LE QUOTIDIEN : L’Assurance-maladie devrait connaître un déficit de 15 milliards d’euros en 2025, puis les années suivantes. N’est-il pas urgent de réformer les fondements du financement de la santé ?
THOMAS FATôME : Avec un tel déficit, et surtout sans perspective d’amélioration à moyen terme, il est difficile de ne pas reconnaître que notre système d’assurance-maladie est en risque et qu’il a perdu sa soutenabilité financière. Il faut s’engager résolument à court terme dans les programmes de qualité et de pertinence des soins mais aussi, c’est vrai, travailler à des réformes structurelles.
C’est pourquoi, dans notre prochain rapport annuel « charges et produits », que nous élaborons en lien avec notre Conseil, nous poserons à la fois un diagnostic approfondi sur l’ampleur du déficit – pourquoi en est-on là – mais nous examinerons aussi tous les sujets, sans tabou : la prévention, l’organisation des soins, les recettes, la répartition AMO/AMC [complémentaires santé, NDLR], le ticket modérateur, les pathologies chroniques et y compris leur mode de couverture. D’ici à juin, la Cnam proposera au Parlement et au gouvernement des mesures et des scénarios, avec une vision plus large qu’habituellement et une approche pluriannuelle. Nous devons aujourd’hui projeter notre système de santé à un horizon de cinq à dix ans, de façon réaliste.
Sur la fraude, espérez-vous des résultats rapides ? À quoi faut-il s’attendre dans l’immédiat ?
La fraude ne concerne qu’une infime minorité de praticiens mais elle mine notre système. Nous irons plus loin que les résultats déjà historiques de 2024 – 628 millions d’euros – car l’évaluation de la fraude nous montre que les montants vont au-delà de ce que nous avons identifié et stoppé.
“La fraude ne concerne qu’une infime minorité de praticiens mais elle mine notre système
Si je dois adresser un message aux médecins, c’est d’utiliser les dispositifs en ligne sur les arrêts de travail et l’ordonnance numérique, qui permettent de combattre les trafics. La meilleure façon de réduire la fraude, c’est de recourir à ces outils qui la rendent quasiment impossible. On a connu des montants de fraudes considérables sur les arrêts papier, aujourd’hui on a 80 % des médecins libéraux qui prescrivent en ligne, il faut continuer. L’ordonnance numérique, ça débute doucement, j’invite aussi les éditeurs de logiciels à accélérer.
Quant aux centres de santé, l’Assurance-maladie a déconventionné, à compter du 7 avril, sept nouveaux centres de santé d’un même réseau répartis dans six départements, pour des durées allant de quatre à cinq ans. Nous avons aussi déconventionné des infirmiers et parfois, rarement, des médecins.
La Cnam constate une forte dynamique des dépenses de soins de ville en début d’année. Comment agir ?
La dynamique des dépenses de début 2025 est logiquement portée par les revalorisations de la convention. En février, nous avons rencontré les syndicats de médecins pour bien repartager les objectifs et actions sur les volets de la convention : maîtrise médicalisée, IJ, médicaments, transports, etc. Comme le prévoit la convention que nous avons signée, j’attends une mobilisation forte car les médecins ont, à travers leurs prescriptions, une partie importante des réponses.
Sur les arrêts de travail, les dépenses sont reparties à la hausse en 2024. Nous testons dans deux départements le dispositif SOS IJ, qui a du répondant. Les médecins peuvent être accompagnés sur des situations complexes, par exemple en cas de demandes d’arrêts répétitifs. Autre point : le retour d’expériences sur les précédentes campagnes de ciblage des gros prescripteurs avec mise sous objectifs ou mise sous accord préalable a permis d’identifier les améliorations nécessaires pour réengager ce type de campagne en 2025. Nous avons aussi accompagné 7 000 généralistes en 2024 sur ce sujet des arrêts de travail par l’intermédiaire des médecins-conseils, ce sera à nouveau le cas cette année.
Sur les transports sanitaires, les textes publiés conditionnent le tiers payant au transport partagé lorsque l’état de santé du patient le permet. Et nous engageons en ce moment des négociations avec les taxis pour renouveler leur modèle tarifaire.
Votre stratégie d’accompagnement des prescriptions des aGLP-1, avec un formulaire, a provoqué de vives réactions des syndicats, certains appelant même au boycott. Le regrettez-vous ?
Ce dispositif d’accompagnement ne sort pas de nulle part, il est inscrit dans la loi de financement pour 2024, a été discuté dans la convention, travaillé, testé au préalable. C’est un système de vérification en quelques clics qui permet d’éviter des abus coûteux, et qui concerne trois patients en moyenne par an et par généraliste. Nous avons commencé sur les aGLP-1 en février, on fera le bilan au bout de trois mois. La convention, ce n’est pas seulement un milliard d’euros de revalorisations en 2025, ce sont aussi des engagements collectifs que nous allons suivre très précisément.
Justement, deux observatoires, sur l’accès aux soins et la pertinence des soins, ont été installés. À quand les premiers résultats ?
Fin avril, nous mettrons en open data les premiers résultats des indicateurs autour de l'accès aux soins puis, un peu plus tard, dans la même logique, les données sur la qualité et la pertinence des soins. Les médecins pourront suivre de manière transparente aux niveaux national, régional et départemental les engagements pris collectivement dans la convention, par exemple sur les patients en ALD sans médecin traitant. Les indicateurs seront accessibles à tous et réactualisés chaque semestre.
Et si les médecins se retrouvent hors des clous ?
Nous ne sommes pas dans une logique de contrôle individuel. Mais je crois aux vertus de la transparence des résultats et je pense que je ne serai pas le seul à demander à la profession le respect de ses engagements… Le mois de septembre sera un premier passage intermédiaire.
Comment allez-vous aborder les négociations avec les radiologues pour économiser 300 millions d’euros sur trois ans ?
Ces discussions concernent l’ensemble du secteur de l’imagerie, donc la radiologie mais aussi l’échographie, la médecine nucléaire, etc. Je suis confiant sur le fait qu’on puisse trouver un accord d’ici à juin permettant d’atteindre cette cible de 300 millions sur trois ans, en s’appuyant sur la pertinence, le juste recours à l’imagerie et les tarifs. Il faut rappeler qu’aucune mesure tarifaire unilatérale n’a touché ce secteur depuis 2020 mais aussi que la dépense d’imagerie progresse de 5 % par an et qu’il s’agit d’un poste à six milliards d’euros.
Où en sont les discussions sur la CCAM technique ?
Les travaux techniques se poursuivent de façon intensive au sein du Haut Conseil de la nomenclature. De façon plus transversale, avec les syndicats et le ministère, nous travaillons sur la mise à jour du taux de charge. Les négociations tarifaires doivent démarrer dans le courant 2026 et nous avons encore beaucoup de travail préparatoire en 2025.
Menez-vous une réflexion sur l'évolution du secteur 2 ?
Notre stratégie pour réduire les restes à charge passe par le déploiement de l’Optam [option de pratique tarifaire maîtrisée, NDLR]. Dans la convention, un certain nombre de paramètres ont été améliorés, notamment pour ajuster les périodes de référence [dans le calcul des dépassements autorisés, NDLR]. Cela nous permettra d'accroître l'attractivité de ce dispositif de modération tarifaire pour y attirer davantage de spécialistes. La campagne d’adhésion à l’Optam vient d’être lancée, nous suivrons les résultats de près car cela fait partie des indicateurs d’accès aux soins [objectif de + 5 %/an de médecins affiliés, NDLR]. Sur de possibles évolutions structurelles, je renvoie aux discussions prévues l’an prochain lors de la révision sur la CCAM technique, qui modifiera sensiblement les tarifs.
“Le conventionnement avec l’Assurance-maladie n'est pas une auberge espagnole
La création d’un syndicat de secteur 3 constitue-t-elle une menace à vos yeux ?
Avec du recul, les appels au déconventionnement ont été très peu suivis : 800 médecins déconventionnés en 2023, un peu plus de 900 en 2024. C’est très faible, le bon sens des médecins a prévalu. Sortir de la convention est aussi plus difficile car il faut attendre deux ans avant d’y revenir. Le conventionnement avec l’Assurance-maladie n'est pas une auberge espagnole. Et je réitère à nouveau notre proposition de sortir du remboursement les prescriptions des médecins déconventionnés.
Les règles du jeu de la téléconsultation sont-elles toujours bien calibrées ?
Des progrès ont été faits pour placer un certain nombre de garde-fous contre les dérives possibles de la téléconsultation. Sur les arrêts de travail, il n'y a plus de prescription possible pour une durée de plus de trois jours. Les plateformes doivent aussi se référencer avec un cahier des charges strict. Nous voulons aller plus loin. C’est l’objet des Assises de la téléconsultation, lancées par l’Assurance-maladie en lien avec le ministère de la Santé. Nous avons commencé à prendre le pouls des acteurs. Un point d’étape sera fait mi-juin. La réflexion portera sur tous les sujets : taux maximal de téléconsultations, emplacement des télécabines, différenciation entre spécialités, parcours de soins, recours dans les déserts médicaux. Aujourd'hui, ce sont plutôt des patients jeunes, connectés et urbains qui utilisent les consultations à distance. Nous proposerons des mesures pouvant être inscrites dans le PLFSS.
Sur les soins non programmés, constatez-vous des abus concernant les nouveaux tarifs sans régulation ?
Avec les ARS, nous sommes toujours dans la phase de diagnostic et de dialogue avec les parties prenantes pour bien identifier les besoins, sans contrôle unilatéral, même si nous sanctionnons les fraudeurs. Certains gestionnaires de centres du sud de la France ont aussi été rappelés à l’ordre par les ARS. Dans le projet de loi Sécu 2025, il y avait un article intéressant qui fixait un cahier des charges pour les centres de soins non programmés. Il a malheureusement été censuré pour des raisons de procédure.
Êtes-vous partisan d'un encadrement de la liberté d'installation ?
La lutte contre les déserts médicaux est un sujet majeur. Que le Parlement s’en saisisse est une bonne chose. Nous participons aux travaux lancés sous la houlette du ministre de la Santé, Yannick Neuder. S’agissant des médecins, j'ai déjà exprimé mes interrogations sur des mécanismes coercitifs, compte tenu de leur démographie. La convention va permettre à davantage de généralistes, de pédiatres et de psychiatres de s’installer sur différents territoires. La Cnam a déjà négocié une régulation à l’installation avec les kinés, les infirmiers et les dentistes mais leur situation démographique est différente.
Quid d’un éventuel retour de la PDS obligatoire ?
L’Ordre vient d’indiquer que 97 % des territoires de garde sont couverts et que le volontariat reste stable ! Comme l’a dit le ministre récemment, faisons attention à ce que le remède ne soit pas pire que le mal, et qu’une obligation de ce type n'aboutisse pas à des effets inverses.
Repères
2000 : Rejoint l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) après l’ENA
2005 : Directeur de cabinet du DG de la Cnam Frédéric Van Roekeghem
2010 : Conseiller santé, dépendance et politiques sociales au cabinet de Nicolas Sarkozy
2012- 2017 : Directeur de la Sécurité sociale
2017-2020 : Directeur de cabinet adjoint d’Édouard Philippe à Matignon
Depuis 2020 : Directeur général de la Cnam
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