C'est le dossier qui aura donné le plus de fil à retordre à Ségur en 2019. Depuis neuf mois, l'hôpital public est traversé par un mouvement de protestation sans précédent. La grogne, partie des urgences au printemps, a gagné tout l'hôpital depuis septembre.
Médecins, infirmières, aides-soignantes et même directeurs… À tous les étages, les personnels hospitaliers, à bout de souffle, ont exprimé leur malaise. Par trois fois, l'exécutif a tenté d'apporter une réponse, sans parvenir à convaincre le secteur.
Fin 2018, la découverte d'une patiente décédée sur un brancard aux urgences de l'hôpital Lariboisière (AP-HP) après plusieurs heures d'attente avait jeté une lumière crue sur plusieurs dysfonctionnements du service public, et notamment les problèmes d'effectifs. Ce n'est pas un hasard si l'étincelle est partie des urgences de l'hôpital Saint Antoine (AP-HP), le 18 mars. Victimes d'agressions à répétition, épuisés, les agents entament alors une grève illimitée pour exiger des recrutements et une revalorisation.
Contagion
D'abord embryonnaire et localisée, la grève va prendre une ampleur inattendue au printemps. Face à l'afflux de passages aux urgences − 21,4 millions en 2017 −, les soignants ont décidé de ne plus subir. Coalisés autour du collectif de paramédicaux inter-urgences (CIU), des services vont se mobiliser partout en France. En juin, on en décompte déjà une centaine. Le gouvernement décide alors de réagir.
Agnès Buzyn débloque 70 millions d'euros juste avant l'été sous la forme de primes à destination des personnels non-médicaux avant la promesse d'un plan plus large sur la base des conclusions d'une mission confiée au député Thomas Mesnier et au Pr Pierre Carli. L'exécutif espère éviter la contagion et les préavis de grève.
C'est raté. À la rentrée 2019, le nombre de services mobilisés a doublé. Prise de court, Agnès Buzyn précipite l'annonce d'un « pacte de refondation des urgences ». Début septembre, elle promet un investissement de 754 millions d'euros sur trois ans et la création prochaine d'un service d'accès aux soins (SAS) universel pour réguler le recours aux urgences.
Pas de quoi calmer les grévistes. Le plan ne répond à aucune de leurs trois revendications phares : hausse des salaires de tous les soignants de 300 euros net mensuels, arrêt des fermetures de lits et recrutements massifs. Désormais fort de 250 ralliements − environ la moitié des services d'urgences publiques de France − le collectif inter-urgences appelle à une extension du mouvement à l'hôpital tout entier.
D'un collectif à l'autre
Il sera entendu. La fin du mois d'octobre voit naître le collectif inter-hôpitaux (CIH). Créé à l'initiative de 400 chefs de service, essentiellement franciliens, il se fixe pour objectif d'étendre la mobilisation aux différents étages de l'hôpital. En plus de reprendre les revendications des urgentistes, le CIH réclame la tenue d'états généraux et un plan immédiat pour sortir la tête de l'eau.
Les médecins entrent dans la danse. Plusieurs syndicats de praticiens hospitaliers (PH) appellent à la mobilisation. Sur le terrain, une grève du codage fait son chemin. Point d'orgue, le 14 novembre a lieu à Paris une manifestation unitaire à l'appel du CIH, soutenu par une dizaine d'organisations syndicales et de collectifs de soignants et d'usagers. Plusieurs milliers de blouses blanches battent le pavé. À la même période, les députés débattent du projet de loi de financement de la Sécu (PLFSS) pour 2020. Ce budget est vécu comme un affront par les grévistes qui demandent un objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) hospitalier en hausse de 4 %, contre les 2,1 % proposés...
Philippe monte au front
Craignant le pourrissement, Agnès Buzyn promet un « plan de soutien » pour l'hôpital public. S'engagent en coulisse d'âpres négociations entre Ségur et Bercy sur l'ampleur des mesures annoncées pour déserrer l'étau. C'est finalement Édouard Philippe, accompagné d'Agnès Buzyn, qui présente le 20 novembre le plan d'urgence pour l'hôpital. Au menu, 1,5 milliard d'euros supplémentaires sur trois ans, un ONDAM à 2,4 % jusqu'en 2022, la reprise d'un tiers de la dette des hôpitaux (soit 10 milliards d'euros sur trois ans) et une série de primes ciblées pour tous les soignants.
Las, mis à part les fédérations hospitalières (FHF et FHP), le remède Philippe est rejeté par les grévistes qui maintiennent la pression. Mardi 17 décembre, les blouses blanches étaient encore plusieurs milliers à défiler, au risque que ce mouvement hospitalier soit éclipsé par la journée d'action interpro contre la réforme des retraites. Les internes de leur côté sont en grève illimitée depuis le 10 décembre.
Mais le gouvernement veut croire en son plan. « Une bouffée d'oxygène énorme pour recruter, investir et monter des projets », a défendu Agnès Buzyn dans les colonnes du « Quotidien ». Pour Yasmina Kettal, représentante du CIU, le temps presse. L'infirmière sonne l'alerte : « Il y a une accélération de la crise, on ne sait pas si on va pouvoir gérer l'hiver ».
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