Revenus 2012

Mauvais millésime

Publié le 12/09/2013
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Crédit photo : S TOUBON

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À quelques très rares exceptions, 2012 aura été un mauvais cru pour la profession. Les données fiscales issues des AGA (conférence des ARAPL) que « le Quotidien » détaille montrent une baisse du bénéfice imposable des généralistes (-0,9 %) et l’érosion ou la stagnation du revenu pour la grande majorité des autres spécialités. Les anesthésistes reprennent la tête du palmarès.

UNE ANNÉE À OUBLIER ou presque... Après un bon cru 2011, 2012 laissera un goût amer à la profession si l’on s’en tient au bénéfice imposable, selon le bilan fiscal de la conférence des ARAPL (associations régionales agréées des professions libérales) que « le Quotidien » s’est procuré.

Selon ces statistiques, qui portent sur des effectifs très significatifs dans toutes les disciplines (12 000 généralistes, 900 cardiologues, 820 radiologues, 830 ophtalmologues, 700 anesthésistes, 500 pédiatres…), le revenu déclaré en 2012 par les médecins libéraux (charges déduites mais avant impôt, donc) stagne ou régresse pour une grande majorité de spécialités (voir graphique sur l’évolution du BNC) dans un contexte d’activité atone et de saupoudrage tarifaire.

« Tous nos clients expriment cette morosité, confirme Pierre Giroux, président de l’ARAPL Picardie et responsable des statistiques fiscales pour les professions libérales. La hausse des charges a pesé lourd dans les comptes et, pour certaines spécialités, les résultats sont affectés par des reports de soins ou des baisses de cotations comme en radiologie ou biologie. Du coup, nombre de cabinets libéraux ou d’entreprises sont dans une position d’attente. 2013 devrait être une meilleure année ».

État des lieux et analyse.

• Médecine générale : après le rebond, le bouillon.

Les revenus 2011 s’étaient envolés (+7,7 %) sous l’effet du C à 23 euros permettant d’effacer les pertes des trois années précédentes. 2012 signe le retour d’un exercice déficitaire avec une baisse de près de 1 % du revenu imposable, à 84 200 euros (*).

Dans un contexte d’inflation proche de 2 % en 2012, ce piètre résultat confirme les données de l’UNASA (autre fédération d’AGA) dévoilées par « le Généraliste » fin juin qui faisaient également état d’un repli du BNC en médecine générale l’an passé. Ce résultat est également conforme au bilan 2012 de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM) qui relève, elle, une diminution de 1,2 % des remboursements de soins des 54 000 médecins généralistes libéraux.

Comment en est-on arrivé là ?

Si les recettes totales du généraliste sont quasiment stables d’une année sur l’autre (autour de 143 000 euros), le résultat net s’érode d’abord sous l’effet de la croissance des charges. Sur 100 euros d’honoraires, il ne reste au généraliste « que » 58,8 euros de bénéfice en 2012 (contre 59,2 euros un an plus tôt). Impôts et taxes (professionnelle notamment), loyers ou encore charges sociales personnelles et frais de gestion : tous les postes de dépenses sont en hausse de 2 à 5 %, grignotant le bénéfice du médecin de famille.

Un autre facteur a joué. Les modes d’exercice collectif (maisons de santé notamment), en plein essor, se traduisent mécaniquement par des investissements individuels (frais de secrétariat, charges) plus élevés qui se répercutent sur les revenus. D’où la revendication actuelle prioritaire de forfaits « structure » en médecine générale pour amortir le choc. Enfin, après un bon exercice (2011), les charges de l’année suivante sont mécaniquement plus élevées.

Sur le fond, la baisse du revenu généraliste s’explique à la fois par l’absence d’épisode épidémique important et l’absence de revalorisations significatives (la nouvelle visite longue ne pèse pas dans les comptes). Bref, ni effet volume, ni effet prix. L’année 2012 est en effet « coincée » entre la dernière hausse du C (2011) et les premiers dividendes de la nouvelle rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), ou paiement à la performance en 2013.

Du simple au triple

Dans le détail, les écarts de revenus en médecine générale vont du simple au triple. Le quart le moins bien loti émarge à 40 500 euros quand le quart le plus fortuné déclare 140 000 euros de bénéfice.

Malgré cet exercice décevant, le spécialiste de médecine générale consolide sa position dans la hiérarchie générale des revenus. Côté cliniciens, il reste loin devant le pédiatre, le gynécologue (médical), le psychiatre ou l’endocrinologue et s’installe désormais devant le dermatologue ou le spécialiste de médecine physique et de réadaptation (lire tableau des revenus ci-dessous).

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« Avec une activité en décroissance régulière depuis 2000, la médecine générale, malgré les promesses, n’a toujours pas les moyens de son exercice, analyse le Dr Claude Leicher, président de MG France qui réclame une clarification au plus niveau de l’État sur la future stratégie nationale de santé et les soins primaires.

2013 ? À l’évidence, ce devrait être un meilleur millésime. Épidémie de grippe saisonnière record en début d’année (3,5 millions de personnes d’après les données Sentinelles), nouvelle ROSP concrétisée par une prime moyenne de 5 365 euros, généralisation du forfait médecin traitant aux patients hors ALD au 1er juillet, actes longs et nouvelles majorations pour les consultations des plus de 85 ans… : autant de facteurs qui devraient doper le résultat fiscal du généraliste cette année.

• Mauvaise fortune pour la grande majorité des spécialistes

L’année 2011 avait été faste pour deux tiers des spécialistes. Comme en médecine générale, 2012 marque un coup d’arrêt. Dix des 23 spécialités étudiées ont subi une baisse de leurs revenus imposables l’an dernier. Cette douche froide concerne tout autant les spécialités cliniques que techniques. Mais elle est particulièrement marquée chez les dermatologues (-5,2 %), les radiologues (-6,7 %) et les médecins réadaptateurs (-9,7 %). Deux spécialités enregistrent une stagnation de leurs BNC (chirurgiens orthopédistes, rhumatologues).

Même chez les « gagnants », cinq disciplines voient leurs revenus augmenter moins vite que l’inflation. A l’exception notable des anesthésistes-réanimateurs, il s’agit donc d’un exercice peu reluisant. « 2012 a été médiocre, confirme le Dr Jean-François Rey, président de l’Union nationale des médecins spécialistes confédérés (UMESPE-CSMF). Les spécialités techniques ont connu une année blanche car il n’y a pas eu d’avancée sensible de leur nomenclature [CCAM]. Dans le même temps, la volonté de rattrapage affichée ces dernières années par l’assurance-maladie pour les cliniciens est restée insuffisante. Ils demeurent au bas de l’échelle des revenus, ne bénéficiant toujours pas de CCAM clinique. » De fait, les dermatologues, médecins réadaptateurs, psychiatres, gynécologues, pédiatres et endocrinologues continuent de figurer en queue de peloton.

De source syndicale, quelques spécialités (gastroentérologues, pneumologues...) ont tiré leur épingle du jeu en cotant davantage de C2 (avis de consultant) dont l’usage a été assoupli dans le courant de l’année 2011.

Le poids des charges.

De façon encore plus marquée qu’en médecine générale, l’envol des charges a rogné le BNC 2012 - loyers, impôts, taxes, primes d’assurance mais surtout charges sociales personnelles. La croissance de la totalité des frais, impôts et charges a même pris des proportions inédites (jusqu’à 8 % de hausse). Elle représente 4 400 euros supplémentaires pour un gynécologue, 4 200 euros pour un ophtalmologue, 4 500 euros pour un ORL, 4 400 euros pour un radiologue mais aussi 3 000 euros pour un pédiatre ou 2 600 euros pour un pneumologue.

Pourtant, la convention avait apporté son lot de revalorisations à une dizaine de disciplines. Sont entrés en vigueur en mars 2012 le cumul de la consultation avec un frottis cervicovaginal pour les gynécologues, l’augmentation de la consultation CNPSY à 2,7C pour les psychiatres, neuropsychiatres et neurologues, l’élargissement de la majoration consultation endocrinologie (MCE) de 10 euros aux patients diabétiques de types 1 et 2, le relèvement du forfait sécurité dermatologie (FSD) à 40 euros ou la création d’une majoration (MPE) de 3 euros à destination des pédiatres pour les consultations d’enfants de 2 à 6 ans.

Ces coups de pouce devaient donner un ballon d’oxygène aux « cliniciens », cela n’a pas suffi.

La crise a également pesé. Certains patients y regardent à deux fois avant de se rendre chez leur médecin. « Depuis deux ans, on constate un retard de consommation, c’est sensible chez les spécialités cliniques », assure le Dr Rey. La conjoncture a eu d’autres effets collatéraux. « Des patients "négocient" avec les praticiens, notamment, les chirurgiens, les dépassements à la baisse », poursuit le président de l’UMESPE.

Enfin, l’avenant 8 d’octobre 2012 a freiné l’évolution des dépassements, dont la croissance était jusque-là régulière. « Le taux moyen de dépassement des spécialistes de secteur II s’est enfin stabilisé en 2012 et dans les premiers mois de 2013 », confiait au printemps Frédéric van Roekeghem, directeur de l’assurance-maladie. Passé de 38 % en 2000 à 56 % en 2011, le dépassement facturé moyen est repassé sous la barre des 56 % l’an dernier. En 2012, 13 spécialités sur 24 ont connu une baisse du taux de dépassement moyen dont la gynécologie, l’ophtalmologie, et la psychiatrie, indique l’assurance-maladie.

Coup de rabot tarifaire.

Enfin, certaines disciplines ont souffert de mesures ciblées comme l’imagerie victime de nouvelles décotes tarifaires (radiologie conventionnelle, scanners, échographies et IRM). Le Dr Jacques Niney, président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR), précise que les radiologues ont, comme d’autres spécialistes, perçu une baisse du recours aux médecins correspondants. Les médecins réadaptateurs (-9,7 % de bénéfice !) partagent cette analyse du moindre recours, notamment dans le cas d’un exercice libéral isolé. Pour Dr Georges de Korvin, spécialiste de médecine physique et de réadaptation, l’activité en baisse est parfois consécutive à une décision des professionnels eux-mêmes, proches de la retraite, de lever le pied.

(*) Dans le réseau des ARAPL, les revenus des médecins sont traditionnellement légèrement supérieurs à la moyenne nationale mesurée par la CARMF (en raison d’un poids plus important du secteur II et des gros cabinets médicaux).

 CYRILLE DUPUIS ET CHRISTOPHE GATTUSO

Source : Le Quotidien du Médecin: 9262