Forum européen de bioéthique 2020

Médecins et associations dans le débat public : du dialogue à l’affrontement ?

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Publié le 13/02/2020
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Le Forum européen de bioéthique à Strasbourg a réuni, du 3 au 8 février, spécialistes et grand public autour des grands enjeux éthiques liés à la santé et aux progrès de la médecine. La dégradation des échanges entre les médecins et la population a été discutée cette année dans un contexte où la santé est agitée par des questions de plus en plus controversées.
Les scientifiques s'alarment de la violence des réseaux sociaux

Les scientifiques s'alarment de la violence des réseaux sociaux
Crédit photo : Phanie

Ébranlé par l’émergence des réseaux sociaux, l’expert en médecine ou en santé devient-il un simple intervenant parmi d’autres, immédiatement suspecté de conflits d’intérêts ? Face à certaines associations de patients, les médecins semblent avoir de plus en de mal à se faire entendre, quand ils ne subissent pas injures et menaces en ligne, en particulier de la part d’ « anti-vaccins » et autres pourfendeurs de médicaments ou de techniques restées longtemps incontestés.

Comme l’observe le neurologue Aurélien Benoilid, beaucoup d’entre eux vivent mal l’horizontalité des débats qui a succédé à la verticalité parfois paternaliste du médecin qui sait par rapport au patient qui reçoit. Mais la mise sur un même plan de l’expert « reconnu » et de l’expert autoproclamé n’est pas pour autant gage de transparence et d’impartialité.

« Tous experts ? »

Lors d’une table ronde intitulée « Tous experts ? », plusieurs médecins et scientifiques se sont alarmés non seulement de la violence des réseaux sociaux, mais aussi de manipulations, dont certaines associations seraient parfois elles-mêmes l’objet. Les conséquences peuvent être graves pour la santé publique. Les polémiques autour de la vaccination et du dépistage du cancer du sein en sont quelques exemples, a dénoncé le Pr Israël Nisand, excédé d’être « traîné dans la boue, voire traité de violeur » chaque fois qu’il s’exprime sur certains sujets.

« Il arrive un moment où le débat dégoûte et où le dialogue cesse, et j’ai décidé de démissionner de certaines instances pour cette raison », a-t-il annoncé lors de cette table ronde. Le psychologue Philippe Breton constate, pour sa part qu’une véritable « guerre civile intellectuelle » est en train de tuer l’échange. À ses yeux, réapprendre le débat est d’autant plus urgent que la rationalité, comme la démocratie, n’est plus aujourd’hui une évidence absolue.

Jusqu'où admettre le doute ?

Faut-il pour autant faire le procès à charge de toutes les associations de patients, dont beaucoup font preuve d’un dévouement désintéressé et nécessaire ? Jusqu’où la médecine et la santé peuvent-elles admettre le doute et le scepticisme ? Il faudrait surtout s’assurer que les « nouveaux experts » télévisés ou en ligne ont un minimum de connaissances et ne soignent pas que leur propre notoriété, ont estimé les intervenants. La journaliste santé Brigitte Fanny-Cohen s’est, pour sa part, inquiétée de la vogue des « coachs santé ».

« Nous avons été formés pour soigner nos patients dans ce qui nous semble être leur intérêt », a relevé le Pr Nisand, en se demandant si les médecins, à terme, n’auront d’autre choix que celui de leur proposer des options.

Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du médecin