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Dossier

Le DPC et ses pilotes, bousculés par la crise

Par Adrien Renaud - Publié le 29/03/2021
Le DPC et ses pilotes, bousculés par la crise


VOISIN/PHANIE

Entre une situation épidémique qui impose la formation à distance, des turbulences qui perturbent sa gouvernance et une obligation renforcée qui se profile, le développement professionnel continu (DPC) connaît des temps agités. Le point sur une institution dans la tourmente.

C'était en novembre dernier. Le Dr Jean-François Thébaut, président du Haut Conseil du DPC (HCDPC), démissionnait avec fracas. Dans un courrier adressé aux membres de l’institution qu’il quittait, il critiquait vertement l’Agence nationale du DPC (ANDPC), chargée de financer l’essentiel de la formation professionnelle des médecins. Le cardiologue jugeait que la vision de cette instance, qu’il était censé conseiller et orienter, se résumait « à une gestion administrative, technique et bien sûr rigoureuse », « dénuée de vision prospective ». Une salve qui intervenait à un moment où l’agence bouclait une année sévèrement secouée par le coronavirus… Le monde de la formation continue des médecins n’aborde donc pas avec la plus grande sérénité les changements qui l’attendent, à commencer par le contrôle renforcé de l’obligation de formation, qui doit entrer en vigueur dans le courant de l’année avec la mise en place du document de traçabilité.

Car le moins que l’on puisse dire est que les critiques contre le DPC se multiplient depuis quelques années. La première, et la plus récurrente, est liée à la rigidité administrative de l’ANDPC, qui l’empêcherait de proposer des formations correspondant aux besoins réels des généralistes. « Nous avons eu diverses modifications ces dernières années. Elles ont abouti à ce que les médecins se voient imposer, via des orientations nationales triennales, des thèmes de formation qui ne correspondent pas forcément aux besoins des généralistes », note ainsi le Dr Yves Fouré, président de MG Form, un organisme de formation lié au syndicat MG France. Celui-ci regrette que « de fil en aiguille, la gouvernance de la formation continue d’échapper aux médecins ».

Un cahier des charges trop complexe

L’un des exemples le plus décriés de cette perte de contrôle est une procédure d’appels d’offres, introduite pour une partie des formations (trois sont prévus pour l’instant). Ils ont été recommandés par la Cour des comptes à la suite de son rapport au vitriol en 2019. « Ce sont des appels d’offres dont les thèmes sont décidés par les pouvoirs publics, et dont les règles sont les mêmes que pour la construction d’un pont, pointe Yves Fouré. Notre association refuse d’y participer, mais l’objectif de l’ANDPC est qu’ils concernent 30 % des actions. Si le financement se fait de plus en plus sur ce mode, on va vers la mort d’une formation de qualité. »

Autre exemple de la lourdeur de l’ANDPC, selon ses détracteurs : son incapacité, face à la crise épidémique, à proposer des formations liées à la prise en charge du coronavirus. « Un organisme comme le Faf-PM (Fond d’assurance formation des professions médicales, ndlr) a pu agréer des formations liées au Covid, ce que l’ANDPC a refusé », regrette ainsi le Dr Francis Abramovici, généraliste et président de la branche francilienne de l’Union nationale des associations de formation médicale et d’évaluation continues (Unaformec), l’organisme associatif historique de la formation médicale continue.

Trop de concurrence ?

Mais la rigidité n’est pas le seul reproche fait par les généralistes au mécanisme du DPC tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Ceux-ci pointent également la qualité très hétérogène des formations proposées. En cause, la profusion des organismes agréés. « Depuis la directive dite « Bolke­stein » (fin 2006), tout organisme de formation agréé par l’ANDPC peut devenir prestataire », décrypte Francis Abramovici. Et selon ce vieux routier du DPC, la concurrence n’a pas eu que des effets positifs. « Sur la multitude des organismes agréés, il y en a qui sont là dans un but purement financier, d’autres qui dérogent aux règles, avance-t-il. Il y en a par ailleurs qui font de la qualité, mais qui ne sont pas forcément reconnus, car savoir monter un dossier est une chose, et savoir monter une action de DPC en est une autre. »

Et cette opinion n’est pas seulement celle d’un ancien du DPC qui se désole de voir de nouveaux acteurs entrer dans son pré carré. On la retrouve par exemple chez le patron d’un organisme privé, nouvel entrant sur le marché et qui mise résolument sur le e-learning et le e-training. « Il y a beaucoup de concurrence, notamment bas de gamme, et il faut absolument se différencier », indique ce responsable qui tient à rester anonyme. Pour ce faire, son entreprise a donc décidé de passer une foultitude de certifications, en plus de celle octroyée par l’ANDPC : Afaq Iso 9001, Datadock, Qualiopi… « Nous sommes certainement parmi les plus certifiés du marché », se réjouit le dirigeant.

L’ANDPC se défend bec et ongles

Face à toutes ces critiques, l’ANDPC se défend bec et ongles. Il ne faut ainsi pas parler à Michèle Lenoir-Salfati, directrice générale de l’institution, de crise du DPC. « On a une montée massive des inscriptions depuis 2017, toutes professions confondues », souligne-t-elle, insistant sur le fait que les généralistes sont particulièrement impliqués dans le mécanisme. Pour elle, ce plébiscite est la preuve que le DPC n’est pas en crise. « Peut-on dire qu’on est en crise alors que les généralistes s’emparent massivement du DPC ? », demande-t-elle.

La patronne de l’ANDPC tient aussi à se défendre de tout manque de souplesse face à la crise épidémique, expliquant que le fait de ne pas publier d’action de DPC sur le coronavirus était un choix délibéré. « En mars, quand le Covid est arrivé, on était dans une situation d’incertitude thérapeutique totale, souligne-t-elle. Si on avait alors pris en charge des actions sur le sujet, on n’aurait pu avoir que des discours hétérogènes, sans consensus d’expert, sans thérapie validée… » Et la responsable de souligner qu’aujourd’hui, la situation est différente, et que l’agence « accepte des actions sur la vaccination Covid », par exemple.

Michèle Lenoir-Salfati reconnaît par ailleurs que des efforts restent à produire. « Il y a une partie de l’offre qui est calamiteuse, n’hésite-t-elle pas à déclarer. Nous avons trop d’organismes, dont certains sont là pour des raisons exclusivement commerciales. » La directrice générale précise que l’institution « a commencé à faire le ménage », soulignant que l’agence « dégage » la moitié des actions proposées. Elle précise également que l’enregistrement des organismes va se faire de plus en plus strict, via « le durcissement de certains critères » ou des obligations de réenregistrement périodique des organismes.

Rendre l’obligation vraiment obligatoire

Reste une question : comment la formation médicale continue, théoriquement obligatoire mais jamais vérifiée en pratique, peut-elle être contrôlée ? Pour le savoir, un document de traçabilité (DDT) a été mis en place, mais il n’est pas encore totalement opérationnel, si bien que l’ANDPC se dit dans l’incapacité de savoir, à l’heure actuelle, combien de généralistes respectent l’obligation de formation. « L’ANDPC n’est pas la seule à financer du DPC », justifie Michèle Lenoir-Salfati, citant notamment le Faf-PM.
Si le niveau d’engagement des généralistes actuels reste flou, la marge de progression semble importante. « En général, à la fin de l’année, entre 30 et 50 % des généralistes ont participé au DPC », avance Francis Abramovici. Malgré ce chiffre inquiétant, les circuits de vérification sont encore dans les limbes. « Beaucoup pensent que cette obligation est une arlésienne, et qu’elle n’arrivera jamais », explique le généraliste, qui croit pourtant savoir que la sortie des décrets d’application est imminente. Une perspective d’autant plus plausible que derrière la question de l’obligation de formation se dessine une autre arlésienne : celle de la recertification. « La certification périodique des professionnels de santé se prépare, et le DPC en sera l’une des briques », avertit Michèle Lenoir-Salfati. Les deux arlésiennes pourraient finir par entrer en scène quasi simultanément.

Le DPC des généralistes en chiffres

 • 12 477 actions de DPC ont été publiées pour 2021, dont 6 279 s’adressent à l'ensemble des médecins et 4 817 s’adressent aux seuls généralistes (chiffres au 28/02/2021). 

 • En 2020, 30 035 généralistes se sont inscrits pour le DPC pour un total de 66 877 inscriptions, soit une moyenne de 2,23 inscriptions par généraliste

 • Les généralistes constituent 74 % des médecins engagés sur des actions de DPC en 2020. 

Source : ANDPC

Dossier d’Adrien Renaud