SARM, BLSE : C’EST DIFFÉRENT
On peut s’en réjouir : les infections à staphylocoque doré résistant à la méticilline (SARM) sont maintenant contrôlées grâce aux mesures d’hygiène telles les solutions hydro-alcooliques et autres conseils émanant des comités de lutte contre les infections nosocomiales. Pourtant, dans le même temps, la diffusion des entérobactéries productrices de β-lactamases à spectre étendu (BLSE, c’est-à-dire résistantes aux céphalosporines de 3e génération) explose (voir fig. 1). Cela peut sembler incompréhensible car, dans les deux cas, il s’agit d’une transmission croisée par la même voie manuportée.
Comment est-ce possible ?
30% de la population est porteuse de staphylocoque doré résistant à la méticilline au niveau cutanéo-muqueux (nez, plis inguinaux et axillaires), avec une clairance de 3-4 mois. Le support de sa résistance est vertical, c’est-à-dire chromosomique : transmission de la bactérie-mère à la bactérie-fille.
Il n’en est pas de même pour les bactéries BLSE : tout d’abord, le portage est digestif, ce qui sous-entend une population beaucoup plus importante que celle portée par la peau. La clairance n’est pas connue : « pour certains, BLSE un jour = BLSE toujours ! », a commenté le Dr Lescure compte tenu des 400 m2 de surface villositaire qu’il semble utopique d’épurer. Tout traitement antibiotique augmente la densité du portage de la résistance, d’autant que son support est horizontal, plasmidique, capable de passer d’une bactérie à l’autre, y compris d’une espèce à une autre (voir Fig. 2).
UNE MALADIE PLANÉTAIRE
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Les BLSE en ville représentent déjà en France 5 % des infections urinaires [3]. À l’hôpital, la proportion des souches BLSE a décuplé en 10 ans. Et ailleurs dans le monde ? « À Bangkok, 70 % de la population, en ville, est porteuse de BLSE ; si vous consultez pour une pyélonéphrite, vous serez sous Tienam® », nous apprend le Dr Lescure. Plus près de chez nous, une étude retrouvait 70 % de Klebsielle BLSE dans les infections urinaires à Milan en 2014 [22].
Il s’agit d’une crise sanitaire majeure : « On doit recycler de vieux antibiotiques comme la colistine qui est néphrotoxique et diffuse mal ; son élimination est rénale, ce qui fait qu’elle fonctionne correctement sur les infections urinaires, moins dans les pneumopathies, mais pas du tout dans les arthrites septiques ». Il fallait s’y attendre : la résistance à la colistine (gène MCR1) a été identifiée fin 2015 en Chine [17]… Là-bas, la colistine est utilisée dans l’élevage –en prévention de la diarrhée du porc, chez des animaux non BLSE-, à raison de 10 millions de tonnes par an. Problème : le gène MCR1 étant plasmidique, il a été transmis en 1 an à des bactéries BLSE…
► Selon le Dr Lescure, les pays du Sud sont impliqués à plusieurs niveaux dans l’émergence des résistances :
- les antibiotiques sont en vente libre et consommés sans contrôle ;
- nos antibiotiques sont fabriqués dans les pays émergents. Tout l’environnement autour de l’usine s’en retrouve contaminé : « En Chine, la concentration des antibiotiques dans les rivières dépasse la concentration dans l’organisme d’un humain ! » ;
- l’absence de traitement correct des eaux usées favorise la transmission des bactéries et de leurs résistances (péril fécal).
► La diffusion des BLSE peut aussi être considérée comme une maladie du voyageur : un travail [4] sur des voyageurs (indemnes de BLSE avant leur départ) montre qu’après un séjour en Asie, 72,4 % sont devenus porteurs contre 47,7 % de ceux partis en Afrique et 31,7 % de ceux partis en Amérique du Sud, soit un taux d’acquisition global de 51 %. Un voyage dans ces régions doit donc être considéré comme un facteur de risque de portage de BLSE. Qu’on se rassure, au bout de trois mois, 90 % de ces voyageurs sont décolonisés… en l’absence d’antibiothérapie dans l’intervalle, en tout cas.
► Alors, que penser de l’agriculture biologique où les poulets portent la mention « élevés sans antibiotique » ? Hélas, ces volailles portent autant de résistance aux antibiotiques que les volailles conventionnelles (25 % des poulets sur les marchés étant BLSE…) via l’eau, qui ne peut être stérile. Pour la même raison, 80 % des fruits et légumes, bios ou non, sont porteurs de bactéries résistantes [18]. « On retrouve même des gènes de résistance dans le rectum des ours polaires ! », précise Xavier Lescure, s’appuyant sur un travail [5] de 2010.
PRÉSERVER LE MICROBIOTE
La composition du microbiote varie en fonction de l’âge. L’humain est stérile jusqu’à la naissance, puis acquiert son microbiote en 2-3 ans en raison de l'ingestion du microbiote de la flore vaginale par le nouveau-né lors du passage par voie vaginale. Le microbiote d’un enfant né par voie basse est très différent de celui qui naît par césarienne [23]. Il en est de même selon le mode d’allaitement : le nouveau-né allaité par sa mère développe une flore particulièrement riche en Bifidobacterium alors que celui qui est nourri au lait de vache adapté aura une flore significativement moins riche en Bifidobacterium et une plus grande richesse en bactéries de type Clostridium[23] . On pense que ce microbiote précocement constitué nous conditionnera à très long terme.
Par exemple, on a identifié que les sujets qui ont reçu une quantité importante d’antibiotiques avant deux ans étaient davantage obèses, ce qui laisse supposer que le microbiote n’a pas pu définitivement se constituer et/ou que sa résilience n’est pas totale. « L’impact à long terme de l’antibiothérapie chez le nourrisson est une vraie question», selon le Dr Lescure.
► La composition du microbiote varie également en fonction de la localisation géographique liée à des facteurs génétiques +/- des facteurs environnementaux.
L’antibiothérapie diminue la diversité bactérienne du microbiote en sélectionnant les bactéries résistantes. « Si on donne une C3G à un porteur de BLSE, il ne portera plus que des BLSE. » Dans un second temps, les bactéries résistantes pourront proliférer, surtout si la transmission est plasmidique. Sans antibiothérapie, un contact BLSE sera détectable pendant 1 mois, contre 6 voire 12 en cas d’antibiothérapie. Cela explique par exemple qu’un traitement par fluoroquinolone doit être évité si cette classe a été utilisée dans les 6 mois précédents [6]. « En antibiothérapie, il faut toujours penser au coup d’après ! » Après antibiotique, le microbiote se reconstituera (phénomène de résilience) « sauf en cas d’antibiothérapie dans les deux premières années de vie, car le microbiote n’est pas encore installé solidement ».
Quid des probiotiques [21], qui pourraient logiquement diminuer la dysbiose et augmenter la résilience ? « On manque d’essais, répond le Dr Lescure. En tout cas, concernant les entérocoques résistant à la vancomycine, chez la souris et l’homme, ils sont sans effet [20]. » En revanche, la transplantation fécale a montré une belle efficacité dans les infections à Clostridium difficile…
QUELS CONSEILS POUR LA PRATIQUE ?
Le microbiote est constitué à 70-75 % de bactéries anaérobies strictes, dont 20 % de Bacteroides. « Bacteroides est l’architecture de la biodiversité intestinale […], il faut absolument s’efforcer de ne pas “taper” sur cette flore dominante anaérobie sans quoi on augmente considérablement la diffusion plasmidique des résistances ».
Les principes à connaître concernant le choix de l’antibiotique
1. La destruction des anaérobies est extrêmement rapide [19] avec amoxicilline+acide clavulanique, métronidazole, clindamycine et piréracilline+tazobactam. Ces antibiotiques ne sont absolument pas anodins concernant la diffusion des résistances. Le spécialiste est particulièrement engagé contre l’association amoxicilline+acide clavulanique, qui représente 24 % des prescriptions de ville [14]. Selon lui, les indications justifiées de cette association sont relativement rares, « y compris dans les pneumopathies d’inhalation. La fièvre après une inhalation est normale, c’est un SIRS – syndrome inflammatoire de réponse systémique –, dont l’origine est chimique. Si la fièvre persiste, il peut s’agir d’une surinfection, auquel cas l’amoxicilline seule suffira car il n’y a pas d’anaérobies stricts dans le haut du tube digestif ».
2. Il existe très souvent une résistance croisée aux C3G et aux fluoroquinolones, car la résistance est souvent portée par le même plasmide.
3. Un antibiotique à élimination urinaire préservera davantage le microbiote que si l’élimination est digestive. Par exemple, à spectre antibactérien identique, le céfotaxime (Claforan®), dont l’élimination est urinaire, respecte davantage le microbiote que la ceftriaxone (Rocéphine®), dont l’élimination est mixte (urinaire et biliaire).
4. La tendance va également au raccourcissement des antibiothérapies : 5 jours pour les exacerbations de BPCO nécessitant des antibiotiques, 7j pour les pneumopathies nosocomiales, voire bientôt 5 (sinon 3 ?) pour les pneumopathies aiguës communautaires [9-13] ?
Succédant à « les antibiotiques, c’est pas automatique », la dernière accroche de la SPILF [7] est « les antibios, juste ce qu’il faut ». Les médecins peuvent même s’engager en signant une « charte d’engagement au juste usage des antibiotiques »… hélas uniquement disponible en version hospitalière [8].
Bibliographie
1- Lescure X. Le microbiote intestinal, nouvel organe et épicentre de la résistance bactérienne. Quelle application en médecine courante ? Les jeudis de Paris Diderot. Paris, le 2 février 2017.
2- Kraker MEA, Davey PG, Grundmann H, on behalf of the BURDEN study group (2011). PLOS Medicine 8(10): e1001104.
3- Levent T. Faut-il avoir peur des bactéries? Diaporama disponible sur http://slideplayer.fr/slide/1305050/
4- Martin D et al. Bull Epidémiol Hebd. 2016;(24-25):414-8.
5-Ruppé E, Armand- Lefèvre L, Estellat et al. Clin Infect Dis. 2015 Aug 15;61(4):593-600.
6-Glad T, Bernhardsen P, Nielsen KM. BMC Microbiol. 2010 Jan 14;10:10.
7-Haute Autorité de Santé, SPILF. Pyélonéphrite aiguë de la femme. Fiche mémo. Novembre 2016.
8-SPILF. Les antibios, juste ce qu’il faut.
9-SPILF et FHF. Charte d’engagement des médecins au juste usage des antibiotiques.
10-Li JZ, Winston LG, Moore DH, Bent S. Am J Med. 2007 Sep;120(9):783-90.
11-El Moussaoui R, de Borgie CA, van den Broek P et al. BMJ 2006 Jun 10;332(7554):1355.
12-Hazir T, Qazi SA, Nisar YB et al. Archives
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Childhood. 2007;92(4):
291-297.
13-Greenberg D et al. Pediatr Infect Dis J. 2014 Feb;33(2):136-42.
14-Spellberg B. JAMA internal medicine.
15-ANSM. Evolution des consommations d’antibiotiques en France entre 2000 et 2015. Rapport du 10/01/2017.
16-Mitsuoka T. Nutr Rev. 1992 Dec;50(12):438-46.
17-InVS, CCLIN Paris-Nord, Réseau Raisin. Surveillance des bactéries multiresistantes dans les établissements de santé français. Données 2012.
18-Liu YY, Wang Y, Walsh TR et al. Lancet Infect Dis. 2016 Feb;16(2):161-8.
19-Ruimy R, Brisabois A, Bernede C et al. Environ Microbiol. 2010 Mar;12(3):608-15.
20-Buffie CG, Bucci V, Stein RR et al. Nature. 2015;517(7533):205-208. 21-Vidal M, Forestier C, Charbonnel N, Henard S, Rabaud C, Lesens O. Journal of Clinical Microbiology. 2010;48(7):2595-2598.
22-Ouwehand AC, Forssten S, Hibberd AA, Lyra A, Stahl B. Probiotic approach to prevent
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23- European Centre for Disease Prevention and Control. Antimicrobial resistance surveillance in Europe 2014. Annual report of the EARS Stockholm: ECDC; 2015.
24- Goulet O. J Pediatr Pueric 2009 ; 22:102-106.
25- Armand-Lefèvre L. Journal des Anti-
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http://dx.doi.org/10.
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26- Dortet L et al. Journal des Anti-infectieux 2016 déc ; 18 (4) : 139-159.
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