Dossier

Patients vulnérables

La continuité des soins menacée par le Covid-19 ?

Par Camille Roux - Publié le 24/04/2020
La continuité des soins menacée par le Covid-19 ?

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GARO/PHANIE

Le confinement a permis de ralentir la progression du coronavirus mais il suscite par ailleurs des inquiétudes. Discours politique peu clair, peur de consulter… Les généralistes observent une nette baisse de la fréquentation des cabinets et la médecine de ville craint que des retards de soins aux effets délétères pour les patients les plus fragiles soient observés après la crise.

Depuis le début de la crise sanitaire liée au Covid-19, la sémantique de la guerre a beaucoup été utilisée par le gouvernement et le sort des patients non Covid pourrait bien représenter une bombe à retardement. Depuis plusieurs semaines, médecins et patients tirent la sonnette d'alarme. La baisse de fréquentation des cabinets de médecine générale, évaluée à 40 % en moyenne par l'Assurance maladie, représente avant tout un danger pour les patients souffrant de maladies chroniques. Dimanche dernier, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a confirmé que les consultations médicales, la vaccination des enfants et les dépistages de cancer ont baissé de façon importante et inquiétante.

Un récent sondage réalisé par Doctolib les 14 et 15 avril vient appuyer ces inquiétudes. Depuis le début de l'épidémie, un tiers des patients (sur 4 000 interrogés) aurait renoncé au moins une fois à consulter, et ce malgré les différentes dispositions prises par le gouvernement et les professionnels pour assurer la continuité des soins. Malgré l'assouplissement des règles de téléconsultation – dont le nombre a bondi pendant l'épidémie – et l'organisation des professionnels de santé dans les territoires pour sécuriser les parcours de consultation et envoyer les patients symptomatiques dans des centres Covid-19, les Français boudent encore (trop) les cabinets. La peur d'être contaminé sur place et la crainte de déranger le praticien figurent en tête des raisons invoquées par la population, selon l'enquête Doctolib. Ce phénomène serait ainsi l'un des dommages collatéraux du confinement.

Incohérence du discours politique

Le président du Conseil scientifique chargé d'éclairer les décisions du gouvernement pendant la crise, le Pr Jean-François Delfraissy, a affirmé la semaine passée devant l'Assemblée nationale qu'une « série de surmortalités liées aux conséquences indirectes de Covid-19 » et donc au confinement était à craindre. Des propos qui viennent confirmer ce que les organisations syndicales pointent du doigt depuis plusieurs semaines déjà. Pour connaître la source de cette inquiétude, il faut revenir au discours prononcé par le Premier ministre Édouard Philippe le 23 mars dernier. Alors que celui-ci annonce devant les Français un confinement plus strict, le locataire de Matignon enjoint aussi les citoyens à ne se déplacer chez le médecin que pour des soins « urgents ». Un propos jugé dangereux par les représentants de médecins.

Le Collège de la médecine générale (CMG) s'en est tout d'abord ému quelques heures après ce discours. « Les médecins généralistes veulent lancer l’alerte sur le risque, suite à cette annonce, de délaisser les soins de santé primaire », écrivait le CMG, assurant que les médecins de famille ont organisé leurs cabinets « pour offrir les meilleurs soins possible, que ce soit pour gérer les patients suspects de Covid-19 ou les soins courants ».

Le syndicat MG France, présidé par le Dr Jacques Battistoni, faisait également part de ses craintes et assurait que cet éloignement des cabinets des malades chroniques et des personnes âgées « suscite colère et frustration chez l'ensemble des généralistes, qui ont observé cette baisse d'activité et s'inquiètent pour la santé de leurs patients ». « On prend un risque énorme avec les pathologies chroniques. Il faut absolument dire aux Français de contacter leur médecin traitant dès qu'ils ont un doute ! », martelait pour sa part le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF.

Renouvellement direct en pharmacie pointé du doigt

Des praticiens demandent par ailleurs que l'une des mesures exceptionnelles prises par le gouvernement au début du confinement pour faciliter l'accès aux soins soit abandonnée : la possibilité, pour les patients suivant un traitement pour une affection chronique, de renouveler une ordonnance expirée en pharmacie. L'URPS médecins libéraux d'Auvergne-Rhône-Alpes estime que cette disposition participe au phénomène d'éloignement des patients lourds des cabinets de médecine générale. Le syndicat MG France a rejoint ce mouvement et alerté sur les dangers d'un renouvellement « à l'identique ». Il demande à tous les pharmaciens de ne pas renouveler les ordonnances périmées « sans contacter au préalable le médecin traitant qui, seul, doit pouvoir autoriser ou pas le renouvellement de l'ordonnance dans ces conditions ».

Les associations de patients se sont également mobilisées pour alerter les politiques sur les conséquences d'un tel discours. Un communiqué commun de l'Union régionale URPS médecins libéraux des Hauts-de-France et de l'antenne locale de France Assos Santé a ainsi appelé la population à se rapprocher de son médecin généraliste au moindre doute. « Il est possible, dans le cadre de l’épidémie du coronavirus, non pas de renoncer à des soins, mais bien de reporter ces derniers. Or, ce report ne doit se faire qu’après en avoir reçu la confirmation par les médecins qui vous suivent habituellement », précisent les deux organisations.

Le bureau national de France Assos Santé a également formulé des propositions pour garantir la continuité des soins pendant le confinement. Les organisations de patients demandent notamment aux médecins traitants d'élaborer un calendrier de suivi des patients chroniques à 3 ou 6 mois avec une partie des rendez-vous prévus réalisés en téléconsultation et des examens complémentaires à domicile ou dans des cabinets qui ont organisé l'accueil de patients non Covid. Pour garder le lien avec les patients souffrant de maladies chroniques, la Haute Autorité de santé (HAS) encourage de son côté les médecins à prendre les devants et à contacter les personnes vulnérables : patients en ALD, personnes âgées à domicile, sujets polypathologiques, personnes atteintes de troubles psychopathologiques, ou encore patients ne suivant pas régulièrement leurs traitements.

Macron rectifie le tir

Face aux préoccupations du corps médical et des patients, le gouvernement a sensiblement changé de discours ces derniers jours et tente de rectifier le tir, malgré les couacs de communication du début. Le Pr Jérôme Salomon, directeur général de la santé, rappelle régulièrement aux Français dans ses points d'étape quotidiens l'importance de maintenir une continuité des soins pendant la crise sanitaire. Le président de la République a lui aussi insisté sur ce point lors de son allocution télévisée du lundi 13 avril et s'est empressé de tweeter : « Tous ceux qui ont une maladie chronique ou souffrent d’autres maladies doivent pouvoir continuer à consulter leur médecin. Car il n’y a pas que le Covid-19 qui tue. L’extrême solitude, le renoncement à d'autres soins peuvent être aussi dangereux ». Plus récemment, dimanche dernier, Olivier Véran a enjoint les Français à se rendre chez leur médecin : « Faites vous soigner ! Si vous êtes porteur d’une maladie chronique, contactez votre médecin », a-t-il martelé, invitant aussi les médecins à appeler leurs patients.

Cela suffira-t-il à calmer les angoisses des patients qui s'empêchent de consulter ? Certains médecins observent un regain d'activité, bien que timide selon les régions, depuis le discours de Pâques du chef de l'État. « Il y a un message que je n'ai pas vu hier d'Emmanuel Macron ? Le numéro du cabinet a été diffusé, c'est ça ? Non parce qu'ils ont retrouvé le chemin, là (ça fait plaisir) », tweetait un généraliste, rejoint par des confrères sur ce constat. Les omnipraticiens vont-ils devoir faire face à une vague de patients lourds, à une forte demande de rattrapage d'examens et à de nombreuses reprogrammations de rendez-vous à la suite du confinement ? Difficile, sans expérience similaire d'une crise sanitaire de cette ampleur, d'imaginer l'après-Covid-19. La médecine générale doit cependant s'y préparer.

LA BAISSE DES PASSAGES AUX URGENCES INQUIÈTE AUSSI

La baisse des recours aux soins ne s'observe pas seulement dans les cabinets de ville. Le Pr Jérôme Salomon, directeur général de la santé (DGS-ministère), indiquait dans son point presse du 17 avril que l'épidémie avait aussi réduit considérablement la fréquentation des services d'urgence. Le nombre de passages aurait ainsi « diminué de 48 % et le nombre d'hospitalisations à la suite d'un passage aux urgences de 21 %, en particulier les semaines 12 à 15 (de mi-mars à début avril, NDLR) », a-t-il indiqué. Le recours aux urgences pour les atteintes cardiaques a ainsi chuté de 35 % et pour les AVC de 27 %, indique le ministère. Ces derniers jours, la tendance serait toutefois plus rassurante, avec une nouvelle hausse des passages aux urgences. « Cela veut dire que les patients reprennent confiance dans leurs établissements de santé », remarque le DGS, qui a une nouvelle fois insisté sur la nécessité de ne pas renoncer aux soins de premier recours.

Dossier réalisé par Camille Roux