Cardiologie

LA BICUSPIDIE VALVULAIRE AORTIQUE

Publié le 13/02/2023
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Si la découverte de cette pathologie se fait généralement après 65 ans, elle peut quelquefois se manifester dès l’enfance. Sa surveillance est importante en raison du risque de complications valvulaires, pouvant aussi concerner l’aorte thoracique.

Crédit photo : BURGER / PHANIE

1. Qu’est-ce que la bicuspidie valvulaire aortique ?

La bicuspidie valvulaire aortique est l’une des valvulopathies congénitales les plus fréquentes rencontrées chez l’adulte (1-2). Elle concernerait 0,5 % à 1 % de la population générale, avec une nette prévalence masculine (3/1).

Sur le plan anatomique, il s’agit d’une pathologie de la valve aortique comportant deux valves au lieu de trois. Rares sont les patients avec une seule valve (unicuspidie) et encore plus rares ceux avec quatre valves (quadricuspidie). Elle correspond aussi à une pathologie de l’aorte car, dans environ 70 % des cas de bicuspidie, il y a dilatation plus ou moins importante de l’aorte. La bicuspidie valvulaire aortique congénitale est une valvulo-aortopathie avec expressions phénotypiques et cliniques très hétérogènes.

L’étiologie de la bicuspidie valvulaire aortique est encore très discutée : on oppose à la théorie hémodynamique celle de la génétique, sachant que les deux sont probablement complémentaires. Certaines singularités génétiques, biochimiques et histologiques ont été apparentées à la bicuspidie qui intéresse la valve, comme l’ensemble de la racine aortique. Une transmission autosomique dominante à pénétrance variable pourrait affecter différents gènes, partiellement identifiés à ce jour, intervenant dans la synthèse et le transport de protéines élastiques de la média.

2. Comment est-elle découverte, quels en sont les symptômes ?

Sa découverte est le plus souvent tardive et fortuite. Elle peut être mise en évidence suite à la détection d’un souffle à l’auscultation, lors d’une échocardiographie demandée pour la recherche d’autres pathologies, ou bien consécutive à une dilatation de l’aorte sur des images de coupe (scanner, angio-­IRM).

Les patients porteurs de bicuspidie aortique peuvent rester asymptomatiques pendant de nombreuses années, avec un fonctionnement valvulaire proche de la normale. Sur le plan clinique, c’est généralement après 65 ans que cette pathologie peut s’exprimer. Les patients vont développer des complications. La sténose aortique est souvent la lésion prédominante (75 % des cas) ; l’insuffisance aortique (15 % des cas) et la maladie aortique (10 % des cas) sont plus rares.

Le médecin de ville peut avoir un rôle primordial dans la détection de cette affection, surtout dans les formes dites à progression rapide. Dans ce cas, une attention particulière doit être portée par un interrogatoire et un examen clinique minutieux, qui vont orienter le patient vers un confrère spécialiste. L’apparition de douleurs thoraciques, une dyspnée d’aggravation progressive, une récupération difficile après effort, associée à une diminution voire l’abolition d’un B2 aortique, sont pathognomoniques d’un rétrécissement aortique à explorer dans les plus brefs délais. De même, la découverte d’un grand souffle diastolique, le plus souvent témoin d’un délabrement valvulaire important, doit être exploré rapidement.

Enfin, si chez l’enfant, la découverte et le diagnostic d’une biscupidie aortique sont rares, la symptomatologie est plus riche avec douleurs thoraciques, dyspnée, faible capacité de récupération suite à un effort. La bicuspidie aortique représente une des causes les plus fréquentes d’insuffisance aortique chez l’enfant et le jeune adulte.

Pour le diagnostic, l’échocardiographie est l’examen de choix, par sa facilité de réalisation. Elle confirme le plus souvent le diagnostic. L’imagerie de coupe est réservée aux patients peu ou pas échogènes, mais aussi pour la détection d’anévrysmes et/ou de coarctation aortique. De plus, l’échocardiographie bidimensionnelle analyse la dimension et la performance du ventricule gauche et les éventuelles anomalies associées. L’examen doppler (continu, pulsé et couleur) évalue l’importance de la sténose et l’éventuelle insuffisance aortique associée. Actuellement, l’apport tridimensionnel en temps réel facilite grandement les diagnostics, surtout dans des formes frustes. L’échocardiographie trans-œsophagienne aide au diagnostic de bicuspidie en cas de mauvaise échogénicité.

3. Pourquoi une surveillance est-elle importante ?

Le cardiologue fait le diagnostic et surveille l’évolutivité aussi bien de la valve que de l’aorte. La surveillance des patients est nécessaire en raison du risque de sténose ou d’insuffisance aortique, mais aussi de dilatation de l’aorte. En effet, un des points qui préoccupe l’ensemble de la population médicale en général et cardiologique en particulier est la relation entre bicuspidie et dissection aortique. Le risque de dissection aortique existe mais, avec le suivi et la prise en charge chirurgicale lorsque l’aorte atteint certains diamètres, le risque paraît faible. Une étude publiée portant sur 542 patients avec bicuspidie et une aorte pas très dilatée, suivis pendant 25 ans, a montré que le taux de dissection a été de 0,05 % (seulement deux patients ont présenté une dissection). En revanche, 25 % de ces patients ont développé un anévrysme de l’aorte thoracique avec un diamètre supérieur à 45 mm, et 24 % ont bénéficié d’une chirurgie de l’aorte thoracique (3). En définitive, pour les patients suivis, si la dissection paraît faible, ils paient un lourd tribut de morbidité anévrysmale qu’il faut prendre en charge.

4. En quoi consiste cette surveillance ?

Si l’aorte n’est pas très dilatée, on revoit le patient tous les deux ans pour juger l’évolution. Si la dilatation atteint 50 mm de diamètre en dehors de facteurs de risque très particuliers (tels que coarctation aortique, hypertension artérielle, antécédent familial de dissection aortique), on revoit le patient tous les six mois. La chirurgie est proposée lorsque le diamètre est supérieur ou égal à 55 mm et lorsque le diamètre augmente rapidement, plus de 3 mm par an. Comme nous l’avons souligné, cette surveillance est assurée par le cardiologue.

5. Quel est le traitement ?

Pour le traitement médical, nous ne disposons d’aucune donnée. Concernant les bêtabloquants, une faible recommandation classe II b niveau C a été proposée en cas d’hypertension artérielle. Il faut en effet traiter efficacement l’hypertension artérielle en privilégiant les bêtabloquants en première intention, les IEC et ARA 2 suivront en cas de nécessité.

La place de la chirurgie est capitale car plus de 50 % des patients seront opérés de leur valve et aussi de l’aorte après diagnostic de cette valvulopathie. Les indications pour la valve sont celles classiques de la sténose et/ou de l’insuffisance. Pour l’aorte thoracique, nous ne disposons pas de données récentes ; on se réfère au diamètre : si supérieur ou égal à 55 mm, quel que soit le niveau où il est mesuré, le patient sera opéré. Le type de chirurgie va dépendre du degré de dilatation de l’aorte ascendante et de sa localisation. Si elle intéresse l’aorte tubulaire en aval des sinus de Valsalva, on peut se contenter d’un remplacement aortique sous tubulaire associé à un remplacement de la valve aortique. On peut faire une chirurgie de Bentall lorsque la valve est très atteinte. De plus en plus se développe une chirurgie conservatrice, réparatrice de la valve y associant l’aorte ascendante. Nous disposons aujourd’hui d’un large panel chirurgical, dépendant à la fois des lésions valvulaires, de la localisation de l’anévrysme et de la capacité du chirurgien.

Enfin, comme nous l’avons indiqué, le rôle du médecin traitant est important dans la prise en charge du patient. En particulier pour l’accompagner, le motiver et le conseiller, dans le but d’intervenir sur d’éventuels facteurs de risque associés (hypertension artérielle, tabagisme, hypercholestérolémie), de s’assurer du bon suivi du traitement pharmacologique pour d’autres pathologies et ne pas hésiter à demander des examens biologiques appropriés.

Dr Alberto Tiritilli (cardiologue, professeur au Collège de médecine des Hôpitaux de Paris)

BIBLIOGRAPHIE
1. Robert WC. The congenitally bicuspid aortic valve. A study of 85 autopsy cases. Am J Cardiol, 1970;26:72-83.
2. Tadros TM, Klein MD, Shapira OM. Ascending aortic dilatation associated with bicuspid aortic valve: pathophysiology, molecular biology, and clinical implications. Circulation 2009;119:880-90.
3. Sabet HY, Edward WD, Tazelaar HD et al. Congenitally bicuspid aortic valves: a surgical pathology study of 542 cases (1991 through 1996) and a litterature review of 2715 additional cases. Mayo Clin Proc, 1999;74:14-26.


Source : lequotidiendumedecin.fr