Entretien

Pr Jean-Pierre Vinel (président des doyens) : « Une des forces de la formation médicale française est sa professionnalisation »

Publié le 19/06/2014
Article réservé aux abonnés
LE QUOTIDIEN : Lors de votre prise de fonction, vous avez souligné la nécessité d’adapter les études médicales aux nouveaux outils d’apprentissage (simulateurs, serious games). Les facs de médecine sont-elles ringardes ?

Pr JEAN-PIERRE VINEL : Non. On ne peut pas leur faire ce reproche ! Les facs de médecine viennent d’essuyer 5 réformes en 5 ans. Le cursus médical va être complètement refondu. Les ECN vont être informatisées. On est sur un changement de méthode pédagogique avec un principe qui s’impose : « jamais la première fois sur le patient ». Cela impose la mise en place de procédés de simulation. L’enseignement se fait de plus en plus sous forme de travaux dirigés. Dans la plupart des facultés et des disciplines, les cours magistraux ont disparu et les étudiants travaillent en petits groupes de façon interactive.

Vous souhaitez renforcer l’apprentissage du travail en équipe pendant l’internat. Pourquoi ?

Les médecins ne veulent plus s’installer seuls au fond de la campagne pour travailler 70 heures par semaine. Ils cherchent des installations dans un groupe pluridisciplinaire. C’est une bonne chose.

Il y a une dizaine d’années, nous étions confrontés à des pathologies aiguës avec l’objectif de la guérison. Aujourd’hui, on voit davantage de patients âgés polypathologiques. Cela suppose l’intervention de kinésithérapeutes, d’ergothérapeutes, d’infirmières spécialisées, de métiers qu’il va falloir inventer. Il nous faut penser à réorganiser l’offre de soins à l’hôpital. En dépit de la mise en place des pôles, on a toujours des disciplines avec des chefs de service, des unités identifiées pour traiter telle ou telle maladie. Il faut réfléchir à une organisation polyvalente avec une meilleure coordination entre les services.

La prochaine loi de santé prévoit de réformer le 3e cycle du cursus médical. Qu’en attendez-vous ?

L’objectif de la refonte du 3e cycle est de ne pas augmenter la durée des études et d’amener au diplôme des étudiants qui sont complètement formés après une prise de responsabilité progressive. On se trouve aujourd’hui dans une situation paradoxale où des jeunes arrivent au diplôme, pour prendre une position de senior, alors qu’ils sont toujours en formation dans le cadre d’un DESC. Le post-internat doit être réservé à des gens qui ont un diplôme de plein exercice de leur spécialité. Cela amène à supprimer les DESC.

La loi de santé prévoit de réformer la PACES avec la création d’une licence santé. Qu’en pensez-vous ?

Je suis très réticent. Une des forces de la formation médicale française est sa professionnalisation. Ceux qui sont reçus en PACES arrivent deux mois plus tard dans un service hospitalier. Attention à ne pas remettre en question cette professionnalisation en portant à trois ans le sas d’entrée aux études de médecine.

Le numerus clausus est contourné de toutes parts. Faut-il le supprimer ?

Derrière la régulation du nombre se pose la question de la sélection des étudiants. On recrute à 75 % des bacs S, mention très bien. Cela veut dire que le concours recrute ce qui se fait de mieux dans l’enseignement secondaire ! Il sélectionne des gens qui ont une grande capacité de travail et qui comprennent vite.

On peut reprocher la brutalité du concours et la somme de connaissances à ingurgiter dans un temps très bref. Ce type de sélection est-il le meilleur moyen de garder ceux qui seront les meilleurs médecins plus tard ? Peut-être ne faut-il plus sélectionner en fonction du nombre d’étudiants à garder mais en fonction d’objectifs pédagogiques prédéfinis...

Le gouvernement envisage de limiter l’accès à l’internat. Y êtes-vous favorable ?

Oui car aujourd’hui un étudiant peut passer les ECN sans parler français et rendre copie blanche ! Il sera quand même classé, pourra faire son internat et avoir son diplôme. Des médecins sont incapables d’interroger un malade faute de maîtriser la langue : cela pose un problème. Par conséquent, il faut des garanties sur la qualité. L’idée d’une note éliminatoire fait débat chez les doyens. Une note plancher serait une option pour essayer de réguler l’entrée en 3e cycle de gens qui ne sont pas compétents. C’est un sujet dont nous devons débattre.

Les ECN doivent être informatisées en 2016. Ce délai peut-il être tenu ?

Ce changement ne s’improvise pas. Les étudiants de DFASM 1 (4e année) ont été formés cette année avec des examens sur tablettes pour ne pas être désarçonnés par les cas cliniques progressifs qui seront proposés dans les iECN (avec la possibilité d’inclure de la vidéo, des images, du son...) Il sera très difficile de revenir en arrière. Il y a beaucoup d’angoisses mais on réglera les problèmes techniques, je suis optimiste. Les ECN classent très mal les étudiants, le système de mots-clés est absurde. On est arrivé à une situation qui n’est plus acceptable ni par les enseignants, ni par les étudiants.

Propos recueillis par Christophe Gattuso

Source : Le Quotidien du Médecin: 9336