Après quarante-quatre années d’exercice de la médecine, dont trente-neuf à la campagne, je puis considérer d’un œil placide la loi sur les assurances sociales. Ce n’est pas que la profession m’ait valu des rentes assurant mon indépendance, je suis aussi pauvre que le jour où j’ai débuté, mais je crois que j’ai beaucoup de chances de partir pour l’au-delà avant que cette loi, aussi néfaste pour le corps médical que pour le trésor public, ait des chances d’être intégralement appliquée.
Seulement, fort d’une vieille expérience, je me permets de sourire quand je vois préconiser l’unité des médecins pour s’opposer aux méfaits de la loi.
Nous avons vu récemment la grève des professeurs, celle des instituteurs, pour essayer d’obtenir le minimum nécessaire à l’existence dans le tas des folles prodigalités financières politiques et électorales. Nous ne verrons pas la grève des médecins.
Et, quand je parle de grève, je ne suppose pas un moment que l’un de nous puisse laisser mourir un de ses semblables faute de soins. Non, il suffirait d’ignorer la loi et, lorsqu’on ferait appel à notre concours, d’exiger tout simplement le paiement d’avance ou au comptant de nos visites, quitte à l’intéressé de se pourvoir auprès de la caisse compétente du remboursement de ses dépenses.
Seulement, lorsqu’un médecin agira de la sorte, il surgira immédiatement un ou deux confrères pour proposer leurs services aux conditions formulées par la loi pour obtenir ainsi l’appui des autorités officielles.
Que l’on me permette de rappeler un exemple. Dans une localité, que je ne nomme pas, deux médecins avaient décidé de protester contre le tarif de la médecine gratuite (la bien nommée) : 0 fr 75 par tête d’indigent et par an dans un canton mesurant plus de vingt kilomètres d’étendue. Or, dans certaines communes, presque tous les parents ou alliés des conseillers municipaux étaient portés sur les listes d’assistance médicale. Ces médecins déclarèrent à M. le préfet qu’ils préféraient soigner les indigents que de se voir imposer une clientèle qui ne méritait pas ce qualificatif.
Que fit le préfet ? Il put trouver dans un autre canton, et même dans un autre département à trente kilomètres de distance, deux médecins qui acceptèrent de figurer sur les listes comme médecins officiels de la préfecture.
Naturellement, ces deux docteurs touchèrent le traitement afférent à leurs fonctions sans jamais se déranger, malgré des appels pressants, pour aller voir un des indigents du canton voisin. Et, cependant, il y avait à ce moment dans le dit canton une épidémie de fièvre typhoïde où les indigents ne furent point épargnés et les médecins non officiels furent bien forcés de marcher, gratuitement toujours, bien entendu.
Mais il y a plus beau. Reconnaissante des soins qui avaient été donnés à ses pauvres, une commune fit voter une somme de 300 francs comme légère indemnité aux médecins qui s’étaient ainsi dépensés en témoignage de reconnaissance.
À qui croyez-vous que cette somme fut payée ?
Par les soins de la préfecture, elle fut donnée aux confrères qui lui avaient rendu le service de boucher un trou sur ses listes sans s’être jamais dérangés pour voir un malade.
Nil novi sub sole, disait déjà Salomon. Ce que nos yeux ont vu, ils risquent de le voir encore. Lorsque par dignité professionnelle un médecin refusera de subir certaines exigences, il y en aura au moins deux pour offrir leurs services.
Sans doute, les grands pontifes de la profession ne souffriront pas beaucoup de la future loi, mais les petits médecins de quartier, les médecins de campagne surtout dont les frais de déplacement sont si élevés, seront écrasés.
Quand ils seront morts de misère, déjà grouillent dans les innombrables écoles de médecine, dont on a, à dessein, parsemé tout le territoire de la France, des nuées de jeunes arrivistes qui voient dans la médecine un moyen d’accéder à des situations politiques, pour prendre leurs places.
Tout cela sera au détriment de la santé publique, à l’avantage de la dépopulation, et l’ensemble de la profession médicale en France n’aura gagné que la déconsidération qu’elle aura méritée.
(Dr Good, de la Mothe-Saint-Heray, dans la Chronique médicale du Centre, septembre 1927)
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