En quatre ans, le constat s’est aggravé et les solutions peinent toujours à se mettre en place. Dans le cadre d’un colloque, organisé à l’Assemblée nationale, sur la santé mentale des étudiants en médecine, ces derniers présentaient les résultats de leur grande enquête nationale. Menée par les organisations étudiantes (Anemf, Isnar-IMG et Isni), elle met à jour celle réalisée en 2017. Et, les choses ne se sont pas améliorées, bien au contraire. « Derrière ces chiffres on vous demande de ne pas oublier les visages de ceux qui souffrent souvent en silence », a introduit Gaëtan Casanova, président de l’Isni.
L’enquête menée pendant six semaines entre mai et juin 2021 a analysé les réponses de 11 754 étudiants et internes en médecine (3 167 étudiants en 1er cycle, 4 785 en 2e cycle et 3 764 internes). Et les résultats sont vertigineux. 75 % des répondants présentaient des symptômes anxieux (mesurés sur les sept derniers jours précédant le questionnaire), 39 % des symptômes dépressifs. Un étudiant sur quatre déclarait un épisode dépressif caractérisé (sur les douze derniers mois), et un sur cinq avait eu des idées suicidaires.
Et ces chiffres sont d’autant plus inquiétants qu’ils montrent une aggravation de la santé mentale des étudiants en médecine depuis quatre ans (voir infographie ci-dessous). Si un effet crise sanitaire ne peut pas être écarté, ces résultats font écho aux alertes que lancent les futurs professionnels de santé depuis des mois, voire des années.
« J’ai du consulter ma médecin généraliste plus d’une dizaine de fois après un mois d’idées noires et de pleurs constants toute la journée, et l’impossibilité de réviser. J’ai été mise sous antidépresseurs Venlafaxine pour une durée de six mois jusqu’au concours », témoigne ainsi une étudiante du 2e cycle.
Des violences systémiques
Par rapport à l’enquête de 2017, les organisations étudiantes ont souhaité aller plus loin en mesurant d’autres données. L’étude permet ainsi de savoir que 39 % des étudiants du premier cycle rapportent des signes de burn-out et plus de deux tiers des externes et internes (67 %).
« J’ai l’impression d’être devenue un robot qui passe ses journées à ne rien faire d’autre qu’apprendre des livres. Je culpabilise dès que je m’autorise une journée ou un week-end de repos », raconte un étudiant du 2e cycle.
Ces nouveaux résultats confirment les données de l’étude récente de l’Anemf qui montraient que les violences étaient monnaie courante pendant les études médicales. Ainsi, un étudiant sur quatre a subi des humiliations (23 %) ou du harcèlement (25 %), et 4 % révèlent avoir été victime d’une agression sexuelle.
« À deux reprises dans deux stages différents j’ai eu des médecins hommes un peu trop tactiles de type massage sans autorisation, évidemment main sur la cuisse et des comportements de type clin d’œil, regards insistants… », témoigne une étudiante dans l’enquête. Sur les violences sexistes et sexuelles, l’enquête montre que dans 76 % des cas elles ont lieu à l’hôpital et sont le fait six fois sur dix de « médecins thésés »
« Les résultats de cette enquête démontrent le caractère systémique des violences et des risques auxquels les étudiants en médecins sont soumis », souligne Mathilde Renker, présidente de l’Isnar-IMG.
Et effectivement, l’enquête s’intéresse aux facteurs de risque liés à un épisode dépressif caractérisé. On y retrouve notamment le temps de travail hebdomadaire en stage. Une majorité des internes (51 %) déclarent ainsi travailler plus de 50 heures par semaine, dont 8 % plus de 70 heures. Les externes sont 56 % à faire plus de 20 heures hebdomadaires en stage à mi-temps.
« Les gardes de 24 heures voire plus sont épuisantes et nuisent clairement et objectivement à notre santé psychique mais aussi physique d’autant que les moyens techniques donnés pour assurer notre travail sont vraiment indignes », témoigne un interne.
Parmi les autres facteurs de risque, il faut aussi noter les difficultés financières ressenties, preuve que la santé mentale englobe des problématiques multiples. « Le facteur financier est à prendre en compte, explique Nicolas Lunel, président de l’Anemf. En tant qu’externe quand on touche 200 euros par mois, nous n’avons pas la capacité de vivre de nos études ni d’avoir un autre emploi à côté »
Une action politique attendue
Cette nouvelle enquête s’ajoute à la liste des témoignages et chiffres mis en avant depuis un moment pour les étudiants pour demander enfin des actions. « Pour continuer à prendre soin des autres demain, il faut prendre soin de nous aujourd’hui », avance Mathilde Renker.
Le député Thomas Mesnier, présent lors du colloque, a salué l’enquête qui permet de « briser un tabou ». « Il faut aller plus loin et permettre une vraie prise de conscience. Ce n’est pas être faible de dire que ça va mal », a-t-il souligné.
Mais le constat n’est pas nouveau, alors aujourd’hui les étudiants attendent plus « afin de ne plus publier d’enquête pour dire que ça va mal », pointe Nicolas Lunel.
Preuve que les solutions proposées et réclamées par les étudiants commencent peut-être enfin à avoir un écho du côté du gouvernement, la participation au colloque des deux ministres de tutelle. Frédérique Vidal (à distance) et Olivier Véran ont tous les deux rappelé les mesures engagées depuis quelques mois.
La ministre de l’Enseignement supérieur a répété les deux mots d’ordre « engagement total et tolérance zéro » contre « une situation inacceptable sur laquelle on ne peut pas fermer les yeux ». Elle a mis en avant le plan national contre les violences récemment annoncé, les retraits d’agréments de terrains de stage récemment mis en place, ou encore l’évolution du centre national d’appui.
Olivier Véran, lui aussi, a déclaré que la santé mentale dans son ensemble était « un sujet préoccupant majeur pour le gouvernement ». Pressé par les étudiants d’agir enfin pour faire respecter le temps de travail des internes, il a annoncé que les résultats de l’enquête lancée par le ministère cet été seraient révélés d’ici 15 jours. Quant au dispositif qui permettra de mettre en place des sanctions financières en cas de non-respect du temps de travail, il a redit qu’il devrait être mis en place en 2022.
De manière générale il a rendu hommage à la détermination des étudiants sur ce sujet qui a permis de faire bouger les choses. « Si vous n’aviez pas été là pour impulser ce changement, probablement que cela aurait pris plus de temps ».
« L’accès au secteur 2 pour tous, meilleur moyen de préserver la convention », juge la nouvelle présidente de Jeunes Médecins
Jeu concours
Internes et jeunes généralistes, gagnez votre place pour le congrès CMGF 2025 et un abonnement au Quotidien !
« Non à une réforme bâclée » : grève des internes le 29 janvier contre la 4e année de médecine générale
Suspension de l’interne de Tours condamné pour agressions sexuelles : décision fin novembre