C’est depuis l’ancienne animalerie remise à neuf du vieil hôpital de Strasbourg, aujourd’hui siège de la société Hopimédical, que le lancement officiel du chantier a eu lieu le 11 septembre, auprès des médecins libéraux. Objectif : comme l’explique Claude Bronner, cheville ouvrière de l’opération, proposer aux 9 500 médecins libéraux du Grand Est la possibilité de se brancher sur un vaste réseau de télémédecine. Un dispositif, expérimenté depuis un an, entre autres par le cabinet de télémédecine d’Oberbruck installé dans une salle de la mairie. Avec deux infirmiers, quatre heures par jour, et une vingtaine de généralistes libéraux qui consultent à distance, ce cabinet a permis à la petite commune du Haut-Rhin, grâce aux téléconsultations, de répondre au sentiment de désertification médicale. Une solution innovante permise par les chariots de télémédecine d’Hopimédical qui relient les patients de la vallée d’Oberbruck à des médecins installés partout en France.
Le mot d’ordre est « organiser la proximité ». Car qui dit télémédecine ne dit pas forcément consultation à très longue distance. Claude Bronner donne deux grandes directions à suivre. La priorité donnée au médecin traitant et le recours au praticien le plus proche pour conserver une logique de proximité. Un patient ayant bénéficié un jour d’une télé-consultation doit pouvoir, s’il en éprouve le besoin ou la nécessité, rencontrer son médecin en personne au plus près. « À l’avenir, tout médecin devra partager son travail entre présentiel et télémédecine », pronostique Jacques Cinqualbre, fondateur et gérant d’Hopimédical.
Au rez-de-chaussée, une petite pièce dans laquelle ont été installés les anciens fauteuils d’un théâtre anatomique accueille le centre névralgique d’Hopimédical. C’est ici que la société forme à l’utilisation de ses appareils alors que, de l’autre côté du couloir, sont assemblés les chariots, produit phare de l’entreprise. Les mallettes, plus petites, sont assemblées à Nancy. Equipé d’un écran tactile, d’une caméra très haute définition et d’une série de capteurs biomédicaux allant des plus classiques (dermascope, otoscope et stéthoscope) jusqu’aux plus techniques (échographe et ECG) il permet la réalisation d’une consultation complète entre le médecin et son patient. Le médecin, qui apparaît à l’écran, donne ses consignes à une infirmière, présente avec le patient, qui réalise l’examen physique et manipule les capteurs du chariot. Dans son cabinet ou partout où il dispose d’une connexion haut débit, il suffit au médecin de se connecter au logiciel développé par la société avec un ordinateur doté d’une bonne caméra, d’un micro et d’un lecteur de carte CPS.
Un dispositif sophistiqué
À l’aide du matériel qui équipe l’amphithéâtre, Damien Uhlrich, ingénieur chez Hopimédical, présente toute l’étendue des fonctionnalités qu’offre le logiciel fourni avec les appareils Hopimédical. Son atout principal est la mise en réseau des différents praticiens (généralistes ou spécialistes) qui rend possible, par visioconférence et grâce aux capteurs biomédicaux, d’accélérer la prise en charge des patients par l’accès rapide et facilité à la télé-expertise. Une solution à la désertification médicale donc, mais aussi à l’engorgement des urgences et à l’accompagnement des malades. L’autre atout mis en avant se trouve dans la remodélisation du DMP (Dossier médical partagé). Celui-ci, bien qu’accessible dans sa version classique depuis le réseau, est remis en forme dans le logiciel afin de faciliter le partage des informations médicales du patient. D’un simple clic, les clichés ou vidéos enregistrés par le médecin pendant la téléconsultation peuvent être inscrits au dossier du patient et rendu accessibles aux autres praticiens du réseau. Un autre volet du logiciel permet enfin de prescrire des ordonnances, des arrêts de travail ou de réaliser des feuilles de soins dans les conditions du réel.
Plus on est de médecins, mieux on soigne
Une fois relevé le défi technique, l’autre enjeu est celui du nombre. Un large réseau de praticiens connectés est en effet nécessaire pour rendre efficace un tel dispositif. Ce qui n’est pas sans poser problème parfois. « L’élément majeur du dispositif, c’est le confort des patients, mais ça les médecins ne l’ont pas encore compris », admet Claude Bronner. Or, en plus de réduire le temps de trajet nécessaire au patient pour rejoindre le médecin le plus proche, plus les médecins seront nombreux à intégrer le réseau, plus le parcours de soins sera rendu efficace. Malheureusement, ceux-ci ne se laissent pas convaincre si facilement. À Oberbruck, certains généralistes parmi les plus proches n’ont pas souhaité rejoindre le dispositif, par méfiance, d’une part, mais aussi « parce qu’ils n’ont pas été associés suffisamment tôt », reconnaît Claude Bronner. Une situation regrettable qui a parfois mis les patients de la région en porte-à-faux. Un homme de 83 ans évoque quelques craintes à l’idée de retourner chez son médecin traitant, à 10 km de là, et redoute l’accueil qui lui sera réservé quand son médecin apprendra qu’il est allé téléconsulter.
Un virage à bien négocier
Il faut dire que le cadre législatif actuel ne facilite pas la tâche. Et c’est toute la mission que s’est fixée Claude Bronner, avec sa casquette de président d’Union Généraliste (UG) : défendre et faire valoir la télémédecine dans les négociations conventionnelles à venir. « Je veux y arriver avec, dans mes bagages, des expérimentations comme celle-ci. Aujourd’hui, on démarre avec l’association APIMA et tous les médecins qui voudront bien. Mais on le fait en accord avec l’ARS et, à terme, la gestion reviendra à l’URPS ». Malgré un avenant à la convention signé en avril 2017 qui facilitera l’usage de la télémédecine dans les Ehpad, les barrières sont encore dures à franchir. « Il faut faciliter l’usage de la télémédecine et le faire entrer dans les négociations conventionnelles dès 2018, argumente Claude Bronner. C’est un tournant délicat, à négocier avec beaucoup de précaution. » Le généraliste strasbourgeois est persuadé que l’avenir se trouve dans la télémédecine. Une vraie révolution, au même titre que l’arrivée des téléphones portables selon lui : « Dans quelques années, tous les médecins pratiqueront la télémédecine et il est essentiel que les médecins et les syndicats ne loupent pas le virage ». Grâce aux initiatives mises en place par Hopimédical, le président d’UG espère montrer l’exemple à suivre : « Dès qu’on aura réussi à montrer aux médecins ce qu’ils gagnent avec la télémédecine on aura fait un grand pas. »
Martin Dumas-Primbault, envoyé spécial à Strasbourg
2018, enfin l’année de la télémédecine ?
Cette fois-ci tous les acteurs semblent prêts à passer à la vitesse supérieure. En juin dernier, lors du Congrès de la FMF, Nicolas Revel, directeur général de la Cnamts, annonçait vouloir « franchir un cap, dès 2018 » et ouvrir de « nouvelles discussions avec les professionnels de santé ».
Car, pour l’instant, les médecins n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent hormis l’avenant sur la télémédecine en Ehpad signé en mars dernier. Pour les personnes en Ehpad, il introduit un acte de téléconsultation facturé à hauteur d’une consultation C ou CS et un acte de télé-expertise en cas de changement de médecin traitant, valorisé 15 euros pour les deux médecins. Hormis cet avenant, les expérimentations dans neuf régions pilotes prévues dans le PLFSS 2014 ont mis trop longtemps à se mettre en place. « Les expérimentations suivies de décrets ou d’arrêtés, qui font que les choses démarrent au bout de trois ans, n’ont pas l’efficacité souhaitable », a ainsi reconnu Nicolas Revel avant l’été.
Vitesse supérieure
Pour le directeur général de la Cnamts, il est donc grand temps de passer à la vitesse supérieure et ce dès le prochain PLFSS qui doit être présenté fin septembre. « La télémédecine se déploie lentement et faiblement sous un cadre expérimental qui, à mon sens, ne correspond plus à l’attente et à la maturité de ce sujet », a encore souligné Nicolas Revel il y a une semaine lors du Congrès du SML. « C’est un enjeu très important à la fois pour la modernisation technologique et pour l’accès aux soins sur les territoires. J’attends du PLFSS 2018 que nous puissions être autorisés à ouvrir une négociation sur la télémédecine, pour pouvoir l’inscrire dans une forme de droit commun de la tarification au moins pour la téléconsultation et la télé-expertise. Je mets peut-être de côté la télésurveillance du patient qui me semble encore devoir donner lieu à quelques expérimentations. »
La tarification comme préalable
Il y a bon espoir que les vœux de Nicolas Revel soient entendus puisque, sans donner plus de détails, Agnès Buzyn apparaît sur la même longueur d’onde sur le sujet. Lors de la présentation des axes de sa « stratégie nationale de santé », la ministre de la Santé s’est fait fort de créer « les conditions pour que la télémédecine puisse enfin tenir ses promesses ». Un défi pas seulement technologique. Pour les différents acteurs, la question de la tarification est un préalable. Comme le résume Olivier Véran, député et futur rapporteur du PLFSS, « la seule innovation en matière de télémédecine aujourd’hui, c’est de la financer ». Car, pour certains généralistes, la télémédecine est d’ores et déjà une réalité et ils attendent désormais d’avoir les moyens d’embarquer encore plus de confrères dans leur sillage.
Amandine Le Blanc
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