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Dossier

Exercice coordonné

Les généralistes restent divisés sur les délégations de tâches

Par Stéphane Lancelot - Publié le 08/11/2019
Les généralistes restent divisés sur les délégations de tâches

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“Prescription” par les pharmaciens, vaccination antigrippale par l’infirmier ou en officine, infirmiers de pratique avancée, etc. Pour résoudre la crise de la démographie médicale, les pouvoirs publics misent sur les délégations de tâches dont la liste s'est récemment allongée. Mais qu'en pensent les médecins ? Une moitié restent réticents, selon les résultats de notre enquête en ligne. Même si la jeune génération est plus ouverte à des transferts de tâches encadrés s’inscrivant dans une logique d’exercice coordonné.

« Aujourd’hui, si vous vous tordez la cheville sur le trottoir, vous ne pouvez pas aller voir le kiné qui pourrait vous traiter. On peut envisager (...) que vous puissiez aller le voir directement sans passer par les urgences. Il pourrait très bien vous prendre en charge. » Il aura suffi de ces trois phrases – prononcées fin août – par le député urgentiste Thomas Mesnier (LREM) pour s’attirer, une nouvelle fois, les foudres des médecins. Toujours prompts à réagir, les Drs Jean-Paul Hamon et Jérôme Marty, présidents respectifs de la FMF et de l’UFML-S, s’élèvent aussitôt contre cette proposition d’une énième délégation de tâche. « On arrête quand ? », peste le premier. « Low-costiser la santé n’est pas une politique », enrage le second. Sur legeneraliste.fr, 58 % des répondants à une enquête indiquent être opposés à l'accès direct au kiné pour les patients victimes d'entorses.

Le député Mesnier n’en est pas à son coup d’essai. Au printemps, il avait déjà introduit un amendement au projet de loi santé – retenu dans la version définitive du texte – autorisant les pharmaciens à délivrer certains médicaments habituellement soumis à prescription médicale, qui avait fait grincer les dents des omnipraticiens (voir Le Généraliste n° 2874).

Dans l’air du temps

Pour les responsables politiques actuels, la délégation de tâches, que certains préfèrent appeler partage de compétences, est l’un des remèdes aux maux actuels du système de santé. Ce transfert d'activités réalisées par le médecin vers d’autres professionnels de santé a démarré au début du siècle. Mais leur liste s’est allongée ces deux dernières années.

Expérimentée depuis 2017, la vaccination antigrippale en pharmacie est étendue à toute la France depuis cet automne. Elle peut également être effectuée, sans prescription, par les infirmiers depuis l’hiver dernier. Formées depuis la rentrée 2018, les futures infirmières en pratique avancée (IPA) pourront quant à elles renouveler, adapter des prescriptions ou encore réaliser des actes techniques nécessaires au suivi des pathologies.

Plus récemment, une mesure du Budget de la Sécu pour 2020 prévoit la possibilité pour les pharmaciens de réaliser des TROD angine dès le 1er janvier prochain. Le plan urgences présenté mi-septembre par Agnès Buzyn reprend la proposition du député Mesnier d’un protocole d'accès direct au kiné d’ici à la fin de l’année pour la traumatologie bénigne. Et ce n’est pas tout : quatre autres protocoles permettant la prise en charge par les pharmaciens et les infirmiers « de pathologies simples », comme la cystite, devraient suivre.

Près d’un médecin sur deux opposé aux délégations

L’objectif avancé par les pouvoirs publics avec ces délégations est de redonner du temps médical à la profession, en la déchargeant d’actes dits « faciles ». Les médecins interrogés sont sceptiques et craignent le phénomène inverse, et de se voir acculés aux tâches “ingrates.

Quasiment la moitié (47,1 %) des 548 répondants à l'enquête réalisée sur legeneraliste.fr, indiquent être opposés à ces délégations de tâches. « Déléguer, c'est bien. Encore ne faut-il pas se défaire du cœur de notre métier qui est de soigner, pas de remplir des papiers inintéressants ou chercher des places chez nos amis spécialistes », note un praticien. 

« Que signifie retrouver du temps médical ? », interroge un autre. « Examiner, poser un diagnostic, décider d'un traitement (…) est devenu une bouffée d'air frais dans ce métier, quand on pense aux heures perdues au téléphone pour essayer de décrocher un rendez-vous d'hospitalisation ou chez un spécialiste… », poursuit ce même confrère.

Pour tenter de comprendre ce rejet, Le Généraliste a interrogé les praticiens sur leur niveau de connaissance des autres professions de santé. Il en ressort que leurs réticences ne sont a priori pas dues à une méconnaissance des métiers qui pourraient hériter de leurs tâches. La proportion de médecins indiquant connaître « relativement bien » ou « complètement » les compétences des autres professions est plus forte parmi ceux déclarant être contre les délégations que chez ceux y étant favorables. 

Les jeunes plus favorables

Si seulement 40,3 % des répondants à notre enquête déclarent être favorables aux délégations de tâches (12,6 % des sondés ne se prononcent pas), cette proportion passe à 58 % chez les moins de 40 ans. 

Pour emporter l'adhésion de leurs aînés, les décideurs seraient bien inspirés d'impliquer davantage le terrain (voir l'interview de Laure Dominjon, présidente de ReAGJIR). « Transfert de tâches et temps médical oui, mais en partenariat avec les médecins », souligne un praticien sur legeneraliste.fr. Une revalorisation du C semble également nécessaire, les actes dits simples permettant aux généralistes de compenser d'autres plus longs.

Dossier réalisé par Camille Roux et Stéphane Lancelot