Faut-il dépister les cancers occultes chez les patients après une première TVP spontanée ?
Dépistage des cancers occultes à la suite d’une thrombose veineuse profonde non provoquée.
Carrier M, Lazo-Langner A, Shivakumar S et al. Screening for Occult Cancer in Unprovoked Venous Thromboembolism N Engl J Med 2015;373:697-704.
CONTEXTE
En cas de première thrombose veineuse profonde (TVP) spontanée, certains auteurs préconisent de rechercher un cancer occulte, car la TVP peut en être le premier signe (1). Un peu plus de 10 % des patients atteints d’un premier épisode de TVP spontanée ont un diagnostic de cancer dans l’année qui suit (2). Une procédure de dépistage des cancers occultes chez un patient ayant une première TVP permettrait une découverte plus précoce du cancer et éventuellement une réduction de la mortalité spécifique.
OBJECTIF
Comparer la performance d’une stratégie « standard » de dépistage de cancers occultes à celle d’une stratégie « optimisée» chez des patients souffrant d’un premier épisode de TVP non provoquée.
MÉTHODE
Essai randomisé multicentrique canadien en ouvert. Les patients atteints d’une première TVP (thrombose veineuse profonde et/ou embolie pulmonaire) non provoquée documentée ont été randomisés dans un groupe stratégie « standard » ou stratégie « optimisée».
› La stratégie standard comprenait le recueil des antécédents médico-chirurgicaux, un examen clinique, des examens biologiques (NFS, créatinine, ionogramme sanguin, et bilan hépatique), une radiographie du thorax, une mammographie et un frottis chez les femmes ou un toucher rectal et/ou un dosage du PSA chez les hommes s’ils n’avaient pas été faits récemment. Le groupe stratégie « optimisée» a eu les mêmes examens plus un scanner abdomino-pelvien avec produit de contraste digestif (coloscanner).
› Le critère de jugement principal était le nombre de patients ayant un dépistage négatif et un diagnostic de cancer documenté (biopsie) dans l’année suivante (faux négatifs). Les principaux critères de jugement secondaires étaient la mortalité spécifique à un an et le délai de diagnostic des cancers. Il fallait inclure 862 patients pour démontrer une réduction relative significative de 75 % (3 % en absolu) sur le critère de jugement principal avec une puissance de 80 % et un risque alpha unilatéral de 5 %. L’analyse statistique a été faite en intention de traiter pour le critère principal et le premier critère secondaire. Le délai de diagnostic des cancers a été quantifié par une analyse de Kaplan-Meyer.
RÉSULTATS
Entre 2008 et 2014, parmi 3 186 patients éligibles, 862 ont été randomisés. 854 patients (431 dans le groupe standard et 423 dans le groupe « optimisé ») ont été inclus dans l’analyse finale. Les caractéristiques des 2 groupes étaient comparables à l’inclusion : âge moyen 54 ans, 67 % d’hommes, 67,4 % de TVP des membres inférieurs, 32,6 % d’embolies pulmonaires et 12,3 % les deux.
Dans l’année suivant le dépistage, 14 patients (3,2 %) du groupe standard et 19 (4,5 %) du groupe « optimisé » ont eu un diagnostic de cancer (p = 0,28). 10 cancers occultes ont été dépistés par la procédure assignée dans le groupe standard et 14 dans le groupe « optimisé » (différence non significative).
De ce fait, quatre (29 %) des 14 cancers survenus dans le groupe standard n’ont pas été dépistés (faux négatifs) vs 5 des 19 (26 %) cancers du groupe « optimisé ». Le délai moyen du diagnostic de cancer après le dépistage a été de 4,2 mois dans le groupe standard vs 4,0 dans le groupe « optimisé ». Il n’y a pas eu de différence sur la mortalité spécifique à un an : 1,4% vs 0,9 %.
COMMENTAIRES
Cet essai original, sophistiqué et bien conduit avait pour principal objectif de comparer le taux de faux négatifs de deux stratégies de dépistage des cancers occultes chez des patients atteints de première TVP spontanée. Il montre clairement qu’ajouter un scanner abdomino-pelvien à une stratégie standard n’apporte rien si ce n’est une exposition supplémentaire non négligeable aux rayons X.
Dans le groupe standard, l’incidence à un an de la survenue d’un cancer chez les patients dépistés négatifs a été de 0,93 % (IC95 % = 0,36-2,36) soit globalement la même que chez des patients indemnes de TVP (3). Comme souvent dans les essais randomisés, le taux de cancers à un an dans le groupe standard (3,2 %) a été très inférieur à ce qui était attendu (10 %) au regard des résultats des études épidémiologiques (2). Cet essai confirme les résultats négatifs de deux autres études (4,5), ce qui rend le clinicien perplexe sur les performances des diverses stratégies de dépistage.
En pratique, l’incidence des TVP spontanées (pas forcément première) en médecine générale est de 5 par an (6). La question n’est pas de savoir s’il faut choisir une des stratégies de dépistage possibles, la question est de savoir s’il faut dépister les cancers occultes dans cette situation clinique. Pour le moment, il n’y a pas de réponse, et seul le « gut feeling » du médecin (ou son anxiété) conduit la décision.
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