QU’EST-CE QU’UNE AMÉNORRHÉE ET QUAND L’EXPLORER ?
L’aménorrhée est l’absence anormale de menstruation : elle peut être primaire si la femme n’a jamais eu de menstruations et secondaire si elle en a déjà eu.
→ En cas d’aménorrhée primaire, une exploration est utile si les menstruations ne sont pas apparues trois ans après la thélarche (apparition des seins) ou après 15 ans en toutes circonstances (1). À noter que chez une jeune fille n’ayant pas eu de thélarche après 13 ans, un bilan de retard pubertaire est indiqué.
→ Le cycle menstruel normal présente une définition admise depuis quelques années seulement (2). Un cycle normal est compris entre 24 et 38 jours. Il est considéré comme irrégulier si la variation annuelle est de plus de 20 jours par mois. En pratique, on calcule la différence d’un cycle à l’autre (exemple : 28 jours en janvier et 29 jours en février feraient 1 jour de variation) et l’on fait la somme de ces variations sur une année. Pour nous aider, certaines applications sur smartphone permettent de faire le calcul de manière précise (3).
→ En pratique, en cas d’aménorrhée secondaire, une exploration est utile au bout de trois mois si les cycles étaient antérieurement réguliers et au bout de 6 mois en présence de cycles antérieurement irréguliers (1). Le même type d’exploration pourra être réalisé en cas de cycles longs (parfois appelé oligoménorrhée ou spanioménorrhée en fonction des auteurs). Comme les cycles sont souvent irréguliers, le nombre de jours par cycle est plus difficile à calculer. Dans ce contexte, il est plus pratique de calculer le nombre de cycles par an. Un bilan est donc utile chez une adulte s’il y a 10 cycles ou moins par an et chez une adolescente s’il y a huit cycles ou moins par an (1).
LES PRINCIPALES CAUSES : DE LA VULVE À L’HYPOTHALAMUS
Le plus simple pour retenir les causes pathologiques d’aménorrhée est de réfléchir du bas (la vulve) vers le haut (l’hypothalamo-hypophysaire). La séparation traditionnelle entre aménorrhée primaire et secondaire n’est plus actuelle, car en dehors de quelques exceptions, les étiologies sont très largement partagées.
Les causes physiologiques ou induites
Un peu à part dans notre arbre diagnostique, les causes physiologiques sont des pièges fréquents. En premier lieu celui de la grossesse qui peut avoir lieu même en cas d’aménorrhée primaire. On retrouve ensuite l’allaitement et bien sûr la ménopause.
Les aménorrhées induites sont un diagnostic d’élimination. On retrouve l’utilisation de la contraception hormonale (principalement progestative) ou des androgènes. Le retard pubertaire simple est aussi une cause non pathologique d’aménorrhée.
Les anomalies du tractus génital
Les anomalies congénitales peuvent se voir en cas d’aménorrhée primaire. La présence de douleurs pelviennes cycliques fait penser à une imperforation hyméniale ou un septum vaginal transverse. En l’absence de douleur, on peut observer une agénésie müllerienne comprenant tout ou partie de l’utérus ou des 2/3 supérieurs du vagin (syndrome de Mayer-Rokistansky-Kuster-Hauser ou MRKH). D’autres causes encore plus rares peuvent être observées, comme le déficit en 5 alpha-réductase chez des individus au génotype XX donnant un phénotype masculin à la puberté ou le syndrome d’insensibilité aux androgènes chez des individus au génotype XY donnant un phénotype féminin.
→ Les anomalies acquises se retrouvent plutôt en cas d’aménorrhée secondaire. Au niveau utérin, elles sont dominées par les synéchies utérines (syndrome d’Asherman) secondaires à des gestes endo-utérins ou à une tuberculose urogénitale. Au niveau du col utérin, on peut retrouver une sténose du col secondaire à un geste (conisation), un rayonnement ionisant (radiothérapie) ou en post-accouchement.
L’insuffisance ovarienne prématurée (IOP)
L’épuisement de la réserve ovarienne peut être très précoce, avant même la puberté et donner des impubérismes. Après la puberté on retrouve une aménorrhée primaire ou secondaire, accompagnée dans la moitié des cas de signes de carence estrogénique. L’IOP n’est pas une ménopause, car on note une fertilité conservée, même si faible, chez 10 % des femmes (4).
→ Il existe de très nombreuses causes d’IOP (5). Les plus fréquentes sont génétiques (syndrome de Turner, FMR1 – X fragile –), auto-immunes et iatrogéniques (chimiothérapie, radiothérapie). En cas de pathologie auto-immune, il existe un risque augmenté d’endocrinopathies thyroïdiennes ou surrénaliennes.
→ En cas d’IOP, la prise en charge est pluridisciplinaire, notamment psychologique. Un traitement hormonal est recommandé jusqu’à 51 ans et commencé le plus rapidement possible une fois le diagnostic fait (6). Il sera contraceptif en l’absence de désir de grossesse (oestroprogestatif par exemple).
L’axe hypothalamo-hypophysaire
→ L’aménorrhée hypothalamique fonctionnelle est la cause la plus fréquente dans cette catégorie, mais il s’agit d’un diagnostic d’élimination. Elle peut être présente en cas de troubles alimentaires, de stress, d’activité physique importante non compensée par des apports caloriques ou en cas de perte de poids. L’absence d’imprégnation estrogénique comporte des conséquences : ostéoporose, mauvaise trophicité vaginale, troubles de la libido. Si l’aménorrhée dépasse 6 mois, il est recommandé de réaliser une ostéodensitométrie (7). Tout comme pour l’IOP, la prise en charge est pluridisciplinaire entre clinicien, psychologue ou psychiatre, nutritionniste ou diététicien (5). Si malgré la prise en charge, la femme n’observe pas de retour de menstruations à 12 mois, un traitement hormonal est alors indiqué.
→ L’hyperprolactinémie est la deuxième cause par fréquence. Les étiologies les plus fréquentes d’hyperprolactinémie sont les prolactinomes. Mais on retrouve aussi les pathologies rénales chroniques, les thérapeutiques légales ou non (neuroleptiques ou opioïdes). Les causes physiologiques sont la grossesse, le stress et l’exercice physique. En dehors des hyperprolactinémies iatrogènes, l’IRM pituitaire est recommandée, permettant d’adapter le traitement par agoniste de la dopamine ou résection du prolactinome (8).
→ D’autres causes rares sont possibles comme les compressions pituitaires tumorales (macroadénomes, craniopharyngiomes), les processus infiltratifs (sarcoïdose, hémochromatose, histiocytose), les métastases tumorales, le syndrome de Kallman de Morsier (congénital donnant une anosmie) ou le syndrome de Sheehan (aménorrhée du postpartum dans un tableau de panhypopituitarisme).
Les autres causes endocriniennes
→ Le syndrome des ovaires polykystiques (ou multifolliculaires), dit SOPK, domine par sa fréquence l’aménorrhée, car il touche 10 à 25 % des femmes. Sa définition est admise depuis 2003 (9) avec la présence de deux critères sur trois : présence d’une hyperandrogénie (biologique ou clinique), d’une aménorrhée (ou de cycles longs) et aspect échographique évocateur. L’échographie permet de faire un compte folliculaire antral (CFA) et de calculer le volume des ovaires. Cependant, le volume ovarien n’est pas fiable avant huit ans post-ménarche et le compte des follicules dépend de l’âge de la femme et de l’expérience de l’opérateur (9). Les femmes ayant un SOPK sont plus à risque de syndrome métabolique. L’indice de masse corporelle (IMC) et la PA doivent être évalués à chaque consultation. Par ailleurs, il est recommandé de dépister les dyslipidémies et le diabète tous les 3 à 5 ans (9). La prise en charge ici est aussi pluridisciplinaire. La perte de poids favorise la reprise des cycles et diminue le syndrome métabolique. En l’absence de désir de grossesse, les oestroprogestatifs sont le traitement de première ligne : ils améliorent les symptômes androgéniques (hirsutisme, acné), diminuent le risque de cancer de l’endomètre. En cas de désir de grossesse, le traitement classique reste le citrate de clomifène sous couvert d’un monitorage de l’ovulation. Des données récentes sur le létrozole sont très encourageantes et pourraient en faire un traitement de première intention dans un avenir proche (9).
→ D’autres causes endocriniennes peuvent donner tant une hyperandrogénie qu’une aménorrhée. L’hyperplasie congénitale des surrénales en fait partie. Les causes sévères étant dépistées à la naissance en France (Guthrie), il s’agit généralement de formes partielles à révélation tardive. D’autres formes rares d’hyperandrogénies liées à des tumeurs sécrétantes ovariennes ou surrénaliennes existent, mais donnent généralement des virilismes très importants ou d’apparition rapide ainsi que des dosages hormonaux caractéristiques.
Certaines pathologies endocriniennes peuvent avoir pour effet de bord une aménorrhée hypothalamique et sont régressives lors de leur traitement comme l’hypothyroïdie, l’hyperthyroïdie (7) ou l’hypercorticisme (10).
Les pathologies chroniques
Les pathologies chroniques et sévères peuvent engendrer des aménorrhées comme l’insuffisance rénale par exemple. Mais généralement, il s’agit d’un épiphénomène de pathologies déjà diagnostiquées.
FAIRE LE DIAGNOSTIC D’UNE AMÉNORRHÉE
Les éléments orientant le diagnostic peuvent se trouver lors de l’entretien (tableau 1) ou de l’examen clinique (tableau 2). En cas d’aménorrhée primaire, l’examen pelvien pourra être reporté après l’échographie pelvienne.
→ Le bilan biologique comprend au minimum des HCG plasmatiques. L’essentiel des causes endocriniennes peut être diagnostiqué par le dosage de la FSH, la LH, de l’estradiol, de la prolactine et de la TSH.
Si la femme garde quelques cycles, les dosages de FSH, LH et estradiol se font idéalement du 2e au 5e jour du cycle (le premier jour du cycle étant le matin des règles franches). Les résultats donnés par les laboratoires ne sont pas faciles d’interprétation pour ces marqueurs. Tout d’abord, il faut regarder l’estradiol. Si celui-ci est supérieur à 50 pg/L, les valeurs de la FSH et de la LH ne sont plus pertinentes, car faussées par le rétrocontrôle de début de cycle. Ensuite, à ce moment du cycle, une FSH ou une LH est considérée comme normale si elle est inférieure à 10 et élevée si elle est supérieure à 15. On peut considérer les valeurs de FSH et de LH basses si elles sont inférieures à 3-4 UI/L.
→ Pour la prolactine, les conditions de prélèvement se sont simplifiées : pas de traumatisme veineux, de stimulation du mamelon ou d’exercice physique important dans les 30 min qui précèdent le prélèvement. L’AMH est très utile dans le diagnostic d’insuffisance ovarienne, sa valeur indépendante du cycle menstruel, mais le prélèvement (environ 50 €) n’est pas remboursé à ce jour par l’Assurance maladie.
→ En cas d’hyperandrogénie, un dosage de la testostérone totale et libre, du sulfate de DHEA (SDHEA) et de la 17-hydroxyprogestérone permet de faire les diagnostics différentiels du syndrome des ovaires polykystiques. En pratique, il faudra bien écrire 17-hydroxyprogestérone sur l’ordonnance, car certains laboratoires rendent un résultat de progestérone si l’on note la forme raccourcie (17OHP ou 17OH Progestérone). Si les dosages en androgènes sont très élevés ou si l’apparition de l’hyperandrogénie est rapide, une consultation en endocrinologie est nécessaire pour éliminer une cause tumorale ovarienne ou surrénalienne. En cas de petite taille et de morphotype évocateur, un caryotype peut être demandé pour éliminer un syndrome de Turner. Le tableau 3 permet d’avoir les résultats des bilans biologiques des principales causes endocriniennes.
→ Du point de vue de l’imagerie, l’échographie pelvienne avec compte folliculaire antral permet de repérer les anomalies du tractus génital non diagnostiquées à l’examen clinique ainsi que d’orienter le praticien vers un syndrome des ovaires polykystiques ou une insuffisance ovarienne. L’IRM cérébrale ou de la selle turcique n’est indiquée que devant une suspicion de prolactinome ou de symptômes d’hypertension intracrânienne (diagramme 1).
En l’absence de grossesse, le test aux progestatifs (ex : dydrogestérone 10 mg x 2/j pendant 10 j) permet de différencier les causes avec imprégnation estrogénique (SOPK généralement) des autres origines. La présence d’hémorragie de privation à l’arrêt du traitement laisse supposer une imprégnation estrogénique suffisante. Cependant, ce test n’est pas parfaitement discriminant (5).
Avec tous ces éléments, il est possible de faire le diagnostic de l’aménorrhée dans la grande majorité des cas. Le diagramme 1 permet d’avoir la conduite à tenir idéale en première intention.
EN RÉSUMÉ
En gardant à l’esprit le cheminement de la vulve à l’hypothalamus, avec un entretien et un examen clinique dirigé, quelques examens de biologie et une échographie pelvienne, il est globalement possible de distinguer l’essentiel des étiologies des aménorrhées. Non seulement cela permet à la patiente de gagner un temps précieux sur son diagnostic, mais aussi de bénéficier d’un traitement de première intention dans la forme la plus fréquente qu’est le syndrome des ovaires polykystiques (ou multifolliculaires).
Bibliographie
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3. Moglia ML, Nguyen HV, Chyjek K, Chen KT, Castaño PM. Evaluation of Smartphone Menstrual Cycle Tracking Applications Using an Adapted APPLICATIONS Scoring System. Obstet Gynecol. 2016 Jun;127(6):1153–60.
4. Nelson LM. Clinical practice. Primary ovarian insufficiency. N Engl J Med. 2009 Feb 5;360(6):606–14.
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8. Molitch ME. Diagnosis and Treatment of Pituitary Adenomas: A Review. JAMA. 2017 Feb 7;317(5):516–24.
9. Teede HJ, Misso ML, Costello MF, Dokras A, Laven J, Moran L, et al. Recommendations from the international evidence-based guideline for the assessment and management of polycystic ovary syndrome. Hum Reprod Oxf Engl. 2018 01;33(9):1602–18.
10. ACOG Practice Bulletin No. 194: Polycystic Ovary Syndrome. Obstet Gynecol. 2018;131(6):e157–71
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