Remontée jusqu’à Matignon, la situation a été jugée suffisamment critique pour déclencher un déplacement de François Bayrou consacré à l’accès aux soins, ce vendredi, dans le Cantal. Une première depuis la prise de fonction du Palois, le 13 décembre 2024.
Sur place, le Premier ministre devrait faire des propositions pour lutter contre les déserts médicaux. Les modalités d'une concertation avec les professionnels de santé, les élus locaux, les patients, les associations devraient y être présentées.
Si, quelques jours avant, rien ne filtrait encore sur le fond des annonces, la forme, elle, ne laissait guère de place au doute. Objectif du gouvernement : rassurer, cajoler, donner des gages à la communauté médicale, qui n’en peut plus de bouillonner depuis l’adoption surprise, début avril à l’Assemblée nationale, de l’article 1 de la proposition de loi (PPL) du député socialiste Guillaume Garot sur la désertification médicale.
En substance, l’article propose que chaque nouvelle implantation d’un médecin (libéral comme salarié) soit conditionnée à une autorisation de l’ARS. De droit dans les zones sous-dotées, elle ne serait en revanche octroyée, pour une arrivée dans les territoires surdotés, que sur la base d’une cessation d’activité. Cette mesure, qui aurait été rejetée en masse il y a quelques années, a recueilli 155 voix contre 85. François Bayrou lui-même, dans une prise de parole un brin maladroite, n’a pas caché qu’il « faut probablement » aller vers une régulation de l'installation des médecins.
Alors que l’examen du texte doit reprendre le 6 mai, la mobilisation notable du gouvernement pour résoudre le problème des déserts montre que l’accès aux soins est devenu un enjeu politique majeur, qui risque de se jouer dans les urnes aux prochaines élections présidentielle et législatives. Il ne s’agit pas pour autant, pour l’exécutif, de froisser la communauté médicale…
Contrer une obstination « déraisonnable »
Car c’est bien une fronde historique qui se prépare du côté des syndicats de jeunes médecins et de professionnels libéraux installés. Anemf, Isnar-IMG, Isni, Reagjir, Jeunes médecins, MG France, CSMF, SML, FMF, Avenir Spé-Le Bloc, UFML-S mais aussi SOS Médecins et l’association Médecins pour demain : tous organisent depuis plusieurs semaines la riposte, avec le soutien « sans réserve » du Syndicat des enseignants de médecine générale (SNEMG) mais aussi de l’Ordre. « Nous devons à l’obstination déraisonnable d’un député le vote d’une loi de coercition enlevant la liberté d’installation aux médecins », fustigeait dans son éditorial du bulletin ordinal de mars-avril le Dr François Arnault, président du Cnom.
Premier étage de la fusée contestataire : une « grève intersyndicale illimitée » à partir du lundi 28 avril. Deuxième étage : une manifestation nationale, le lendemain, pour « défendre les patients, la profession et protéger le système de santé » à Paris, Lyon, Clermont-Ferrand, Bordeaux, Marseille, Nice, Montpellier, Lille, Rennes, Brest, Nantes, Dijon, Besançon et Strasbourg. Pour financer le mouvement sur la durée, les carabins de l’Anemf ont créé une cagnotte sur le site HelloAsso dont le lien est relayé par les différentes centrales syndicales à leurs ouailles.
Dies irae
Chacun resserre d’autant plus les rangs que la menace sur la liberté d’installation des médecins, qui n’a jamais été aussi réelle, n’est pas la seule qui plane au-dessus de la tête des praticiens. L’article 4 de la PPL Garot (pas encore examiné) est l’autre chiffon rouge pour la profession. La mesure prévoit d’obliger « les seuls médecins libéraux à une obligation individuelle de garde ». Un non-sens pour le corps médical qui rappelle à cor et à cri que « 97 % du territoire est déjà couvert » les week-ends et jours fériés. Aussi urticante que l’article 1, cette mesure coercitive a enclenché l’annonce d’une grève illimitée (toujours à partir du 28 avril) de la permanence des soins ambulatoire (mais aussi dans les cliniques, où exercent à 90 % des médecins libéraux) ainsi que la cessation de la participation à la régulation dans les services d’accès aux soins (SAS).
Concomitance, cet appel à la grève précédera de seulement quelques jours un appel similaire à l’hôpital public, où les praticiens ont annoncé une grève illimitée de la PDS à partir du 1er mai pour obtenir la revalorisation de leurs astreintes. Toujours dans les structures publiques, les praticiens à diplôme étranger hors Union européenne (Padhue), essentiels dans les petits hôpitaux, seront dans la rue le 30 avril à l’appel de l’Ipadecc et avec le soutien de SOS Padhue pour réclamer des avancées sur leur régularisation. Dies irae…
Foire aux contre-propositions
Face au risque de coalition des colères, Yannick Neuder reçoit depuis des semaines à tour de bras. Le ministre de la Santé, qui a publiquement (contrairement à François Bayrou) indiqué n’être pas favorable à une régulation à l’installation, a demandé aux libéraux de lui soumettre des contre-propositions. « S’il est une chose utile qu’aura réussie le député Garot, c’est bien d’avoir forgé l’unité de la profession », confie au Quotidien le Dr Éric Blondet, patron de la conférence nationale des URPS-Médecins libéraux au sortir d’une réunion avec le ministère.
Plutôt que de se voir imposer des directives que tous estiment mortifères pour la médecine libérale, les syndicats rivalisent donc de contre-propositions pour tenter d’infléchir le plan anti-déserts du gouvernement. « Postes de consultations avancées, cabinets secondaires… il nous faut des structures de pilotage agiles pour répondre aux difficultés d’accès aux soins, pas de la coercition, mais une ingénierie d’aménagement du territoire qui respecte le terrain », estime le Dr Blondet.
Son de cloche à peu près identique à la CSMF, qui présentait ce mercredi 23 avril un arsenal d’une vingtaine de mesures. Au menu, entre autres : « universitarisation » de l’internat (meilleur maillage dans la répartition des stages en ville), création d’un statut d’assistant territorial et meilleur accompagnement des médecins qui souhaitent se regrouper en maison de santé. De leur côté, les syndicats de jeunes médecins sont allés jusqu’à dégainer leur propre contre-proposition de loi, dans les règles de l’art. Dans la lutte contre les déserts médicaux, « ce dont a besoin la jeunesse médicale aujourd’hui, c’est d’aides pour s’installer, pas de coercition », affirme la Dr Anna Boctor, pédiatre et cheffe de ville de Jeunes médecins. Un message que tous entendent bien transmettre haut et fort aux députés jusqu’au bout.
Des divergences sur la méthode
Si le « niet » à la proposition de loi Garot est partagé par tous les syndicats, les modalités d’action pour contester le texte (qui n’est pas encore voté) diffèrent. La grève illimitée jusqu’au retrait ? Les syndicats juniors sont pour mais les seniors y préfèrent une journée d’action unique. La fermeture de tous les cabinets de toutes les spécialités à partir du 28 avril ? La FMF a transmis un mot d’ordre de fermeture généralisé à ses adhérents, quand la CSMF et le SML se sont abstenus. Idem chez Avenir Spé-Le Bloc, où le Dr Philippe Cuq, coprésident et chirurgien vasculaire, souligne que la déprogrammation d’opérations de milliers de blocs « réclame une logistique importante ». « Nous serons en majorité avec les jeunes médecins pour manifester à leurs côtés, relativise pour sa part la Dr Agnès Giannotti (MG France). De fait, les cabinets seront clos pour ceux qui viendront rejoindre les cortèges; »
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