Près de vingt ans après son adoption internationale, la Terminologia Anatomica peine à entrer dans les mœurs françaises ? Nouvel épisode d'une histoire des mots de la médecine riche en rebondissements…
Au IIe siècle de l’ère commune, Galien avait imposé avec son Institutiones Anatomicae, la première désignation scientifique qui nommait chaque structure anatomique par son nom – évidemment latin. Treize siècles plus tard, en 1539, Vésale publiait sa Fabrica, œuvre monumentale en sept volumes de 700 pages qui fit exploser l’Institutiones Anatomicae en corrigeant pas moins de 200 erreurs (Galien avait transposé à tort sur l’homme des travaux qu’il avait effectués sur le singe).
Dans la foulée, les médecins de la Renaissance commirent des versions vernaculaires de la Fabrica, avec autant de variantes. Si bien que se déclencha un mouvement inverse, le retour au latin, proposé comme une langue commune à tous les pays. Ce sont les anatomistes allemands qui se firent les promoteurs de cette langue médicale universelle, en adoptant dès 1895 la Nomina Anatomica de Bâle (BNA), avec un lexique de 5 000 mots latins. Les francophones et les Anglo-Saxons, d’abord réfractaires, finirent par s’y rallier : en 1955, la Nomina Anatomica Parisiensis (PNA) était à son tour choisie. Et en 1998, le Federative Committee on Anatomical Terminology consacrait par un vote à l’unanimité la Terminologia Anatomica (T.A.).
La T.A. ne présentait que des avantages : elle est plus précise que l’ancienne désignation. Par exemple, elle réserve le nom de canal aux structures tubulaires qui livrent le passage à plusieurs éléments (canal carpien, canal vertébral), alors que le terme de conduit n’en contient qu’un (cystique, parotidien…). La fascia (gaine fibreuse périmusculaire) ne peut plus être confondue avec l’aponévrose, qui désigne une lame fibreuse sur laquelle s’insère un muscle avec la signification fonctionnelle d’un tendon. À la différence du Corps de Luys, le noyau subtalamique indique sa position sous le talamus, les préfixes permettant de tout de suite situer les structures. Les noms propres sont systématiquement éradiqués : exit le canal de Sténon, qui devient le conduit parotidien, le canal de Wharton étant rebaptisé conduit submandibulaire.
Une langue profitable à tous.
Du coup, beaucoup de confusions ou d’abus de langage ont disparu, tout comme les variations de désignations selon les pays. La TA est parfaite pour la mondialisation. Même si de rares incohérences ou incongruités subsistent, comme le relève le Pr Olivier Trost (Rouen), son bénéfice profite également à tous : « Aux cliniciens, avec le partage des expériences dans un langage enfin commun ; aux chercheurs, avec les publications internationales qui parlent obligatoirement la T.A.. Et aux étudiants, l’homogénéité terminologique étant d’autant plus appréciable et nécessaire que les ECN utilisent maintenant un système informatisé. »
Mais alors, si soigner, chercher et apprendre sont gagnants, comment expliquer que, près de 20 ans après l’adoption de la T.A. et plus de 60 ans après celle de la PNA, qui la préfigurait, malgré des efforts de francisation, la réforme n’ait toujours pas réussi à s’imposer, à l’heure d’internet et de la quasi-instantanéité de la diffusion de l’information à l’échelle mondiale ? Tous les dictionnaires entérinent en effet la persistance du bilinguisme anatomique français, T.A.-Fabrica. Certes, ils se réclament tous de la T.A.. À commencer par la Bible française de l’anatomie, le Rouvière, qui l’a adoptée en 2004. Mais la révolution terminologique est un combat : « On tente d’expurger l’ancienne désignation de la prochaine édition du Garnier Delamare à paraître en 2017 », confie-t-on chez Maloine. Et à l’instar du nouveau dictionnaire en ligne de l’Académie nationale de médecine, qui recycle toutes les définitions éparses qui figuraient dans les 15 volumes de ses éditions papier spécialisées, les anciennes désignations sont toujours en place : parmi les 59 381 entrées, beaucoup renvoient à la T.A. avec la mention syn. anc. (synonyme ancien). Exemple : « Péroné : syn. anc. de Fibula ». Et aucun dico ne se permet de faire l’impasse sur un lexique.
Charme quasi poétique
Qu’est-ce qui coince et fait dire à un PU-PH comme le Pr Philippe Bertheau, jeune quinquagénaire qui enseigne l’anatomo-pathologie à Paris VII, : « À mon niveau, j’utilise encore l’ancienne désignation, peut-être tout simplement parce que, si je suis disposé à changer de vocabulaire pour quelque chose de nouveau, je ne perçois pas nettement l’intérêt de changer quand un nom existe déjà et qui est compris de tous. » Sans parler de la nostalgie d’une langue qui avait son charme, quasi poétique (anse de Galien, ou trompe d’Eustache, épitrochlée, épicondiyle…), la force de l’habitude s’ajoute à celle de la langue usuelle et populaire pour entraver la T.A. : le patient comprend quand on lui annonce qu’il a une fracture du cubitus alors que la fracture de l’ulna ne dit rien au blessé.
« Il y a un problème de commodité et de communication, observe le Pr Vincent Delmas (Bichat-Paris V), qui a mis à jour la 15e édition du Rouvière (supervisé précédemment par son père, le Pr André Delmas). Les étudiants qui ont appris la T.A. en PACES se retrouvent en deuxième année au contact de paramédicaux qui, eux, ne connaissent que les termes anciens. Forcément, ils doivent les utiliser pour se faire comprendre. » « Et encore faudrait-il, relève le Pr Jacques Chevallier, qui supervise le Précis de terminologie médicale, que tous les professeurs d’anatomie enseignement bien la T.A.. En fait, seuls les chirurgiens se sont vraiment approprié les nouveaux termes. »
Pour imposer la TA, « les sociétés savantes devraient enfin cesser de valider des communications avec l’ancienne terminologie, préconise le Pr Delmas. Or, le temps passe et leurs et cela ne semble décidément pas être leur priorité. À défaut d’une campagne qui pourrait être lancée par le ministère de la Santé pour emporter l’adhésion de l’ensemble des médecins, des paramédicaux et pourquoi pas la sensibilisation du grand public, on reste aujourd’hui dans une situation intermédiaire de coexistence des deux nomenclatures, ce qui ne facilite certes pas la compréhension. »
La nouvelle nomenclature, donc, prend son temps. Tout son temps. « Il faut encore attendre une nouvelle génération de profs, pronostique le Pr Chevallier. Dans vingt ans, tout devrait être réglé. » « Dix ou vingt ans de patience, confirme le Pr Delmas. On ne peut pas brutaliser les médecins et les infirmières. C’est dommage, car comme disait Camus, mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
« La situation est enrageante, lâche le Pr Trost. Avec les lexiques et le bilinguisme général, on est pris aujourd’hui dans un cercle vicieux qui pervertit l’intérêt de la T.A.. » La rationalisation semble en panne.
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