Face à des taux de couverture vaccinale contre la grippe très faibles chez les professionnels de santé, la direction générale de la santé a évoqué la possibilité de passer d'une forte recommandation à une obligation. Salutaire ? Stratégique ? Contre-productif ? La question divise, même s'il y a consensus pour juger la vaccination antigrippale indispensable.
Seulement 25 à 30 % des personnels hospitaliers seraient vaccinés, selon le ministère. À l'AP-HP, Martin Hirsch déplore des taux de 25 % chez les médecins et de 10 % pour les paramédicaux. À Lyon, 38 % des personnels de l'EHPAD où 13 résidents sont décédés étaient immunisés. L'obligation vaccinale ? », comme l'a suggéré le DGS Benoît Vallet ? Le sujet sera au menu d'une réunion avec les professionnels de santé le 27 janvier, qui portera plus largement sur la vaccination, dans le sillage des recommandations du comité d'orientation de la concertation citoyenne.
La discussion avait déjà eu lieu en 2006, lorsque l'obligation avait été introduite en janvier, via la loi de finance de la sécurité Sociale, avant d'être suspendue par décret en octobre de la même année. D'un point de vue médical, les réticences qui justifient de s'en tenir à une forte recommandation, et non une obligation*, sont rappelées dans le dernier avis d'octobre 2016 du Haut conseil de la santé publique (HCSP) : Si la vaccination des soignants est susceptible de réduire la mortalité et la morbidité des personnes âgées dans les services de long séjour, de diminuer le nombre d'infections et de syndrome grippaux, les études qui démontrent ces bénéfices ont un faible niveau de preuve. L'efficacité de la vaccination est modérée. Le HCSP proposait néanmoins de rendre obligatoire la vaccination grippale en cas de pandémie ; et de revoir la recommandation forte quand des vaccins plus efficaces seront disponibles.
Ordre et Académies favorables à l'obligation
« Il faut un meilleur vaccin, mais en attendant, je crois, oui, qu'il faut en passer par l'obligation vaccinale », explique au « Quotidien » le Pr Pierre Bégué, pédiatre, ancien président de l'Académie de médecine, « sans aller jusqu'à y conditionner l'embauche » nuance-t-il. « Il est de l'ordre de la responsabilité civique, en tant que soignant, de ne pas colporter des virus, surtout lorsqu'on est en contact avec des immunodéprimés, les enfants, et les âgés », poursuit-il. « La vaccination est une obligation de protection collective et individuelle. Dans le cadre de la grippe, les professionnels de santé doivent être obligatoirement vaccinés » a déclaré le Président de l'Ordre national, le Dr Patrick Bouet.
« C'est une faute professionnelle » que de n'être pas vacciné comme soignant, tranche Liliane Grangeot-Keros, secrétaire perpétuelle adjointe de l'Académie de Pharmacie.
Obligation par défaut, ciblée ?
Moins catégorique, le Pr Alain Fischer - dont le rapport reprenait avec prudence les recommandations du HCSP - juge la question ouverte. « La vaccination des soignants contre la grippe, mais aussi la coqueluche, rougeole, la varicelle, est sur le fond indispensable. Tactiquement, l'obligation est-elle une bonne mesure ? J'hésite », admet-il. « Peut-être est-on dans la même situation que pour les vaccinations des jeunes enfants, où l'obligation semble la seule solution dans un contexte de défiance… » estime-t-il, tout en espérant que le battage médiatique actuel suscite une prise de conscience.
Au CHU de Lyon, le Pr Bruno Lina, n'a pas non plus d'avis arrêté. Il a pourtant réussi à pousser les taux de vaccination de 22 à 40 % chez les paramédicaux, et de 35 à 65 % chez le personnel médical en faisant une campagne volontariste d'information dans les services sensibles (réanimation, urgences, gériatrie, les maladies infectieuses, pneumologie, néonatalogie et gynécologie obstétrique). « L'obligation améliorera vraisemblablement la couverture vaccinale des soignants, mais cela ouvrira la porte à des discussions sans fin autour de la vaccination. Peut-être que l'obligation vaccinale serait pertinente si elle ne ciblait que les services sensibles », avance-t-il. Une méthode que le Pr Fischer juge, lui, trop compliquée.
Jeux de confiance
La mise au point d'un vaccin plus efficace et moins contraignant est un préalable à toute obligation, estime de son côté Jacques Trévidic, président de la Confédération des praticiens hospitaliers (CPH). Une précaution que le Dr Max-André Doppia, à la tête d'Avenir Hospitalier, juge quelque peu hors de propos. « Je n'ai pas d'expertise en vaccination, je dois faire confiance aux experts de santé publique ; en tant qu'acteur du systême de soin, j'estime que je dois accepter certaines contraintes, au nom de la responsabilité collective ».
À rebours, le Dr Jérôme Marty de l'UFML se place en chantre de la liberté individuelle et réclame que les autorités - responsables depuis H1N1 de la défiance des Français selon lui - fassent confiance aux médecins pour suivre les bonnes pratiques, sans coercition. « Une information honnête doit suffire ».
« Il vaudrait mieux démarrer par une discussion, entre professionnels de l'accompagnement, au sein de chaque établissement, et faire de cette question un impératif professionnel », tempère le Dr Claude Leicher, qui préfère l'affichage des taux de vaccinations des établissements ou à terme, l'introduction de clauses ad hoc dans les contrats de travail, à une obligation source de conflits.
L'obligation vaccinale pourrait en revanche simplifier les affaires des directeurs d'établissement. Martin Hirsch l'appliquerait « avec plaisir » ; « Ce serait beaucoup plus simple », résume Bruno Gaboriau, directeur d'Ehpad en Vendée.
*Les professionnels de santé (y compris en formation) doivent être vaccinés contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos, et la poliomyélite.
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