Efficacité et acceptabilité comparatives de 21 antidépresseurs dans le traitement des adultes souffrant d’un épisode dépressif aigu caractérisé : revue systématique et méta-analyse en réseau
Cipriani A, Furukawa TA, Salanti G, et al. Comparative efficacy and acceptability of 21 antidepressant drugs for the acute treatment of adults with major depressive disorder: a systematic review and network meta-analysis. Lancet. http://dx.doi.org/10.1016/ S0140-6736(17)32802-7.
CONTEXTE
L’épisode dépressif “majeur” (caractérisé en français) est de loin au premier rang des pathologies psychiatriques prises en charge en soins primaires, et sa prévalence augmente avec la taille et le vieillissement des populations (1). En France, 10 principes actifs de classes pharmacologiques et de mécanismes d’action “différents” disposent d’une AMM dans cette indication, ventilés en 356 spécialités pharmaceutiques.
Cependant, l’intérêt thérapeutique des antidépresseurs (ATD) est l’objet de controverses infinies, liées à une efficacité modeste à court terme, à une balance bénéfice/risque à long terme insuffisamment évaluée et à une argumentation scientifique fragile faisant d’eux un mythe basé sur des preuves « scientifiques » issues de milliers d’essais randomisés incertains car biaisés (2). Devant l’abondance des ATD disponibles, il est légitime de s’interroger sur leur efficacité et leur tolérance comparatives. En 2009, les auteurs du présent travail ont publié une première méta-analyse concernant 12 ATD de seconde génération. Elle suggérait que l’escitalopram (Séroplex®) et la sertraline (Zolof®) disposaient du meilleur ratio efficacité/effets indésirables (3), ce qui n’était ni le cas d’une synthèse basée sur les rapports d’études déposés auprès de la FDA (4), ni de celui d’une autre méta-analyse très bien documentée (5). Au total, de sérieux doutes persistent sur l’efficacité des ATD vs placebo et les données comparatives directes sur les ATD entre eux sont réduites, dispersées, voire non publiées.
OBJECTIFS
Évaluer l’efficacité et l’acceptabilité de 21 antidépresseurs versus placebo et versus comparateurs actifs (dans leurs essais de comparaison directe) chez des patients adultes souffrant d’un épisode aigu de dépression caractérisée.
MÉTHODE
Revue systématique de la littérature y compris les essais non publiés et méta-analyse en réseau. Les essais éligibles devaient être randomisés en double insu et comparer un ATD au placebo (comparateur commun indirect) chez des patients déprimés diagnostiqués à l’aide d’outils psychométriques validés. Les essais randomisés en double insu comparant directement les ATD entre eux ont également été répertoriés et synthétisés. Chaque essai a indépendamment été évalué par un binôme d’auteurs et les désaccords arbitrés par un panel de quatre autres chercheurs. Les risques de biais ont été estimés à l’aide du Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions, et la qualité des preuves par l’outil GRADE.
Le critère principal d’efficacité était le taux de réponse à 8 semaines, définie comme une amélioration d’au moins 50 % sur l’échelle de dépression prioritairement utilisée dans l’essai, avec imputation multiple des données manquantes. Le critère principal d’acceptabilité était le taux de sorties d’essai à 8 semaines, quelle qu’en soit la cause. L’analyse statistique a été faite à l’aide d’un modèle à effet aléatoire spécifique aux méta-analyses en réseau sur les données des groupes. Les résultats sont présentés en odds-ratio (OR) pour les critères dichotomiques et en taille d’effet (SMD) pour les critères continus. La taille d’effet (effect size, ou SMD – Standard Mean Difference) est un outil de mesure continu standardisé qui considère qu’entre 0 et 0,19, l’effet est négligeable, entre 0,20 et 0,39 faible, entre 0,40 et 0,59 modéré, entre 0,60 et 0,79 important, et entre 0,80 et 1 très important. Pour ne pas encombrer inutilement cet article, les résultats portant sur les ATD n’ayant pas d’AMM en France ne sont pas présentés.
RÉSULTATS
Sur 28 552 références répertoriées, 522 essais concernant 21 antidépresseurs répondant aux critères de sélection ont été retenus (116 477 patients). Un peu plus de 58 % des essais étaient versus placebo (figure 1). L’âge moyen des patients était de 44 ± 9 ans et 62,3 % étaient des femmes. La majorité souffrait d’un épisode dépressif caractérisé modéré à sévère avec un score moyen sur l’échelle de dépression de Hamilton de 25,7 ± 3,97. La plupart des essais étaient à risque de biais modéré et la qualité des preuves allait de modérée à faible.
→ Sur le critère principal d’efficacité (taux de réponse), tous les ATD étaient significativement supérieurs au placebo, avec des OR variant de 1,37 à 2,13. La taille d’effet moyenne était de 0,30 ; IC95 % = 0,26-0,34 (faible). Par ordre décroissant, l’ATD le plus efficace était l’amitriptyline (Laroxyl®, OR = 2,13), suivie de la mirtazapine (Norset®, OR = 1,89) et de la duloxetine (Cymbalta ®, OR = 1,85).
→ Sur le critère principal d’acceptabilité, les seuls ATD ayant significativement moins de sorties d’essai que le placebo étaient l’agomélatine (Valdoxan®, OR = 0,84) et la fluoxétine (Prozac®, OR = 0,88). Sur ce critère, tous les autres ATD n’étaient pas significativement différents du placebo, sauf la clomipramine qui provoquait significativement plus de sorties d’essai (Anafranil®, OR = 1,30).
→ La synthèse des essais de comparaison directe a montré que 7 ATD : agomélatine, amitriptyline, escitalopram, mirtazapine, paroxetine (Deroxat®), venlafaxine (Effexor®) et viortoxetine (Brintellix®) étaient significativement plus efficaces que leur comparateur actif, alors que la fluoxétine et la fluvoxamine (Floxyfral®) l’étaient significativement moins. Au total, en considérant l’efficacité de chaque ATD ajustée sur son acceptabilité, l’agomélatine, l’escitalopram et la viortoxetine avaient le meilleur ratio efficacité/acceptabilité, convoitant ainsi un possible premier choix (6).
COMMENTAIRES
Ce travail de titan est méthodologiquement et biostatistiquement remarquable. En particulier, la revue de la littérature a été particulièrement exhaustive et a recruté de nombreuses données non publiées (17 % des essais inclus). Ses principales limites sont le délai d’évaluation des critères de jugement (8 semaines c’est peu dans l’histoire naturelle d’un épisode dépressif) et l’analyse des données par groupes et non pas individuelles, ce qui ne permet pas de définir un profil de patient le plus susceptible de bénéficier d’un ATD particulier, ni celui qui est exposé à la mauvaise tolérance d’un autre ATD.
→ Lorsque les médicaments d’une classe thérapeutique sont nombreux, il est légitime de se poser la question du plus efficace, du mieux accepté ou du meilleur rapport efficacité/effets indésirables. Malheureusement, malgré ses efforts, ce beau travail ne permet pas de répondre clairement à ces questions. Les OR des différents ATD de cette méta-analyse en réseau sont très proches, et les différences observées entre les ATD vs placebo peuvent aussi bien être liées à une réelle différence d’efficacité entre eux qu’à une différence des populations incluses dans les essais. Par exemple, les ATD sont considérés comme d’autant plus efficaces (vs placebo) que la dépression est sévère, alors qu’en réalité ce n’est pas l’ATD qui est plus efficace, mais le placebo qui l’est moins, ce qui augmente la différence d’efficacité entre les groupes (7). Par ailleurs, quels que soient les OR des différents ATD, la taille d’effet moyenne (0,30) est comprise entre négligeable et faible.
→ Pour l’anecdote, cette méta-analyse en réseau suggère que les 3 antidépresseurs ayant le meilleur ratio efficacité/acceptabilité sont l’escitalopram, l’agomélatine, et la viortoxetine. En France, les deux derniers ATD cités sont les seuls à ne pas être remboursés à 65 % pour cause de SMR faible (15 %) attribué à l’agomélatine et modéré (30 %) attribué à la viortoxetine par la Commission de la transparence en 2015.
→ En pratique, comme les ATD sont grosso modo équivalents en termes d’efficacité et qu’il est impossible de prédire lequel sera le plus adapté à un patient donné, la tolérance est un critère de choix pertinent malgré son caractère aléatoire. Par ailleurs, les ATD ne sont pas indispensables en cas d’épisode dépressif léger. L’écoute bienveillante et la qualité de la relation médecin-patient sont des facteurs fondamentaux de la “guérison” du patient.
BIBLIOGRAPHIE
1- GBD 2015 DALYs and HALE Collaborators. Global, regional, and national disability-adjusted life-years (DALYs) for 315 diseases and injuries and healthy life expectancy (HALE), 1990–2015: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2015. Lancet 2016;388:1603-58.
2- Loannidis JP. Effectiveness of antidepressants: an evidence myth constructed from a thousand randomized trials? Philos Ethics Humanit Med 2008;3:14.
3- Cipriani A, Furukawa TA, Salanti G, et al. Comparative efficacy and acceptability of 12 new-generation antidepressants: a multiple-treatment meta-analysis. Lancet 2009;373:746-58.
4- FDA briefing document for Dec. 13, 2006, meeting of Psychopharmacologic Drugs Advisory Committee 2006. http://www.fda.gov/ohrms/dockets/ac/06/briefing/2006-4272b1-index.htm
5- Turner EH, Matthews AM, Linardatos E, et al. Selective publication of antidepressant trials and its influence on apparent efficacy. N Engl J Med 2008;358:252-60.
6- Parikh SV, Kennedy SH. More data, more answers: picking the optimal antidepressant. Lancet http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(18)30421-5
7- Kirsch I, Deacon BJ, Huedo-Medina TB, et al. Initial Severity and Antidepressant Benefits: A Meta-Analysis of Data Submitted to the Food and Drug Administration. PLoS Med 2008,5(2):e45.
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