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Dossier

La santé, vrai enjeu ou faire-valoir aux élections régionales ?

Par Léo Juanole - Publié le 14/06/2021
La santé, vrai enjeu ou faire-valoir aux élections régionales ?


GARO/PHANIE

Les élections régionales des 20 et 27 juin prochains comptent la santé parmi leurs principaux thèmes de campagne. Partout, les candidats multiplient les propositions. Signe d’une France mobilisée pour sa santé ou bien, à quelques mois de la présidentielle, phénomène symptomatique de velléités électoralistes ?

Trop de centralisation, des coupes budgétaires délétères, une désertification médicale dangereuse, un accès aux soins variable en fonction des territoires… Si la pandémie de Covid-19 a sensibilisé les citoyens à la place primordiale qu’occupe la santé dans la vie publique, cette crise sanitaire mondiale a également permis au personnel politique de s’emparer à nouveau des questions médicales. Ainsi, lors des prochaines élections régionales, qui auront lieu le 20 et le 27 juin prochains, nombreux sont les candidats présentant comme mesures phares des propositions liées à la santé.

Selon un sondage IFOP réalisé pour le quotidien en ligne La Tribune, 86 % des sondés d’Occitanie jugent la santé comme un sujet « tout à fait prioritaire ». En Centre-Val de Loire, un sondage Ipsos-Sopra Steria place le système de santé en deuxième position des principales préoccupations des habitants de la région, à 33 %, derrière la délinquance.

En Normandie, Sébastien Jumel, député PCF de la 6e circonscription de Seine-Maritime, est tête de liste. Sur son territoire, les habitants sont mobilisés sur cette question, plus encore que la moyenne nationale. « Ici, la santé est à égalité avec la sécurité dans les préoccupations des citoyens. Tout simplement parce que les gens se sont rendu compte que c’est compliqué d’obtenir un rendez-vous chez le médecin, compliqué de se faire soigner… Il y a une prise de conscience », témoigne-t-il. Mais l’intérêt de l’élu de Dieppe pour les questions de santé ne date pas d’hier, tient-il à préciser. « Cela fait plusieurs années que je remarque le mal fait à l’hôpital et les inégalités aux soins plus prégnantes. À la faveur de la crise, tout cela a éclaté de manière flagrante aux yeux du grand public, notamment le manque de places en réanimation, mais aussi la déshumanisation des Ehpad et plus globalement le déficit médical… Toute la filière santé est abîmée. Je suis très préoccupé par le renoncement aux soins. »

Une prise de conscience citoyenne

Le député communiste compte bien prendre la région au président centriste sortant Hervé Morin. Il reproche à ce dernier un laxisme sur les questions de santé. « Une région a besoin d’être force d’impulsion sur les questions de démographie médicale car il y a de vives énergies locales : à Cherbourg, un projet associatif ; à Alençon, une réponse intercommunale ; en Orne, un bus avec des généralistes qui sillonnent les zones les plus éloignées… La Normandie pourrait peser collectivement, en délégation, chez Olivier Véran à Ségur, pour lui demander un plan d’investissement de rattrapage. » Sébastien Jumel promet de créer 200 emplois de médecins salariés, car « c’est l’aspiration de jeunes en formation ! J’ai accompagné des médecins libéraux fédérés d’un point de vue immobilier, par exemple. La région doit recruter des médecins salariés… »

Comme lui, de nombreux candidats proposent d’embaucher des médecins salariés. Son autre adversaire dans la région, Laurent Bonnaterre (LREM), s’engage à proposer un généraliste à moins de vingt minutes de chaque citoyen et prévoit un investissement de huit millions d’euros par an pour salarier 100 nouveaux médecins (sur un budget régional de presque 900 millions d’euros ces dernières années). En Centre-Val de Loire, François Bonneau (PS) dit vouloir salarier 300 médecins à la fin de son prochain mandat pour contrer le manque de médecins dans sa région. Carole Delga (PS), en Occitanie, promet l’embauche de 200 médecins. Dans le Grand Est, Éliane Romani (EELV), elle, a comme objectif que chaque habitant ait un professionnel de santé à quinze minutes maximum.

D’autres candidats aux élections régionales misent sur la symbolique financière. La présidente sortante d’Île-de-France, Valérie Pécresse (Libres !, ex-LR), souhaite que la santé soit le pilier de son prochain mandat et s’engage à un investissement massif d’un milliard d’euros – soit 1/5 du budget 2021 de la région. De son côté, Renaud Muselier (LR), en Provence-Alpes-Côte d’Azur, promet de financer les études des futurs médecins généralistes qui s’engagent à travailler durant 5 ans, dès le début de leur carrière, en zone classée désert médical… Autant de propositions séduisantes, qui s’appuient sur un intérêt croissant pour les thématiques de santé chez les Français.

Un sujet transversal

Patrick Hassenteufel, professeur de sciences politiques à Paris-Saclay, détaille les raisons pour lesquelles, selon lui, la santé a une place prépondérante dans ces élections. « La crise du Covid-19 a un effet en termes d’agenda : les régions ont essayé d’intervenir au printemps dernier – rappelez-vous la polémique autour des achats de masques. Pour elles, l’enjeu est de s’affirmer à travers la santé. Aussi, la question de la désertification médicale est de plus en plus présente dans les élections territoriales car elle est ressentie par tous. C’est un enjeu de proximité majeur. »

Pour autant, la santé est appréhendée de manière transversale dans les politiques territoriales comme publiques : « L’articulation entre la santé et l’environnement est un nouvel enjeu et ce n’est pas sans lien avec les compétences des conseils régionaux sur le transport ou le domaine agricole par exemple », note-t-il. Le hiatus se situe dans les compétences des régions en termes de santé, car, selon l’expert, « les régions n’ont pas de compétences directes en termes de santé ». Ainsi, elles peuvent agir de manière préventive sur la santé de leurs administrés en favorisant les transports doux pour lutter contre la pollution de l’air, par exemple, ou en finançant des actions visibles. « C’est intéressant pour les collectivités locales de financer des locaux, payer des bus ou salarier des médecins car c’est un type d’action tangible et qu’elles savent faire. C’est également un affichage politique efficace de dire : “on a salarié x médecins et mis en place x bus” ».

Il ajoute que les conseils départementaux salarient déjà des médecins, comme dans les services de Protection maternelle et infantile (PMI), à l’instar des communes. Il rappelle également qu’historiquement, la politique de lutte contre les déserts médicaux réside principalement dans des incitations matérielles. Que peut donc concrètement faire de plus la région ?

La « présidence » de l’ARS

De nombreux candidats, dont Valérie Pécresse et Renaud Muselier, proposent de « présider » l’ARS locale grâce à la nouvelle loi dite « 4D » (décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification), ce qui surprend le professeur de sciences politiques. « Quand on regarde le projet de loi, ce qui est prévu pour les ARS, c’est la transformation des conseils de surveillance en conseils d’administration, dont deux des trois vice-présidents seront des élus locaux, mais même pas forcément régionaux… Le terme “présider” peut porter à confusion : une région ne présidera pas d’ARS. »

Dans les Hauts-de-France, la majorité présidentielle présente comme tête de liste Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au travail, aux côtés de cinq ministres, notamment le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, pour lutter contre la candidature de la cheffe de fil du Rassemblement national, Marine Le Pen. Dans son programme santé, La République en marche (LREM) mise sur quelques mesures phares, dont un « pass liberté » de 500 euros (en complément du « pass culture » du président de la République) pour les jeunes de 18 ans, qui peut être dépensé dans les soins, comme l’explique Olivier Lacoste, colistier, consultant en santé territoriale et ancien directeur de l’Observatoire régional de la santé. « Ce pass inclut la possibilité d’accéder à des dépenses de santé auxquelles les jeunes ne pensent pas intuitivement, ou qui demeurent dans le reste à charge. Les deux aspects importants à nos yeux sont la santé mentale et la santé sexuelle. Concrètement, les jeunes concernés pourront continuer à voir un psychologue, au-delà du dispositif déjà mis en place par le gouvernement, ou se rendre à des consultations, comme pour avoir accès à des contraceptifs ».

Pour Patrick Hassenteufel, ces mesures, dans la continuité de l’action d’Emmanuel Macron, ne cernent pas les véritables enjeux. « Pour la psychiatrie, le problème est l’offre insuffisante, y compris universitaire et scolaire. Le plus intéressant serait d’aider la médecine scolaire. C’est d’ailleurs une des compétences de la région, qui a la charge des lycées. Quant à la santé sexuelle, cela relève plutôt des compétences du département en termes de PMI », précise-t-il.

« Pas que des élections régionales »

Mais dans les Hauts-de-France, l’enjeu de santé est réel car la situation est préoccupante, comme l’explique Olivier Lacoste. « Nous avons des indicateurs qui ne sont pas bons. Un retard de santé depuis les années 1950, qui se traduit d’un point de vue social et environnemental. Nous sommes par exemple la région la plus polluée de France, au niveau de l’air et du sol. Ainsi, il est logique qu’il y ait une mobilisation sur les thématiques médicales, comme la résorption des inégalités de soin et un plan cancer. » Sur ce point précis, l’objectif est clair : « Nous voulons pousser les dépistages organisés pour améliorer les taux et développer l’expérimentation déjà à l’œuvre dans la Somme du dépistage des cancers broncho-pulmonaires avec un matériel technique, ainsi que celui du cancer de la gorge, lié au tabagisme et à l’alcoolisme. »

Au fond, ce qui se joue derrière cette campagne, selon Patrick Hassenteufel, c’est la présidentielle. « Ce ne sont pas que des élections régionales ! Le fait que des présidents de régions (Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France, ndlr) conditionnent leur réélection à la tête de régions à leur candidature à l’élection présidentielle participe à l’élargissement des programmes vers des compétences à la marge des conseils régionaux. Aussi, le contexte de forte nationalisation de ces élections tient au calendrier rapproché entre les deux scrutins. »

Les électeurs, eux, s’exprimeront les 20 et 27 juin prochains, dans le secret des urnes. En 2015, l’abstention au premier tour était de 50,1 %. Si l’on ajoute à cela le caractère hypothétique des promesses de campagne et les confusions de compétences, pas sûr que le quotidien des médecins généralistes, comme celui des citoyens, soit bousculé.

Léo Juanole