Si « Le Généraliste » était paru en juin 1910

Le concours de l'agrégation vit-il ses derniers moments ?

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Publié le 08/06/2016
Histoire

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À la demande de l’Association corporative des étudiants en médecine, notre excellent ami le Pr Verger est venu nous parler de l’agrégation. Le nombre des assistants pressés dans le grand amphithéâtre de l’Athénée disait à quel point une telle question intéresse étudiants et médecins.

Le concours d’agrégation touche-t-il à ses derniers moments, ou rajeuni va-t-il vivre longtemps encore ? Appelé à nous donner son avis sur cette délicate question, le professeur agrégé l’a fait avec une autorité, une compétence et une précision qui en ont vivement imposé à l’auditoire. Tous les points faibles de l’ancien concours, toutes ses plaies ont été minutieusement scrutées. Tous ses bons côtés ont été mis en évidence, si bien qu’en sortant les nombreux auditeurs connaissaient à merveille toutes les pièces du procès pendant depuis tant d’années...

Privatdocentisme : un concept venu d’outre-Rhin
« On veut, nous a dit le conférencier, remplacer l’agrégation par le privadotcentisme ; mais, avant de se gargariser sans cesse avec ce grand mot venu d’outre-Rhin, encore faudrait-il savoir ce qu’il veut dire. Combien en parlent sans le connaître !
En principe, tout médecin allemand peut demander à être privatdocent. En fait, n’est accepté par le Conseil de l’Université que tel ou tel assistant choisi par le professeur. Celui-ci est omnipotent et n’a à rendre compte à personne de ses préférences. La nomination du privatdocent n’a lieu qu’après soutenance d’une thèse et après une leçon de trois quarts d’heure dont le sujet est choisi par le candidat lui-même.
Si l’on songe que ne sont appelés à passer ces épreuves que les candidats ou plus exactement le candidat agréé par le professeur, on comprend tout de suite que privatdocentisme et libre choix sont synonymes. On en voit d’ici tous les gros inconvénients. Ils sont tels que, mieux éclairés, les plus chauds partisans du privatdocentisme allemand n’en veulent plus aujourd’hui pour remplacer notre ancienne agrégation. Et puis le système allemand est-il conforme à nos idées françaises ? Tout privatdocent doit être riche, ce n’est pas la rémunération dérisoire qu’il reçoit de ses élèves qui peut lui permettre de vivre. Accepterions-nous dans notre pays une institution qui ferme la porte de la Faculté à tous les jeunes gens peu fortunés quelles que soient leur capacité et leur attitude professionnelle ? Non. Il est par tous condamné et ne saurait persister tel qu’il est. »

Trop de favoritisme
 Le seul point à résoudre est de savoir dans quel cas il doit être modifié pour être à l’abri de toute critique. Le premier reproche qu’on ait fait à l’agrégation est de laisser par trop fleurir le favoritisme. Connaissant le jury, on sait presque toujours à l’avance que les candidats seront nommés: c’est immoral. On peut répondre à cela, nous dit le conférencier, qu’on fait bien aussi des pronostics aux courses et que, bien souvent, ces pronostics se réalisent. Cependant, d’une façon générale, un président du jury, choisissant lui-même les juges, est par trop exposé à la tentation de partialité, et l’un des premiers résultats de la campagne contre l’agrégation a été un changement dont on doit se féliciter : c’est la nomination des membres du jury par le tirage au sort.

Ce tirage constitue une première garantie d’impartialité. L’attribution des notes après chaque épreuve en est une seconde. Si l’on tient compte du rôle important que joue l’assistance au concours d’agrégation, de l’espèce de contrôle qu’elle exerce, on voudra bien reconnaître que les juges se verront tenus à ne point se laisser guider désormais par la seule cote d’amour.

Peut-être pourrait-on avoir d’autres garanties encore avec la création d’une ou de plusieurs épreuves anonymes. On voudra bien admettre cependant que le concours fait su ces nouvelles bases apparaît très supérieur au système du libre choix où la fantaisie et le népotisme fleuriront tout à l’aise.

Et puis nous avons le devoir de défendre le principe du concours tout en cherchant à le perfectionner. Le jour où le concours d’agrégation sera aboli, on ne sera pas loin aussi d’abolir tous les autres, et le concours pour la nomination des médecins et des chirurgiens des hôpitaux et celui de l’internat. Leur vigoureuse défense par ceux-là qui battent en brèche le plus violemment le concours d’agrégation dit assez ce que perdraient la science française et l’intérêt général, le jour où, à la suite de l’agrégation, ils seraient appelés à disparaître.

Un examen trop livresque
Pour se présenter au concours d’agrégation, ont dit encore les praticiens, il faut une préparation par trop livresque. Les étudiants, les futurs médecins, n’ont pas besoin de théories, de belles leçons ex cathedra, il leur faut de la pratique. Or le nouvel agrégé s’est surtout préparé dans les livres. Il n’a pas l’éducation nécessaire pour former des praticiens.

Sans doute, a répondu le conférencier, le futur agrégé a besoin d’être capable de fournir un enseignement pratique aussi bien que théorique, et il faut bien reconnaître que le concours actuel attache trop peu d’importance aux épreuves cliniques et aux épreuves de laboratoire.

Jusqu’ici, on les a tenus pour négligeables. Mais n’est-ce pas parce que presque tous les candidats sont d’anciens préparateurs, des chefs de travaux, des médecins ou des chirurgiens des hôpitaux ?

Au surplus, il serait facile d’avoir des garanties plus importantes, en exigeant, par exemple, des candidats un stage de plusieurs années dans des services de cliniques et dans les laboratoires avant de pouvoir se présenter à l’agrégation.

Quant à dire que la préparation livresque est stérilisante, c’est peut-être excessif. Les étudiants n’ont-ils pas un meilleur professeur en la personne d’un agrégé qui aura approfondi toutes les questions théoriques qu’en celle d’un privatdocent bombardé professeur au libre choix ou à la suite de travaux personnels restés très spéciaux ?

Il faut reconnaître cependant qu’une préparation théorique trop prolongée est mauvaise. Mais alors pourquoi ne pas revenir humblement au projet Bouchard, si vilipendé et pourtant si sage ? Le candidat fait une fois pour toutes ses preuves de connaissances théoriques suffisantes ; elles sont reconnues par un examen ou un concours comparable à celui qui crée les médecins spéciaux belges ; puis, il ne lui reste plus qu’à s’adonner à la pratique, à la préparation pédagogique et aux travaux personnels sur lesquels il sera ultérieurement jugé.

En dernier lieu, on a reproché à l’agrégation de créer un monopole. Cet argument pourrait-il être soutenu à Bordeaux, nous dit le conférencier, où tant de personnalités marquantes ont été appelées au professorat sans jamais être passées par l’agrégation, et partout ailleurs n’en est-il pas de même ? Depuis quand est-il nécessaire d’être agrégé pour pouvoir se présenter à une chaire vacante ? Que reste-t-il alors de l’argument ?

Monopole ? Peut-on vraiment crier encore au monopole quand on voit médecins et chirurgiens des hôpitaux contribuer largement à l’enseignement des élèves et le nouveau décret relatif à l’enseignement supérieur prévoir leur rémunération comme chargés de cours ?

Enfin, tout docteur en médecine n’a-t-il pas le droit en France, aussi bien qu’à Genève, de faire des cours libres dans les locaux mêmes de la Faculté ? La seule condition est d’être autorisé par le Conseil de la Faculté, ce qui est toujours fait.

Mais alors, ne serait-il pas sage d’adopter la conclusion de Menciere (de Reims): puisque les deux enseignements existent en France, agrégation et enseignement libre, laissons-les subsister tous les deux ; favorisons-les également, cela constituera une véritable expérience. De lui-même, celui des deux enseignements qui répondra le moins bien aux nécessités des élèves s’effondrera et disparaîtra.

On nous pardonnera de ne donner ici qu’un bien pâle reflet de l’exposé et de l’argumentation si lumineuse de notre ami Verger. Les applaudissements chaleureux qui ont accueilli sa péroraison lui ont montré combien il avait intéressé son auditoire et à quel point on avait apprécié sa manière impartiale de juger l’agrégation.

(Journal de médecine de Bordeaux, 1910)


Source : lequotidiendumedecin.fr