En dix ans, les actes de violence perpétrés à l’encontre des médecins ont plus que doublé. Triste constat que tire l’Observatoire de la sécurité des médecins qui publie, ce vendredi, les résultats de sa grande enquête annuelle. Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2014, 901 incidents ont été déclarés. Soit presque qu’autant qu’en 2013 (24 de moins).
Si les plus optimistes y verront quand même une baisse, difficile toutefois de se contenter de ce chiffre. Car, en 2004, il n’était fait état « que » de 439 agressions. Et depuis l’apparition de l’Observatoire (voir notre entretien avec le Dr Christian Bourhis) en 2003, la moyenne annuelle du nombre d’incidents se situe à 707 actes par an. Un chiffre largement dépassé l’année dernière, et ce pour la cinquième fois consécutive. Depuis 2010, le rythme des agressions oscille entre 798 actes, en 2012, et 925 en 2013, année record en la matière. Autre donnée qui se confirme d’une année sur l’autre, le profil des médecins victimes. Dans plus de six cas sur dix, c’est un généraliste. Des généralistes proportionnellement plus visés que les praticiens des autres spécialités. Et ce indépendamment de leur sexe, praticiens homme ou femme apparaissant à parts quasi égales parmi les victimes de violence
[[asset:image:5266 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":["source Cnom-infographie J-F Oisel"],"field_asset_image_description":[]}]]Des départements inégaux
D’aucune incivilité à plus d’une soixantaine d’incidents, les départements métropolitains sont très inégaux face à la violence. Une diversité de situations révélatrice, sans aucun doute, des différences de densités médicales et de population. La Creuse, le Cantal et la Nièvre comptent parmi la dizaine de départements n’ayant fait état d’aucun incident en 2014. L’on dénombre autant de territoires où seule une déclaration d’incident a été faite. Figurent, notamment, dans cette catégorie les Ardennes, le Gers ou encore le Jura… Autant de départements abritant des déserts médicaux.
En tête de classement, on retrouve les mêmes départements d’une année sur l’autre, seul l’ordre d’apparition varie légèrement. Comme en 2013, le Nord occupe la première place et, avec 63 incidents, se détache sensiblement des Bouches-du-Rhône – en deuxième position avec 41 déclarations enregistrées – et de l’Isère, troisième département où 38 déclarations de violence ont été faites par des médecins en2014.
Dans le tiercé de tête en 2013, la Seine-Saint-Denis et Paris rétrogradent, respectivement, aux 4e et 9e places totalisant chacune près d’une trentaine d’incidents. D’autres territoires, en revanche, remontent dans le palmarès, à l’image du Calvados. Alors que ce département de Basse-Normandie affichait 9 incidents au compteur en 2013, voilà que ce territoire plutôt rural semble déraper, atteignant 23 cas recensés pour l’année écoulée. Quelle que soit leur intensité. Ces changements interpellent. Et tant les diminutions que les augmentations amènent à se pencher sur les situations locales afin d’éclairer ces phénomènes.
Léger mieux dans la grande couronne de Paris ?
Mais ces variations au plan local d’une année l’autre sont-elles symptomatiques de victoire ou d’impuissance face à la violence ? Pas si sûr. Alors que le Val-de-Marne a vu son nombre d’incidents diminuer sensiblement entre 2013 et 2014, passant de 25 à 15, le Dr Bernard Le Douarin reste mesuré. Pour le président du Conseil de l’Ordre des médecins du «94 », ces chiffres doivent être interprétés « avec la plus grande prudence ». « Ça n’est pas statistiquement significatif », affirme ce médecin de Créteil. « Il y a des fluctuations spontanées », note-il, et « des facteurs de sous- ou sur-déclaration » comme en période de campagne d’information. Dans un même élan positif, le nombre d’incidents a diminué, en Seine-Saint-Denis, d’une dizaine d’actes. Pas de quoi crier victoire pour autant.
Selon le Dr Georges Siavellis, ce passage de 45 incidents en 2013 à 35 en 2014 « se commente très simplement : les médecins en ont marre d’aller au commissariat pour de petites infractions ». Ce responsable de la PDS du département sait de quoi il parle, étant à l’origine d’une grève des effecteurs et régulateurs du « 93 » il y a quatre mois pour protester contre l’indifférence des pouvoirs publics. La prudence est également de mise du côté de l’Ordre du département. Son président, le Dr Edgard Fellous met en garde : « Ces chiffres correspondent aux déclarations qu’on reçoit, c’est un constat sur lequel on n’a pas de prise ». Préférant évoquer « une stabilisation générale » plutôt que de parler de baisse, il lie cette apparente embellie « à l’accumulation des actes de prévention, des petites initiatives quotidiennes » pour éviter les vols, dégradations ou incivilités. Pour ce généraliste de Bobigny, si le « 93 » a longtemps occupé le haut du tableau, c’est en raison du travail d’information réalisé auprès des praticiens. « Beaucoup de médecins ont déclaré, d’où une phase montante, décrypte-il, mais l’augmentation s’est stabilisée ». Plus encore, il soutient qu’« aujourd’hui, il n’y a plus de particularité au niveau du département quant à la sécurité » par rapport au reste de l’Hexagone. Reste que pour Bernard Le Douarin, responsable de l’Observatoire de la sécurité des médecins pendant 4 ans, les données nationales pour 2014 « restent largement au-dessus de la moyenne ».
Même le Calvados s’interroge
Une hausse locale en trompe l’œil, révélatrice d’un statu quo. Et qui s’apparente surtout à la partie émergée d’un iceberg. C’est ainsi que le Dr Gérard Hurelle, président du Conseil de l’Ordre des médecins du Calvados, interprète les résultats de son département. « Après avoir connu un trou en 2013, on retrouve les chiffres de 2012 », analyse placidement le généraliste. Divisé par deux entre 2012 et 2013, le nombre d’incidents est en effet reparti à la hausse en 2014, passant de 9 à 23 déclarations.
Pour Gérard Hurelle, cette variation en dents de scie doit être rapprochée de l’absence, dans les fiches de déclarations, d’agressions verbales en 2013. Une absence « surprenante » à ses yeux car « depuis 2007, entre 7 et 13 agressions verbales sont déclarées chaque année ». S’il suppose que ses confrères ne sont pas toujours enclins à répertorier les injures – « sinon on n’arrêterait pas » –, il considère, en revanche, que « les agressions physiques ne sont pas sous-estimées car les médecins ne les laissent pas passer ». Fort de son expérience dans un cabinet de quatre médecins, il note que les secrétaires essuient bien souvent les premières et plus fortes insultes de patients. Et que ces derniers se présentent, leur colère un peu amoindrie, devant le médecin.
Reproche, refus, retard, rapines : c’est la règle des « 4 R » à l’origine des incidents. Ainsi s’expliquerait une très large part des actes violents. Selon un bon connaisseur du dossier, un quart des incidents serait assimilable à de la violence sociétale. En d’autres termes, le médecin est parfois attaqué comme n’importe qui, l’incident n’ayant alors pas de rapport avec un acte médical particulier. Représentant un incident sur quatre, ils sont malheureusement le lot du citoyen lambda… Mais, dans 75 % des cas, les agressions sont liées à l’acte médical. Cette année encore, un tiers des incidents est lié à un reproche relatif à la prise en charge. Les agressions liées au retard, à un temps d’attente jugé excessif représentent la même proportion. Quant au dernier tiers, il s’agit essentiellement de réactions face aux refus du praticien. Parmi ceux-ci, on note ceux liés à la prescription d’un médicament, à la délivrance d’un arrêt de travail, au non-paiement d’une consultation. Près de 7 fois sur 10, l’incident se produit au cabinet. Et plus de 5 fois sur 10, le médecin classe de lui-même l’affaire.
Actions, réactions, mais pas forcément solutions
La violence s’installe dans le paysage médical français mais ne manque pas de faire réagir. Et, sur le terrain, au sein des instances professionnelles locales, ou au niveau hexagonal, diverses actions sont entreprises pour lutter contre ces incidents. Au-delà de la déclinaison départementale du protocole national de sécurité signé en 2011 et, donc, de l’élaboration de listes de référents à joindre en cas de problème, de la mise en place de numéros de téléphone permettant de joindre les forces de sécurité directement, les initiatives ne manquent pas.
Dans le Val-de-Marne, une vingtaine de trackers sont proposés aux effecteurs mobiles dans le cadre de la permanence des soins. « Ces boîtiers de sécurité permettent d’être immédiatement repéré par le centre 15 », explique Bernard Le Douarin. Autre action entreprise dans son département : le déploiement de vigiles, entre 20 heures et minuit, devant les SAMI. Cette douzaine de maisons de garde entend précisément « permettre aux médecins d’assurer leurs obligations de PDS en toute sécurité », détaille-il.
Des solutions dont on voit poindre néanmoins les limites. Si la cellule d’urgence du «94?» a reçu « très peu d’appels », ce numéro agissant davantage comme un filet de sécurité, Bernard Le Douarin souligne, pour les boîtiers de géolocalisation, qu’« un médecin avait été tellement cogné qu’il n’a pas eu le temps de l’activer ». Il note, par ailleurs, qu’aujourd’hui « les communes se désengagent du dispositif » de SAMI. La crise y est peut-être pour quelque chose. « J’espère que ces décisions sont purement budgétaires », ajoute-il, soulignant que la surveillance de ces sites coûte environ 12 000 euros par an pour chaque municipalité. Et pointe la
contradiction entre les communes qui regrettent de ne plus avoir de praticiens mais qui, en même temps, démantèlent les solutions construites ces dernières années.
Que fait la police ?
Institutionnalisés lors de réunions en haut lieu, les relations entre les médecins et les représentants des forces de l’ordre ne sont pas toujours opérantes sur le terrain. Agressé lui-même il y a quelques mois par un patient à qui il refusait de délivrer un arrêt de travail, Georges Siavellis constate, amer, que « la police ne s’est pas déplacée alors que le commissariat est à 50 m du cabinet ». Installé depuis plus de trente ans à Noisy-le-Sec, ce généraliste regrette le manque d’échanges, sur le terrain, avec les forces de l’ordre. « Il faut être mort pour qu’ils viennent nous rendre visite », ironise-t-il car « quand il y a une agression, on nous demande si on est gravement blessé », faute de quoi la police ne vient pas.
Dans le Calvados en tout cas, on n’a pas jugé utile de mettre en place un système d’alerte. « On y a réfléchi et puis on s’est rendu compte que ça n’était pas prégnant dans notre département quand on regarde le nombre d’agressions physiques », justifie Gérard Hurelle. Chaque année, entre un et deux incidents de ce type ont lieu sur ce territoire. « Le Conseil départemental se porte partie civile chaque fois qu’un médecin se fait agresser et lui propose une aide juridique dans la procédure », complète-il. En attendant le prochain point avec les autorités locales sur l’application du protocole de sécurité dans sa région, il interviendra dans un colloque à Caen. Thème de sa communication : « Comment réagir à une agression verbale ? ».
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