« Les médecins français consacrent une partie de leur activité à des tâches sans rapport avec la formation qu’ils ont reçue ». Constat établi par le Pr Yvon Berland, président de l’ONDPS (Observatoire national de la démographie des professions de santé), qui s’exprimait dans le cadre d’une rencontre organisée par le CNPS (Centre national des professions de santé) sur le thème « Transferts de tâches, les limites du possible ». Pour le Pr Berland, qui travaille sur ce dossier depuis de longues années, la réflexion axée sur les seuls médecins est dépassée : « C’est l’ensemble des professionnels de santé qui doit se concerter ».
Le problème va devenir d’autant plus crucial que les projections de l’ONDPS montrent que le nombre de médecins va baisser en France jusqu’aux années 2020-2025, pour ne revenir à son niveau actuel que vers 2030. Le transfert de tâches est donc l’une des piste pour permettre aux médecins de se consacrer à leur cur de métier en regagnant du temps médical.
Mais pour transférer des tâches, encore faut-il qu’il y ait quelqu’un en face pour les assumer. De ce point de vue, l’étude sur les pratiques à l’étranger, commandée par le CNPS au Centre de sociologie et de démographie médicales (CSDM), apporte un éclairage intéressant. On y apprend que les pays du nord de l’Europe ont une tradition de coopération entre professionnels de santé bien plus importante que dans le sud. Ces pays s’en sont donné les moyens. En Irlande, il y a 160 médecins pour 1 000 infirmiers, alors qu’en France, le ratio est de 2 500 médecins libéraux pour 1 000 infirmiers. « Il est plus facile de mettre sur pied la délégation de tâches quand les effectifs s’y prêtent », commente l’étude. Danièle Lévy, du CSDM, souligne que pour augmenter substantiellement le nombre d’infirmiers, cible potentielle de transfert de tâches, « il faudrait une décision politique. De plus, les études d’infirmier diplômé d’État sont longues, et il faudrait attendre plusieurs promotions pour faire augmenter significativement le nombre d’infirmiers. Une augmentation des effectifs ne serait notable que vers 2025 ». Pile au moment où le nombre de médecins recommencera à croître.
Métiers de santé.
Ces mêmes pays du nord ont créé des nouveaux métiers de santé dont la France pourrait s’inspirer. Les raisons invoquées pour y développer des transferts de tâches sont diverses : parer à l’escalade des dépenses de santé, éviter le gaspillage, faire face au vieillissement et au développement des maladies chroniques qui génèrent des besoins de santé supplémentaires. Le Royaume-Uni a mis en place une filière de visiteurs de santé qui se rendent au domicile des parents ayant des enfants en bas âge pour les sensibiliser à l’éducation sanitaire. En Suède, on trouve dans les pharmacies des infirmiers de soins primaires. « Si la France adoptait le modèle suédois, prévient l’étude, il y faudrait au moins 2 000 infirmiers de plus ». En Allemagne, l’acuité visuelle est toujours mesurée par un optométriste. Et aux USA, on trouve des infirmiers praticiens qui assistent les médecins sous leur autorité, sans que les économies soient toujours au rendez-vous.
En France, le rapport du Dr Michel Legmann sur la médecine libérale vient de proposer deux nouveaux métiers ou fonctions de santé : « assistant de santé » (qui pourrait gérer diverses tâches administratives et médico-sociales) et « coordonnateur d’appui » (chargé de faire le lien entre les professionnels médicaux et sociaux par exemple dans les réseaux ville/hôpital).
Mais dans notre pays, où les transferts ne sont pas monnaie courante, l’étude prévient que la démarche risque de s’avérer délicate si les changements sont imposés par une autorité centralisée.
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