LE QUOTIDIEN : La réforme de l'accès à l'université s'applique dès cette année. Elle prévoit que des attendus et une lettre de motivation soient demandés aux bacheliers avant l’entrée en PACES. N’est-ce pas une forme de sélection ?
Pr JEAN SIBILIA : Il y a une régulation mais ce n'est pas une sélection au vrai sens du terme. Les réponses apportées aux bacheliers sont « oui » ou « oui mais » si les attendus ne sont pas tout à fait respectés. Nous sommes dans une procédure que l'on découvre au fil de l'eau. Les attendus en médecine sont génériques afin d'apporter de la souplesse. S'ils sont trop rigides, ça ne marchera pas et ça sera de la sélection.
Une équipe analysera l'ensemble des dossiers. Nous nous organisons pour être prêts. Nous verrons la réponse donnée en première ligne aux bacheliers puis on regardera le nombre de personnes en zone grise et nous leur répondrons dans un second temps.
En parallèle, un bilan des expérimentations d'alternatives à la PACES sera établi cette année. Plusieurs dispositifs existent tels que PluriPASS, l'AlterPaces et la Paces One. Le mode d'entrée en PACES va évoluer. Nous ne sommes pas fermés à une sélection avant l'entrée à l'université mais ça ne se fera pas sans les représentants des étudiants. Il faut les convaincre que c'est pour eux !
Le Premier ministre promet une réflexion « sans tabou » sur le numerus clausus. Quelle est votre position ?
Nous sommes en phase avec le numerus apertus [un seuil plancher, NDLR] et la disparition du terme numerus clausus car il est frustrant. La conférence veut maintenir une régulation. Plutôt qu'un numerus clausus national descendant annuel, nous souhaitons une régulation avec une modulation régionale, adaptée aux nécessités démographiques et calibrée sur les capacités d'accueil pédagogiques des facultés.
Le président de la République veut régler le problème du numerus clausus, les doyens veulent aussi changer les choses. D'ici la fin de l'année, les propositions devront être prêtes s'il y a une loi sur la formation.
Votre prédécesseur, le Pr Jean-Luc Dubois-Randé, a rendu sa mission pour améliorer le second cycle des études et l’accès au troisième cycle. Parmi les pistes : des stages extrahospitaliers plus précoces, moins de bachotage, une formation plus professionnalisante et surtout la suppression des ECN remplacées par un système de matching. Quelle est la priorité ?
Les arbitrages ne devraient pas tarder. Trois priorités se dégagent : d'abord la suppression des ECN sous leur forme actuelle. Il faut en finir avec ce couperet, déraisonnable et facteur de stress en deuxième cycle. Il faudra un système de régulation par région et par métier.
Ensuite, le parcours professionnel et le « matching », c'est-à-dire la capacité qu'on a à valoriser un projet professionnel construit par l'étudiant.
Enfin, les cours en médecine sont aujourd'hui volumineux. Ce n'est plus possible ! Il faut réduire le référentiel de connaissances et intégrer de nouveaux apprentissages tels que l'apport de l'intelligence artificielle, des objets connectés et de la télémédecine. Il faudra aussi une nouvelle docimologie pour vérifier l'acquisition des compétences.
L’internat nouvelle formule a démarré en novembre 2017. Quel premier bilan peut-on en tirer ? Des ajustements sont-ils attendus ?
C'est déjà un succès car la réforme a été mise en place dans des délais très courts. Pour les internes, c'est bénéfique. Ils sont encadrés, autoévalués et disposent de référentiels réels. C'est unique au monde !
En pratique, on constate toutefois plusieurs problèmes de détails pédagogiques et technologiques. En Ile-de-France, il faut encore travailler sur le logiciel de gestion de stages IMOtEP. Il faut mettre en place les portfolios mais aussi l'intégralité des enseignements transversaux universels (ETU) sur la plateforme UNESS [Université numérique en santé et sport, NDLR]. Nous sommes encore dans l'année de phase socle. Le vrai bilan sera dans trois ans.
LE QUOTIDIEN : Un rapport du Dr Donata Marra est attendu sur la qualité de vie au travail des étudiants en santé. Des études concordantes illustrent l’anxiété accrue et la prévalence des idées suicidaires chez les futurs médecins. Quel est votre plan d'action ?
Pr JEAN SIBILIA : La conférence des doyens n'est en aucun cas dans le déni. Nous sommes conscients du malaise au travail des étudiants qui est lié à l'évolution de la médecine et de la société. Il y avait une omerta sur un certain nombre de points, dont le harcèlement. Nous assistons à une libération de la parole et c'est tant mieux.
Les études de médecine exposent à des difficultés propres. Ce sont deux concours spécifiques et difficiles. Vous sortez des études par un classement qui conditionne votre vie.
C'est un métier difficile où vous êtes confrontés à la mort et la maladie. Il faut l'encaisser et ça ne s'apprend pas instantanément. Démarrer les stages plus tôt, faire de la simulation, modifier le mode d'entrée en PACES et supprimer les ECN réduira la souffrance des étudiants et améliorera leurs conditions de travail.
Et pour les internes ?
Pour le troisième cycle, nous avons déjà pris des mesures telles que le respect du temps de travail et du repos de sécurité. Nous sommes intraitables en ce qui concerne le non-respect de la loi et des règles mais aussi envers ceux dont le comportement ne serait pas exemplaire.
Nous avons des commissions de bien-être qui réunissent université et hôpital. La cellule de prévention et de lutte contre le harcèlement à Toulouse est une autre initiative intéressante. La conférence réalise une enquête afin de définir un modèle. Le harcèlement n'a pas lieu uniquement à l'hôpital, il peut exister aussi en ambulatoire.
Le débat sur les fresques dans les salles de garde revient régulièrement sur le devant de la scène. Faut-il mettre un terme à cette tradition carabine ?
Si on interdit les fresques, autant interdire le tableau « L'Origine du monde » ! C'est de l'esprit carabin. On se focalise sur les fresques mais le bizutage est bien plus grave car plus douloureux, avec une forme de maltraitance. Là, il n'y a pas de débat. Pour les fresques, on frôle une histoire de censure de la culture carabine.
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