Quel est le rôle du médecin généraliste dans le parcours de soins au Maroc ?
Dr Rachid Amiry : Ici, il y a deux modes d’exercice : le secteur public et le secteur privé, privilégié par les médecins. Le problème est que nous n’avons pas de carte sanitaire : chaque praticien s’installe où il veut, sans avoir de vision claire d’où sont les besoins de la population. Dans certaines régions, il n'y a vraiment aucun médecin à moins de 60 kilomètres. Et nous avons plus de spécialistes que de généralistes. Récemment cependant, le gouvernement a proposé un parcours de soins avec un passage obligatoire par le médecin généraliste avant de se rendre chez un spécialiste ou à l’hôpital. L’inscription de cette « obligation » a rendu les spécialistes mécontents, alors, finalement ce terme a été retiré. Les patients peuvent aller directement chez un spécialiste dans les régions où il n’y a pas de généraliste, mais quand il y a un généraliste, ils doivent aller chez lui en priorité. Je dirais que c’est un débat, sinon un combat ! Dans le secteur public, le passage chez le généraliste – nous l’appelons médecin du quartier – est déjà obligatoire.
La fuite des médecins marocains est-elle responsable de cette désertification médicale ?
Dr R.A. : Oui, entre autres. J’estime qu’il nous manque 10 000 médecins. Et 80 % des médecins s’installent sur l’axe Tanger-Agadir, ce qui crée, en plus, une mauvaise répartition. À vrai dire, l’Ordre des médecins n’a même pas les chiffres des médecins installés ! Cela étant dit, j’estime à 400 voire 500 médecins marocains partis à l’étranger en 2022. Il y en a d'ailleurs des milliers en France ! Aujourd’hui, nous parlons d’une « refonte de la médecine générale » au Maroc, par le biais de sa majesté le Roi Mohammed VI, car personne n’est content !
Comment est rémunéré le médecin généraliste au Maroc ?
Dr R.A. : Dans le public, les personnes démunies sont prises en charge et ne payent rien. Pour ceux qui peuvent payer le généraliste, ils versent cinq euros à l’État et dix euros pour les spécialistes. Dans le privé, les généralistes peuvent fixer le tarif qu’ils veulent, mais quand l’Assurance maladie rembourse, elle ne prend en charge que les 8 euros réglementaires fixés en 2006 par le tarif national de référence (15 pour les spécialistes).
Nous disons souvent que « les patients sont lésés »… Les consultations sont en moyenne de 15 à 20 euros. Dans les régions enclavées, plutôt autour de 10 euros. Chez les spécialistes, cette consultation est en général de 25 à 30 euros sans acte. Par exemple, si un spécialiste du public fait une échographie, il la facture de 15 à 20 euros, quand un médecin privé la fait payer de 40 à 50 euros. Pour un scanner, 150 euros dans le privé, 100 euros dans le public.
Certains médecins privés ne s’en sortent pas, alors ils font des diplômes universitaires. C’est le cas pour 80 % des généralistes, dont moi ! Je suis considéré comme un spécialiste médecine du travail. Cela fait seulement un an que l’Assurance maladie est généralisée, ainsi que les retraites pour les médecins. Mais certains vivent bien, comme moi et sans doute 70 % des médecins. Je dirais que 30 % s’en sortent et 5 % n’arrivent pas à boucler le mois.
Y a-t-il une tendance, comme en France, à s'appuyer davantage sur d'autres professions de santé pour pallier le manque de médecins ?
Dr R.A. : Nous avons très peu d’infirmiers et de paramédicaux en réalité. Ces derniers prodiguent uniquement des soins sur les consignes du médecin. Notre problème au Maroc est que les personnes vont acheter des médicaments en pharmacie sans passer par le médecin, notamment des antibiotiques, car ils se disent qu’ils « gagnent 15-20 euros » en ne payant pas de consultation.
Quid de l’exercice coordonné : est-ce une solution envisagée pour un meilleur accès aux soins ?
Dr R.A. : Dans la médecine privée, il n’y a pas de cabinet commun, ça ne marche pas. En revanche, des médecins exercent parfois dans un même immeuble. Ils ne collaborent pas, mais ils sont au même endroit. Le problème est le suivant : j’ai déjà essayé d’appeler des médecins pour me remplacer l’après-midi dans mon cabinet lorsque je suis en visite et… les patients me demandent moi et ne veulent pas voir l'autre praticien !
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