Dans le cadre de la réforme des retraites, le volet pénibilité comprendra pour les métiers à risque une « visite médicale obligatoire » à 61 ans auprès de la médecine du travail, rendant « possible » un départ anticipé. Cette mesure inquiète le Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST), qui estime que cette visite dévoie la médecine du travail. La Dr Isabelle Legras, secrétaire générale adjointe du syndicat, expose ses critiques et s'inquiète des effets de la réforme sur la santé des salariés.
LE QUOTIDIEN : Pourquoi considérez-vous que la future visite médicale obligatoire à 61 ans est un « détournement des missions » des professionnels de santé au travail ?
Dr ISABELLE LEGRAS : Nous avons découvert cette visite médicale dans le dossier de presse du gouvernement, mais nous n'avons pas été consultés ! Nous ne savons pas pourquoi cette visite a été instaurée. La seule chose que l’on sait, c’est qu’il y aura une visite médicale obligatoire pour les salariés qui répondent aux critères de pénibilité décrétés par la réforme. Mais ceux-ci sont restrictifs en termes de durée et de niveau d’exposition. D’autre part, un certain nombre de critères de pénibilité ne sont pas pris en compte par la réforme. Un certain nombre de salariés et de métiers ne rentreront donc pas dans le cadre de cette visite.
Sur le fond, avec cette visite médicale obligatoire, nous ne sommes plus dans la prévention, mais dans l’octroi d’une prestation. Or, notre mission, c’est d’accompagner les travailleurs tout au long de leur vie professionnelle pour faire le lien entre leurs conditions de travail et leur santé, éviter l’altération de la santé du fait du travail. On peut déterminer si le poste tenu par le salarié est nocif ou pas pour sa santé. Par contre, ce n’est pas notre mission de décider qui a droit à une retraite anticipée ou pas.
Vous estimez aussi que la réforme aggravera l’état de santé des travailleurs et les inégalités sociales…
Il ne faut pas se leurrer. Un certain nombre de salariés finissent leur carrière au chômage ou en arrêt maladie. C’est donc bien que cette retraite anticipée prenne en compte un certain nombre de critères de pénibilité. Par contre, elle laisse de côté toute une partie de la population qui n’est plus en état de travailler… Quand on arrive à 60 ans, on peut avoir eu un cancer, un accident, avoir été usé par les conditions de travail durant sa jeunesse. Aujourd’hui, la médecine de travail essaie de faire en sorte que les salariés soient maintenus en poste, en aménageant leur poste pour qu’ils puissent bénéficier d’une issue « socialement correcte ».
Avec cette réforme, les gens qui ne seront plus en état de travailler – et qui ne pourront pas partir à temps – vont se retrouver au chômage. Et le chômage ne va pas forcément se prolonger jusqu’à la retraite. Il y aura donc des conséquences sociales dramatiques. Nous savons tous que le risque de pathologies augmente quand on vieillit. Donc, si les gens arrivent encore plus abîmés à la retraite, ils auront davantage de problèmes de santé – cardiovasculaires, métaboliques, usures… L’arthrose du genou chez une personne de 62 ans qui est censée travailler « à quatre pattes » en crèche, cela va être très compliqué… Or, cela ne rentrera certainement pas dans les critères de pénibilité, sauf que ces gens-là vont être exclus du monde du travail. On en fera quoi ?
Vous ne croyez donc pas aux mesures du gouvernement sur la pénibilité ?
On ne sait toujours pas comment seront pris en compte tous les facteurs de pénibilité. Est-ce qu’il y aura des niveaux différents ? Un cumul d’heures, comme précédemment ? Qui établira ces critères ? Qui va les vérifier ? Toutes les branches professionnelles ne sont pas armées pour négocier les critères de la même façon.
Il faudra aussi tenir compte des facteurs de pénibilité officiels et de leurs limites. On parle des horaires « alternants », mais les horaires « atypiques » ne rentrent pas pour l’instant dans la pénibilité. Si on travaille le matin de bonne heure, ou tard le soir, on ne rentrera peut-être pas dans le cadre d’horaires de nuit ou alternants. Or, on sait que cela a des conséquences néfastes sur la santé.
Pour les professionnels de santé, je pense aussi que les astreintes ne seront pas considérées par cette réforme, alors qu’elles ont un impact sur le sommeil et le niveau de stress. On peut aussi se demander si les professions qui font de la manutention de personnes – infirmiers, aides-soignants, aides à domicile, etc. – rentreront dans les critères de pénibilité.
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