LE QUOTIDIEN : Vous alertez aujourd'hui sur la gouvernance conflictuelle à l'hôpital. Dans quelle mesure la pression financière pèse-t-elle sur le lien entre la direction et la communauté médicale ?
À l'hôpital, les plans de rentabilité sont légion, peu importe la souffrance des médecins ! Cette politique est source de litiges avec le corps médical. Les exemples ne manquent pas.
Saint-Brieuc est le théâtre d'un conflit depuis plusieurs mois. Plus de 100 praticiens, dont la commission médicale d'établissement (CME), ont démissionné collectivement en octobre. Cette action exemplaire dénonce une forme d'autoritarisme imposé aux équipes par l'obligation d'objectifs financiers à réaliser, mais aussi un manque d'attention aux projets défendus par les praticiens. C'est un parfait exemple des ravages de la loi HPST (loi Bachelot). Le directeur agit en capitaine du navire sans se soucier des médecins qui font avancer le vaisseau...
À Annecy, même combat ! Le rouleau compresseur de la productivité est à l'œuvre, le retour à l'équilibre étant érigé en priorité. La situation est un peu similaire à celle du CHU de Grenoble, où la direction avait réclamé à deux pédiatres en burn-out d'accélérer le rythme et de privilégier les actes rentables.
Le management hospitalier se caractérise à vos yeux par un « mépris institutionnel » et une « non-écoute ». Des mots très forts. Comment en est-on arrivé là ?
Je maintiens ces propos mais attention à la généralisation. Les directeurs ne sont pas tous des vilains êtres qui en veulent à la communauté médicale ! Eux aussi subissent la pression du quotidien. Les aides-soignantes, les infirmières, tous les agents hospitaliers éprouvent cette souffrance.
C'est extrêmement difficile pour un soignant de faire son travail sans avoir ne serait-ce qu'une minute en plus pour glisser un petit mot réconfortant à son patient. "On vous emmène à la radio ! " Voilà ce qu'il a le temps de lui dire. Le patient ne sait pas pourquoi. Écartelé entre ses diverses tâches, victime de la pénurie médicale, le praticien n'a pas eu le temps de passer lui fournir des explications, l'infirmière non plus. C'est de l'humanité qui se perd et qui fait mal aux soignants. Ce n'est pas satisfaisant.
Vous dénoncez des conflits médicaux multiples au sein des hôpitaux. De quoi parle-t-on ?
Les remontées de terrain que nous avons enregistrées en 2018 grâce à l'observatoire de la souffrance au travail (OSAT), outil dans lequel le SNPHARe est partie prenante, dessinent un canevas hétérogène des conflits hospitaliers. Ils peuvent concerner plusieurs médecins, oppresseurs ou boucs émissaires.
Ainsi, huit collègues anesthésistes du CHU de Clermont se disent pris en otage entre deux chefs de service de réanimation et de chirurgie cardiaque. Ces derniers ont, semble-t-il, décidé de remettre au goût du jour la coutume totalement obsolète de l'appropriation d'un nombre inflexible de lits par chirurgien. Cette mentalité qui n'a plus court gène le travail des anesthésistes, pris entre deux feux !
Que pensez-vous du principe de médiation hospitalière, incarnée au niveau national par Édouard Couty et déclinée en région et dans les établissements ?
C'est une bonne idée sur le papier mais qui pèche en pratique, en particulier au niveau local. Le médiateur y tient un rôle de conciliateur qui veut ménager la chèvre et le chou, ce qui n'est pas acceptable dans certains cas. Il est nommé par le président de la CME avec qui il peut y avoir conflit d'intérêts. Dans les CHU, le médiateur est généralement un ancien chef de service, un PU-PH reconverti dans le consultanat qui, peut-être, s'est entendu en sous-main avec le président de la CME pour mener à bien sa mission. Il suffit que la CME se range du côté de la direction pour que la médiation soit biaisée.
Dans d'autre cas, le directeur peut jouer la carte du pourrissement en refusant de reconnaître le médiateur dans son rôle. C'est une façon d'avoir le dernier mot.
Cela étant dit, le médiateur peut être utile en cas d'absence de communication entre un directeur un peu borné et une communauté médicale hostile à sa méthode.
Le 18 septembre, Emmanuel Macron a annoncé vouloir « remettre le médecin au cœur de la gouvernance » hospitalière, notamment par la création à l'été 2020 de commissions médicales de groupement – une par GHT. Y croyez-vous ?
On nous a livré un discours qui donne davantage de pouvoir aux médecins dans la direction hospitalière. C'est bien, mais comment cela va-t-il se traduire dans les faits ? Quelles seront les prérogatives de la CME au niveau du groupe ?
Nous avons assisté cet automne à deux grandes réunions qui ont servi pour l'essentiel à nous détailler point par point le calendrier d'action. C'est tout. Plus de deux mois après le discours du président de la République, nous ne savons toujours pas comment l'intention va se traduire dans les faits.
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