Guitare sèche et whisky. Le jeune homme barbu court rejoindre sa tribu du Kremlin-Bicêtre, tout de rose vêtue, la couleur de la fac. Son style détonne parmi la petite centaine d’étudiants en médecine qui bordent l’imposante entrée du centre d’examen de Villepinte, au nord de Paris. Ici, on tourne plutôt au Red bull et à la bière, au rythme de la grosse caisse.
Midi et la lecture critique d’article, dernière épreuve de l’édition 2015 des épreuves nationales classantes (ECN), est passée. Dans l’immense amphithéâtre, 2 000 étudiants attendent impatiemment qu’on veuille bien les débarrasser de leurs dernières copies. À l’extérieur, les faluchards renforcent les stocks de leurs différentes facultés à coup de packs, déversés dans des piscines gonflables aux motifs enfantins, éphémères frigos remplis d’eau fraîche. Les Blouses brothers de Paris 7 s’échauffent. En retrait, quelques parents attendent leur progéniture.
Midi trente, l’explosion. Pleurs, embrassades. Les bras des amis se tendent. « C’est fini ! » entend-on hurler de joie toutes les trois minutes. Margaux, 25 ans, n’en revient pas. « Trois ans qu’on en c…, et ça y est, c’est fini ! », dit-elle dans un grand sourire. « Soulagée », l’étudiante de Paris-Ouest aimerait devenir « cardiologue, au mieux ». Trop tôt pour y penser. L’heure est au vidage de tête et de bouteilles.
Spécialité chômeur
Sur le parvis, toutes les fanfares jouent ensemble. Caroline, 25 ans et Chloé, 24 ans, ondulent de plaisir. Ces prochains mois, avant de prendre leurs fonctions d’interne en novembre, elles verront leurs amis, mis de côté cette année pour cause de bachotage extrême. Et ce sera tout, en attendant de respectivement entamer, espèrent-elles, un nouveau cycle d’études en oncologie et en médecine générale. Comme tous, elles ont la tête ailleurs.
« Personne n’a envie de planifier son été après une année à remplir chaque jour son calendrier de révisions, confirme Fred, étudiant de 26 ans du Kremlin-Bicêtre, lunettes de soleil vissées sur le crâne. Ma seule certitude ? Je vais boire des bières. Mais je ne sais ni avec qui, ni quand, ni où, ni comment ! ». Son compère Thomas, même âge, va consacrer ses cinq prochains mois à « rencontrer [s]on prochain ». Yourick, 24 ans, va dormir. Son choix de spécialité ? « Chômeur », raille-t-il, hilare.
Stéphanie, 23 ans, externe à Bobigny, sera quant à elle faisant fonction d’interne (FFI) à Briançon (Hautes-Alpes) pendant deux mois. Comme beaucoup, elle n’a pas encore tranché quelle sera sa future spécialité. Trop tôt. « C’est le choix d’une vie, explique-t-elle. Et tout dépend tellement du classement final… ». Impossible de s’entendre, les trompettes entament la bande originale du film « Pulp fiction », la température monte d’un cran. Les plus sages se dirigent vers la station de RER ou le parking. Ceux qui restent s’interrogent sur leur avenir. Où passer l’après-midi en attendant le soir et son lot de débauche&?
Peur du vide
Derrière cette soif de fête se profile pour certains la peur du vide, de l’inconnu. En général, Samuel « évite les gens qui pleurent », ennuyeux et tristes, mais cela ne l’immunise pas du coup de bambou post ECN. « Je ne réalise pas trop, raconte calmement ce grand gaillard de 23 ans, casquette rouge à l’envers. La semaine prochaine, personne ne saura quoi faire. Ça sent la dépression ».
L’étudiant un brin cynique de Paris 5 se destine à l’anesthésie. Pour lui, ces trois jours d’examens ont été « très sympas ». « On a bien rigolé », lâche-t-il, mi-figue mi-raisin. Et de saisir un verre au vol : « On n’est pas rentrés ».
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