation de l’ECG, le cœur de Bernadette est bien irrégulier. Le médecin et l’infirmière décident alors conjointement d’appeler une ambulance pour la patiente afin qu’elle aille faire des examens plus poussés à l’hôpital. « Dès que le cas est complexe, au-delà de mes compétences, ou que j’ai une interrogation, je me tourne évidemment vers le médecin », affirmait Mme Vitalis quelques minutes avant. Cela s’est confirmé ce matin-là.
 

QUELQUES CHIFFRES

300 infirmières ont déjà été formées ou sont en cours de cursus en pratique avancée.
30 % exercent actuellement en ville, contre 70 % à l’hôpital, sans cadre réglementaire. En ambulatoire, elles exercent principalement comme salariées dans des centres de santé. Le futur décret prévoit d’ouvrir cette pratique au libéral. Dans les MSP, par exemple, elles pourraient être rémunérées grâce à l’accord cadre interprofessionnel.
> 2 ans de formation en master seront nécessaires pour obtenir le diplôme d’État de pratique avancée.
 

Changer ses réflexes

Outre le suivi de patients diabétiques, Éléonore Vitalis est aussi mise à contribution dans l’accueil des soins non programmés. Lorsque les plannings des généralistes sont remplis et qu’un patient se présente pour une urgence, elle offre un premier rempart. « Chaque personne n’a pas la même notion de l’urgence. Éléonore permet d’en apprécier le degré réel. Si rien ne presse, elle rassure le patient et lui prend un rendez-vous pour plus tard. Si l’urgence est avérée, elle sollicite directement un généraliste sur place », explique le Dr Véronique Bonfils, l’une des cinq généralistes au centre de santé de Nanterre. Elle a accueilli avec beaucoup d’enthousiasme l’arrivée d’une infirmière en pratique avancée, même si elle avoue que le réflexe de lui adresser des patients a mis du temps à s’installer. « Il faut apprendre à penser autrement notre pratique et ça prend du temps. Chacun doit trouver sa place dans cette nouvelle configuration. En tout cas, les patients suivis sont très satisfaits », complète celle qui exerce ici depuis plus de 20 ans. Selon elle, le diabète est une pathologie tout à fait adaptée à cette double prise en charge médecin-infirmière car « il y a énormément de choses à vérifier, de comptes rendus à prendre en compte ».

Coordination et orientation

Éléonore Vitalis a en effet un véritable rôle de coordination. Elle classe les examens biologiques, complète les dossiers médicaux, et oriente même le patient vers le spécialiste. En consultation, elle prend d’abord connaissance des dernières prises de sang et examens urinaires de Jacqueline, puis entre les données dans le serveur. Un coup de pouce administratif apprécié par ses collègues médecins, notamment le Dr Bonfils, qui pointe du doigt la pile de courrier qui s'entasse sur son bureau et qu’elle doit encore rentrer informatiquement. L’infirmière vérifie aussi que sa patiente honore ses rendez-vous chez le cardiologue, le pneumologue, le dentiste, le podologue. « J’ai essayé de prendre rendez-vous chez le podologue, mais je n’arrive pas à joindre le secrétariat », se désole Jacqueline, essoufflée par une allergie au pollen. L’infirmière la rassure alors en adressant un mail directement au cabinet de podologie pour prendre un rendez-vous. Un accompagnement du patient que le généraliste n’a souvent pas le temps de faire.

Confiance et communication

Les généralistes se déplacent de moins en moins. Les IPA pourraient pallier ce manque

Dr Aurélien Denarié
Généraliste au centre de santé


La prise en charge pluridisciplinaire s’invite aussi directement au domicile du patient à Nanterre. L’infirmière en pratique avancée accompagne régulièrement les généralistes en visite, pour mieux les connaître et établir une confiance mutuelle avec le praticien mais aussi la patientèle. Pour le Dr Aurélien Denarié, généraliste dans le centre de santé depuis 2016, les omnipraticiens pourraient très bien s’appuyer à l’avenir sur les infirmières en pratique avancée pour se rendre chez les malades. « Les généralistes se déplacent de moins en moins par manque de temps. Elles pourraient très bien répondre à cette demande de la population », estime-t-il. Pour lui, le succès de la collaboration avec Mme Vitalis est dû à la bonne communication qu’elle a instaurée avec les professionnels. « Dès qu’elle est arrivée, elle nous a expliqué le contenu de sa formation, ses compétences… C’est quelque chose de nouveau pour nous. On ne nous forme pas à cette collaboration pendant les études médicales », ajoute-t-il. La pratique avancée doit donc se donner le temps d’entrer dans les mœurs des généralistes. Alors docteur, à vos marques, prêts ? Déléguez !

Cécile Fournier* : « La collaboration médecins-infirmiers se construit »

Une autre collaboration médecin-infirmière, Asalee, existe depuis 2004. À quoi peuvent s’attendre les infirmières en pratique avancée dans la relation avec le médecin ? 
La collaboration médecin-infirmière se construit. Il faut du temps pour faire connaissance, échanger sur les patients, bien comprendre comment fonctionne l’autre. Les infirmières disent qu’il faut un an voire deux pour arriver à collaborer de manière satisfaisante. Certains médecins entrent dans le dispositif sans être conscients de ce que cela représente. Finalement, ils n’ont pas tous vraiment envie de collaborer ou n’ont pas conscience des compétences des infirmières. De ce fait, ils leur adressent peu de patients. Il existe autant de façons d’utiliser les protocoles que de binômes infirmière-médecin, tout dépend de ce qui est convenu, et cela évolue au fil de la collaboration. 

* Maître de recherches à l’Irdes, co-auteure d’un rapport sur le dispositif Asalee. 


La pratique avancée au centre de santé de Nanterre :



Reportage réalisé par Camille Roux

Camille Roux