Prolongation d’un traitement préventif post thrombose veineuse profonde par anticoagulants oraux directs à demi-dose versus dose standard chez des patients à haut risque de récidive : un essai randomisé de non infériorité, multicentrique en ouvert
Extended treatment of venous thromboembolism with reduced-dose versus full-dose direct oral anticoagulants in patients at high risk of recurrence: a non-inferiority, multicentre, randomised, open-label, blinded endpoint trial
Couturaud F, Schmidt J, Sanchez O, & al for the RENOVE Trial.
Lancet 2025;405:725-35.
CONTEXTE
Qu’elles soient sous forme d’embolie pulmonaire (EP) ou de thrombose veineuse proximale des membres inférieurs (ou les deux), les thromboses veineuses profondes (TVP) symptomatiques sont une pathologie grave exposant à une importante morbimortalité (1,2). Les anticoagulants sont le traitement crucial de ces pathologies qu’il s’agisse des héparines, suivies (ou non) des antivitamines K (AVK) ou des anticoagulants oraux directs (AOD). Ces derniers sont plus souvent prescrits pour des raisons de meilleure commodité d’emploi et de moindre risque d’hémorragie grave comparativement aux AVK (3). Si les AOD ont démontré qu’ils étaient mieux tolérés que les AVK (3) la probabilité de récurrence de TVP sous traitement est réelle (environ 2 % par an). De ce fait, les cliniciens ont tendance à prolonger le traitement par AOD à faible dose d’autant que l’apixaban et le rivaroxaban ont démontré leur efficacité préventive des TVP (versus placebo ou aspirine) à une posologie inférieure à celle indiquée pour la phase aiguë de la maladie (4,5), et qu’ils ont obtenu une Autorisation de mise sur le marché (AMM) à cette posologie et dans cette indication.
Cependant ces essais étaient randomisés versus placebo (ou aspirine) et non versus AVK ou le même AOD à pleine dose. Par ailleurs, dans les groupes témoins placebo ou aspirine, les deux essais ont recruté des patients pour lesquels la nécessité d’une anticoagulation prolongée était incertaine.
OBJECTIF
Démontrer qu’un traitement par AOD àdemi-dose à titre préventif de récidive d’une TVP est non inférieur au même AOD à pleine dose curative.
MÉTHODE
Essai randomisé de non-infériorité en ouvert mené dans 47 hôpitaux français et financé par le ministère de la Santé. Le principal critère d’inclusion était les patients âgés ≥ 18 ans, victimes d’une TVP symptomatique considérée comme à haut risque de récidive (TVP non provoquée ou récidive) ayant reçu des anticoagulants à dose curative pendant 6 à 24 mois et éligibles à leur prolongation (6). Ils ont été randomisés pour recevoir soit une dose réduite d’apixaban (5 mg/j) ou de rivaroxaban (10 mg/j) dans le groupe demi-dose soit apixaban (10 mg/j) ou rivaroxaban (20 mg/j) à posologie curative dans le groupe à pleine dose.
Le critère de jugement principal (CJP) était l’apparition d’une nouvelle TVP symptomatique fatale ou non. Il y avait également deux critères de jugement secondaires clés (analyse statistique hiérarchisée). Le premier était les hémorragies majeures ou cliniquement pertinentes définies selon l’International Society of Thrombosis and Haemostasis (7). Le second appelé « bénéfice net » était composé des récidives de TVP et des hémorragies graves et cliniquement pertinentes. Tous les évènements ont été validés par un groupe d’experts indépendants (Steering Committee) en insu du groupe alloué.
Compte tenu des résultats des essais AOD publiés antérieurement et des caractéristiques spécifiques des patients à haut risque inclus dans RENOVE, l’hypothèse était d’observer 4 % d’évènements du critère principal dans les 2 groupes en 2 ans de suivi. La non-infériorité était définie par une borne supérieure de l’intervalle de confiance à 95 % (IC95) de la différence entre les deux groupes < 1,70 (autrement dit, le taux du CJP dans le groupe demi-dose ne devait pas être > 70 % de celui du groupe pleine dose). Pour démontrer la non-infériorité avec une puissance de 90 % il fallait inclure 1 030 patients dans chaque groupe suivis pendant 2 ans. Cette puissance était également suffisante pour montrer une différence significative en faveur du groupe demi-dose sur les deux principaux critères de jugement secondaires. L’analyse statistique (stratifiée sur l’AOD reçu) a été faite en intention de traiter et en per protocol (population d’analyse plus pertinente pour un essai de non-infériorité).
RÉSULTATS
Entre le 2 novembre 2017 et le 6 juillet 2022, 2 768 patients ont été inclus : 1 383 dans le groupe demi-dose et 1 385 dans le groupe pleine dose. Au cours des 12 premiers mois de suivi il n’y a eu que 0,75 % d’évènements du CPJ dans la totalité de la population incluse (soit 1,5 % à 2 ans très inférieur aux 4 % attendus). De ce fait, un amendement du Steering Committee (en insu de la randomisation) a augmenté la taille de l’effectif et la durée de suivi à 36 mois afin de conserver la puissance initiale de l’essai.
À l’inclusion, les caractéristiques démographiques et cliniques des patients étaient similaires dans les 2 groupes. L’âge moyen était de 62,6 ans (± 14,3) et 64,6 % étaient des hommes. L’IMC moyen était à 25,6 kg/m2 et 65 % des patients avaient une clairance de la créatinine ≥ 80 mL/mn. 85,4 % d’entre eux avaient au moins un antécédent d’embolie pulmonaire symptomatique avec (45,5 %) ou sans (40,0 %) thrombose veineuse profonde proximale des membres inférieurs associée. Par ailleurs, 60,8 % avaient un seul antécédent de TVP et 33,5 % en avaient au moins 2. Enfin, la durée médiane d’anticoagulation avant la randomisation était de 8,1 mois (mini-max = 6,4-12,3) ; 48,9 % des inclus n’avaient reçu que des AOD, les autres ayant reçu de l’héparine (sous différentes formes) suivie ou non d’un AVK.
Au cours d’un suivi médian de 35,7 mois dans les 2 groupes, il y a eu 19 (2,2 %) évènements du CJP dans le groupe demi-dose et 15 (1,8 %) dans le groupe pleine dose : Hazard Ratio (HR) = 1,32 ; IC95 = 0,67-2,60, p de non infériorité = 0,23.
Bien que le résultat sur le critère principal ne soit pas significatif, les auteurs ont fourni des résultats sur les deux critères secondaires clés, mais sans donner (à juste titre) la valeur de p. Sur les hémorragies graves ou cliniquement pertinentes (9,9 % vs 15,2 %) : HR = 0,61 ; IC95 = 0,48-0,79, en faveur du groupe demi-dose. Sur le critère composite « bénéfice net » : HR = 0,67 ; IC95 = 0,53-0,86, en faveur du même groupe.
COMMENTAIRES
Il est très rare qu’un essai exclusivement français soit publié dans The Lancet. Les principales raisons de cette publication inhabituelle (et négative) dans une revue si prestigieuse sont : la grande qualité méthodologique de RENOVE, la taille de l’effectif inclus, la durée du suivi, et surtout la question clinique pertinente à laquelle il souhaitait répondre (efficacité, tolérance, posologie et durée d’un traitement préventif secondaire des TVP par AOD à demi-dose vs pleine dose).
Devant l’échec de la démonstration de non-infériorité sur la récidive de TVP il est logique de s’interroger sur ses causes, alors que RENOVE a été rigoureusement conçu et particulièrement bien conduit. La réponse est dans la très faible incidence observée des récidives de TVP en 3 ans (≈ 2 % versus 6 % attendus) qui ne permettait pas de démontrer une non-infériorité significative. Probablement (et légitimement) un peu déçus par ce résultat, les auteurs ont quand même fourni dans l’article les résultats favorables de la demi-dose sur les critères secondaires clés hiérarchisés (ce qui peut être considéré par certains comme un « crime » de lèse-méthodo-statisticien). De ce fait, ces derniers résultats sont à considérer comme exploratoires, car dans une analyse hiérarchisée, il est théoriquement obligatoire d’interrompre la démarche dès que le résultat d’une étape d’analyse antérieure a été non significatif (ce qui était le cas du CJP dans RENOVE).
En pratique, si la situation clinique (TVP à haut risque de récidive) fait qu’un praticien s’interroge sur l’intérêt préventif d’un traitement prolongé par AOD, compte tenu des résultats de cet essai, il semble préférable (pour le moment) de continuer à prescrire l’AOD à posologie curative plutôt qu’à demi-dose même si la tolérance et le bénéfice net de la demi-dose semblent meilleurs sans être vraiment démontrés. Pour les auteurs, les faibles taux de récidive dans les deux groupes et la réduction des saignements cliniquement pertinents avec la dose réduite pourraient justifier ce schéma thérapeutique. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour identifier les sous-groupes dans lesquels la dose d'AOD ne devrait pas être réduite.
Une exception concerne les patients atteints de cancer ayant un antécédent de TVP comme démontré dans un autre article français publié dans le New England Journal of Medicine presque en même temps (8). Ce dernier établit la non-infériorité d’une demi-dose d’apixaban comparativement à la pleine dose en termes d’efficacité associée à une réduction significative des hémorragies graves et cliniquement pertinentes. L’incidence de récurrence de TVP dans le groupe pleine dose a été de 2,8 % en 11,8 mois, ce qui était très supérieure à celle observée dans la publication du Lancet.
Bibliographie
(1) Barco S, Mahmoudpour SH, Valerio L, et al. Trends in mortality related to pulmonary embolism in the European Region, 2000-15: analysis of vital registration data from the WHO Mortality Database. Lancet Respir Med 2020;8:277-87.
(2) Kahn SR, Ginsberg JS. Relationship between deep venous thrombosis and the post-thrombotic syndrome. Arch Intern Med 2004;164:17-26.
(3) van Es N, Coppens M, Schulman S, et al. Direct oral anticoagulants compared with vitamin K antagonists for acute venous thromboembolism: evidence from phase
3 trials. Blood 2014;124:1968-75.
(4) Agnelli G, Buller HR, Cohen A, et al. Apixaban for extended treatment of venous thromboembolism. N Engl J Med 2013;368:699-708.
(5) Weitz JI, Lensing AWA, Prins MH, et al. Rivaroxaban or aspirin for extended treatment of venous thromboembolism. N Engl J Med 2017;376:1211-22.
(6) Stevens SM, Woller SC, Kreuziger LB, et al. Antithrombotic therapy for VTE disease: second update of the CHEST guideline and expert panel report. Chest 2021;160:e545-608.
(7) Schulman S, Kearon C. Definition of major bleeding in clinical investigations of anti-hemostatic medicinal products in non-surgical patients. J Thromb Haemost 2005;3:692-4.
(8) Mahé I, Carrier M, Mayeur D et al. Extended Reduced-Dose Apixaban for Cancer-Associated Venous Thromboembolism. N Engl J Med 2025;392:1363-73.
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