Pour la HAS, l’affaire est entendue. Une trentaine de LAP certifiés. Les deux tiers des médecins ayant touché le ROSP équipés. Mais sur le terrain, le changement des habitudes s’est fait souvent dans la douleur. Retour d’expériences d’une vingtaine d’utilisateurs. Dont certains à bout de clics.
Pour faire gagner 50 points soit 350 euros de rémunération à leurs clients, dès 2013 sur l’année 2012, nombre d’éditeurs ont fait du forcing puisqu’il fallait déposer sa demande avant mars et être certifié avant le 31 décembre… Et commencer à déployer (tous ne l’ont pas fait). Même en changeant de matériel, les versions n’étaient pas toujours entièrement finalisées et les bugs ont été nombreux avec des plantages au moment de la sécurisation de la fameuse nouvelle prescription, essentiellement avec Vidal Expert qui changeait de technologie (voir encadré) !
Nous avons interrogé au téléphone une vingtaine de médecins, équipés de logiciels différents qui ont trouvé un peu de temps pour faire partager à leurs confrères leurs expériences bonnes ou mauvaises. À deux exceptions près, ils avaient tous touché les 350 euros du LAP certifié en 2013. L’échantillon est d’autant moins représentatif que n’y figure aucune femme utilisatrice.
C’EST PLUS LONG MAIS ON GAGNE EN SÉCURITÉ
Parmi les esprits positifs, le Dr Jean-Noël Gradeler, 46 ans, généraliste en cabinet de groupe en Moselle et lui-même formateur en informatique de ses confrères. Il avait déjà l’habitude de tenir un dossier structuré et de sécuriser ses ordonnances avec BCB dans Medistory. « Il faut être encore plus rigoureux dans le remplissage du dossier et ne pas oublier le sexe, le poids, la taille, la créatinine, sous peine de déclencher des alertes de rappel. » Avec la certification tout le processus a été un peu ralenti, la saisie de l’ordonnance est plus complexe, médicament par médicament, et il n’y a plus le raccourci clavier habituel pour imprimer l’ordonnance. « Les codes couleurs avec de petites icônes sont bien visibles et ça reste rouge tant que l’analyse n’est pas faite. Cela m’oblige à vérifier avant d’imprimer. On gagne en sécurité. Donc je trouve ça bien car on n’est pas à l’abri d’une erreur. L’autre jour j’ai failli prescrire de la pénicilline à une patiente allergique parce que j’étais passé un peu vite… »
Abonné à BCB, le Dr Jean-Pierre Durand, généraliste en milieu rural, 66 ans, utilisateur de Mediclick, a toujours réglé le niveau d’alertes au maximum. « Je trouve ça sécurisant. Cela m’amène à réfléchir à la prescription. Il est vrai que je n’ai jamais considéré que l’informatique faisait gagner du temps mais représentait un gain de qualité. » Il a juste supprimé l’alerte avant impression et la prescription en DC dont il ne se sert pas.
Au début ça sonnait de partout
C’était l’une des craintes des éditeurs et même des responsables de la HAS. Certains médecins ont croulé sous les alertes surtout avec les premières versions des logiciels certifiés.
Le Dr Pierre Pienek, équipé avec Axisanté 5 pour lequel il est bétatesteur, s’en souvient encore. « Juste avant l’été, les premières versions nous ont assommés d’interactions. Il suffisait de prescrire trois médicaments et tous les boutons passaient au rouge avec des interactions saugrenues. » Impression totalement confirmée par le Dr Bruno Debreu, généraliste dans le Nord, également bétatesteur Axisanté 5 : « Ça sonnait de partout de façon cohérente et non cohérente. Une application trop informatique de la demande de la HAS, avec le risque de considérer les alertes comme on le fait avec les spams des mails. » Actuellement il est satisfait même si « c’est toujours perfectible ». L’essentiel est là et l’information s’est peu à peu précisée. Il y a de nouvelles habitudes à prendre. « L’outil exige que le dossier soit le mieux rempli possible. » Il faut bien préciser la durée du traitement et les antécédents, les prescriptions « à prendre si douleur » vont rester dans le traitement de fond, par exemple, si l’on n’y prend garde. Il faut bien régler la posologie. « Mais sincèrement, ce n’est pas l’évolution du logiciel qui m’a donné le plus de satisfaction, je continue à lire les monographies », avoue ce féru d’informatique qui pense avoir fait le bon choix avec Axisanté 5. La diffusion de la nouvelle version certifiée d’Axisanté 5 s’est faite progressivement.
Ce qui n’a pas été le cas chez Hellodoc où la version 5.60 était en téléchargement fin 2012. Nombre d’utilisateurs l’ont téléchargée provoquant rapidement la saturation de la hotline en raison de ralentissements et de plantages. En trois mois, ils étaient 10 000. Les « patches » de correction se sont succédé à grand rythme. « C’est plus sécurisé qu’avant, reconnaît le Dr Philippe Vassant, bétatesteur et généraliste sous Hellodoc depuis 15 ans, mais la nouvelle pharmacie n’a rien à voir avec l’ancienne et faire son apprentissage en donnant sa consultation n’est pas évident pour le praticien. Le tutoriel était un peu difficile d’accès et il faut compter avec la légendaire résistance des médecins face au changement. Au début, c’était trop complet. Avec tous les détails, le logiciel de prescription ramait. On a réduit pour avoir les alertes les plus importantes. C’est modulable et réglable même si ça reste un peu plus lourd qu’avant. » Prudent, le Dr Michel Bourguignon, n’a migré sur la nouvelle version Hellodoc que début octobre car la pharmacie non certifiée marchait très bien… Un des médecins interrogés refuse de télécharger la nouvelle version stable même si son vieux Vidal Expert ne fonctionne plus. À trois mois de la retraite, il ne veut pas s’embêter avec tout ça…
LA RÉALITÉ DU TERRAINØ: À QUEL NIVEAU RÉGLER LES ALERTES ?
Il y a ceux qui gardent toutes les alertes mais aussi parfois « leur » base
« Avant, j’avais le CD Vidal et la prescription n’était pas bien intégrée dans mon précédent logiciel, ce qui fait que mes ordonnances restaient manuelles, explique le Dr Thierry Cerf, généraliste, 44 ans. Depuis mai 2012 j’utilise Med’Oc qui est certifié avec Vidal Expert. J’ai gardé tous les niveaux d’alerte du logiciel, je n’ai pas forcément le temps de tout regarder, je passe vite mais cela nous oblige à y penser. De temps en temps je vois quelque chose de bizarre alors j’ouvre l’alerte pour avoir les explications. L’accès au Vidal est rapide car il s’ouvre automatiquement au démarrage du logiciel. Les recherches dans la base sont un peu longues. Peu à peu j’ai enregistré mes posologies et pour les médicaments d’usage courant, je prescris avec ma base, ce qui va plus vite. » Équipe avec eOmédecin, le Dr Jean-François Brûlé est abonné à BCB depuis que son logiciel est certifié. « Comme c’est plus lourd et plus long à prescrire, j’ai gardé ma base pour toutes les prescriptions simples. »
Le Dr Francis Partouche, généraliste à petite couronne, bétatesteur de Crossway a préféré « garder toutes les alertes ». « Il y en a qui sont casse-pieds mais ce n’est pas une mauvaise chose. Quand vous prescrivez dans le feu de l’action vous pouvez faire des erreurs. Ça alourdit un peu mais ce n’est jamais inutile. Après 35 ans de médecine, on finit par broder… les alertes vous réveillent. » Globalement, « c’est bien fait », ajoute-t-il en déplorant que « les médecins soient hostiles à toute nouveauté ». Équipe du même logiciel, le Dr Daniel Archambaud était tellement habitué à la prescription avec BCB qu’il dit avoir vu peu de changement avec la base certifiée. « Je continue à regarder les alertes même si certaines ne sont pas utiles. »
« Il y a de bonnes idées mais la solution ne tient pas toujours compte de la réalité de la prescription des médecins, regrette le Dr Richard Sion, généraliste à Lille, équipé avec Hypermed sur Mac (bétatesteur), et à force de crier au loup, on risque de ne plus croire à l’alerte. Pour l’instant, ça a juste alourdi notre travail puisqu’avant, je sécurisais déjà ma prescription avec les alertes de la base DataSemp. On peut décocher certaines alertes. Mais il ne faut pas non plus décocher ce qui est important. »
IL Y A CEUX QUI CHERCHENT UN NIVEAU ACCEPTABLE
« Il suffit de trouver le bon niveau acceptable sous peine d’avoir une liste interminable d’alertes, dit le Dr Noël Wuithier, 62 ans, qui exerce depuis juin dans le cadre de la maison de santé pluridisciplinaire de Vic Fezensac en réseau et dossier partagé de 7 médecins et trois internes (plus infirmière et kiné) en utilisant le logiciel en ligne Chorus. Il reconnaît que les internes intègrent l’outil rapidement en deux trois jours et se sentent sécurisés pour leur prescription ; ils n’ont pas connu autre chose et ça leur va bien.
« On est obligé de supprimer les alertes intempestives de sécurisation préconisées à la virgule près, regrette le Dr Bernard Mullier (Medistory avec BCB). Il y en avait trop et j’ai fini par en désactiver. »« On peut heureusement régler le niveau. Ce n’est pas du tout ou rien », souligne le généraliste qui regrette qu’on ne puisse plus ajouter de texte libre dans les ordonnances.
« La certification HAS, c’est plus contraignant qu’autre chose, ça ralentit beaucoup mais cela nous apporte une rigueur positive, souligne le Dr Emmanuel Lefort, généraliste de 63 ans dans la Montagne Noire, qui vient de troquer son ancien logiciel pour Weda avec Vidal on line, j’ai choisi le niveau d’alerte intermédiaire. Dans le monde actuel, il faut diminuer les risques et on ne peut pas tout savoir. »
« J’ai demandé un paramétrage pour ne pas tout avoir, et ça m’arrive de les vérifier, concède le Dr Larfi, généraliste installé depuis deux ans et demi en Seine-Saint-Denis, sur Fisimed avec BCB, ça m’a évité des erreurs et j’ai gardé ma base personnelle. »
Il y a ceux qui décrochent
« J’ai désactivé le module automatique pour gagner du temps, avoue le Dr Maurice Biniasz, généraliste à Mazères (09) équipé du logiciel Weda sur Mac avec le Vidal on line, je le réactive manuellement quand j’ai un doute. Je prescris peu et toujours un peu les mêmes médicaments. Pour une rhinopharyngite, ça n’a aucun intérêt de perdre du temps avec ça. Quand je prescris une nouvelle molécule, un peu complexe, je valide et je vérifie. Sinon, je reconnais que c’est bien fait mais ça rajoute encore une couche. On voit que les grands esprits qui nous gouvernent ne sont pas sur le terrain. Je préfère donner à mes patients du temps médical que du temps de clic. »
C’est aussi contre les clics que peste le Dr Alain Guinebaud, généraliste à Cerizay (79), qui avait choisi le logiciel Medicab en 1999 parce qu’il était très simple. Abonné à Vidal Expert, il constate que la différence depuis la certification qu’il utilise depuis fin 2012, c’est qu’« on met trois plombes à faire l’ordonnance ». « Avant, on avait déjà les antécédents et les allergies intégrées et c’était beaucoup plus simple, maintenant il faut certifier qu’on a bien vérifié. Ca clignote sans arrêt ; je ne lis pas mais il faut que je clique, même pour un renouvellement d’ordonnance. J’ai fait remonter cette perte de temps à l’éditeur. »
CONTINUER À AMÉLIORER ET SE FORMER
La HAS maintient le cap. Les réunions avec les éditeurs ont commencé pour la version 2 du cahier des charges… Le Dr Jean-François Thébaut reconnaît qu’il y a encore un problème avec les alarmes. Que faut-il garder et quel type ? Il faut continuer le travail avec les éditeurs auquel on a laissé une grande liberté pour l’intégration. Il faudra une phase d’évaluation avec les éditeurs, les syndicats et l’assurance-maladie. Pour Jean François Thébaut, le fait que 80 % des généralistes (ayant touché le ROSP) impriment leur ordonnance va déjà améliorer la qualité des prescriptions avec une bonne identification des médicaments et une bonne posologie. On ne verra plus jamais un médecin qui prescrit à la main du Tardiferon à une femme enceinte et le pharmacien qui lui délivre du Tarec 80 parce qu’il a mal déchiffré l’écriture du praticien. Les interactions, c’est une grande sécurité mais le pharmacien le fait aussi. Les contre-indications et les allergies, c’est un vrai plus. L’âge et le poids sont indiqués sur l’ordonnance. Le pharmacien voit si c’est un enfant. Maintenant c’est aux professionnels de s’emparer du sujet notamment dans leur structure de formation la iatrogénie fait partie des sujets du DPC.
D’une façon générale, la migration sur les logiciels certifiés est loin d’être achevée. L’année 2014 s’annonce plus sereine. Souhaitons-le pour les utilisateurs. Car, comme le rappelle le Dr Lefort, « l’informatisation pour les médecins, c’est super. Donc quand ça plante, c’est insupportable ».
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