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Dossier

Licence de remplacement : faut-il durcir la réglementation pour les internes ?

Publié le 13/03/2021
Licence de remplacement : faut-il durcir la réglementation pour les internes ?


GARO/PHANIE

La validation du stage en autonomie supervisée (Saspas) pourrait bientôt devenir un passage obligé pour qu’un interne en médecine générale soit autorisé à remplacer. Le ministère de la Santé va être amené à trancher prochainement sur le sujet. Cette évolution, qui reculerait d’un an la possibilité de remplacer, est encouragée par les généralistes enseignants mais ne fait pas l’unanimité.

Décalera, décalera pas ? Une partie du petit monde de la médecine générale a actuellement les yeux tournés vers l’avenue Duquesne, qui doit rendre un arbitrage très attendu concernant les licences de remplacement. Actuellement délivrés aux internes qui en font la demande une fois leurs trois premiers semestres validés (dont un stage chez le praticien de niveau 1), ces sésames indispensables pour remplacer pourraient ne plus être accordés qu’après la validation du stage ambulatoire en soins primaires en autonomie supervisée (Saspas), généralement effectué au cinquième, voire au sixième semestre. La question peut paraître technique. Elle met en réalité en jeu la conception que l’on se fait de la formation des jeunes médecins.

« Il ne faut pas oublier que les internes sont avant tout des étudiants, et que le Saspas est désormais central dans notre formation, estime Anne Goulard, porte-parole de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG). Il est selon nous impensable de voir des internes mis en difficulté en remplaçant avec une formation incomplète. » Une vision diamétralement opposée à celle de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni). « Pour nous, la réalité de la vie d’un interne, que ce soit en médecine générale ou dans une autre spécialité, c’est qu’il est davantage dans la position d’un professionnel que d’un étudiant, avance son président Gaétan Casanova. Limiter les licences de remplacement, c’est donc limiter l’offre de soins dans les territoires, et c’est donc mettre en danger les patients. »

Pourquoi maintenant ?

On le voit, le débat est aussi ancien que la fameuse question qui consiste à savoir si les internes sont des médecins ou des étudiants. Mais alors, pourquoi émerge-t-il précisément maintenant ? La réponse est liée à la manière dont on peut adapter la délivrance des licences à la réforme du troisième cycle des études médicales. « Nous avons été sollicités par le ministère de la Santé sur cette question, et après avoir rencontré les doyens, les enseignants, les syndicats d’internes et de médecins, nous avons rendu un rapport fin 2019 estimant qu’on pouvait accorder les licences de remplacement une fois que la deuxième phase de l’internat, c’est-à-dire la phase d’approfondissement, était terminée », se souvient le Pr Bernard Guerrier, secrétaire général adjoint du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) qui suit justement ces questions. Et pour l’internat de médecine générale, qui n’a que deux phases, la réponse de l’Ordre a donc été d’attendre la validation du Saspas.

La logique derrière ces choix est assez simple. « Cette évolution est liée à la réforme du troisième cycle, détaille le Pr Patrice Diot, président de la conférence des doyens de faculté de médecine. La troisième phase de l’internat, à la demande des étudiants, a été conçue comme une phase de mise en autonomie progressive. Il semble évident qu’avant cette phase, ou avant le Saspas pour la médecine générale, on ne peut pas laisser des internes être en pleine et entière responsabilité auprès des malades, et à plus forte raison remplacer. » Un argument que Gaétan Casanova, de l’Isni, balaye d’un revers de main. « Nous avons consulté les assureurs, les syndicats de médecins libéraux, et tous nous ont dit qu’il n’y avait pas de surrisque avec des internes avant le Saspas ou avant la troisième phase », s’emporte-t-il.

C’est dans ce contexte de forts désaccords qu’un projet de décret sur le sujet a été soumis à concertation fin 2020. « Ce projet ne reprenait pas les conclusions de notre rapport, c’est pourquoi il y a eu un peu d’agitation », euphémise Bernard Guerrier. De fait, l’Ordre, mais aussi le Conseil national des généralistes enseignants (CNGE), la conférence des doyens, l’Isnar-IMG et bien d’autres se sont prononcés pour l’application des conclusions du rapport ordinal. L’Isni, mais aussi, entre autres, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), ont plaidé pour le maintien des règles en vigueur. Et c’est sur ce bras de fer que le cabinet du ministre de la Santé devra rendre un arbitrage tout prochainement.

Tempête dans un verre d’eau ?

Le paradoxe, cependant, c’est que pour la médecine générale du moins, les remplacements avant le Saspas pendant l’internat concernent assez peu de monde. D’après les chiffres communiqués par le Cnom, sur environ 16 000 internes en médecine générale qui ont eu des licences de remplacement entre 2010 et 2018, seuls 2 900 l’ont demandée une fois le troisième semestre validé, 4 500 après le quatrième semestre, 4 300 après le cinquième semestre, et le reste après le sixième semestre. Il faut en outre garder en tête le fait qu’une licence demandée n’est pas forcément une licence utilisée (lire témoignages).

« Les remplacements précoces pendant l’internat restent assez marginaux », estime le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, qui remarque par ailleurs que les internes qui se lancent dans le remplacement sont en général bien entourés. « La plupart le font dans le cadre de maisons de santé pluriprofessionnelles et peuvent donc appeler un confrère en cas de doute », indique-t-il. Et le responsable syndical de critiquer l’éventuel décalage de la possibilité d’obtenir la licence comme une mesure « injustifiée, qui de plus intervient au plus mauvais moment, car vu la situation de la médecine générale, ce n’est pas vraiment le moment de compliquer les possibilités de remplacement. »

Mais ce n’est pas en invoquant l’argument de la démographie médicale que la CSMF finira par convaincre Patrice Diot. « Les remplacements n’ont malheureusement jamais été une solution aux déserts médicaux, avertit le patron des doyens. Ce n’est pas dans les déserts qu’on se bouscule pour remplacer, mais plutôt au bord de la mer ou sur les pistes de ski. » Peu avare de piques acérées, Patrice Diot souligne que « si les jeunes médecins veulent s’attaquer au problème de la démographie médicale, rien ne les empêche de remplacer en zone sous-dense, une fois diplômés ». Le ton peut paraître violent. Mais il est du même ordre que celui qu’emploie l’Isni. « Les doyens, qui ne mettent pas le nez hors des CHU et qui ne sont pas au courant des réalités de l’exercice libéral, feraient mieux de s’occuper des véritables problèmes de la formation, que ce soit sur des thématiques comme le harcèlement ou encore l’accompagnement du projet des internes », réplique Gaétan Casanova.

Des propositions alternatives

Dans cette ambiance frisant parfois celle d’une cour de récréation, on trouve tout de même des propositions constructives. « On pourrait réfléchir à une forme de licence de remplacement dans le cadre d’une autonomie supervisée », avance Anne Goulard, de l’Isnar-IMG. Une sorte de statut hybride entre le stage chez le praticien et le remplacement, en quelque sorte. Gaétan Casanova, lui, fait le lien entre le sujet des licences de remplacement et celui de la recertification. « Il faudrait un référentiel de compétences, que tout le monde, interne ou non, devrait passer régulièrement, imagine-t-il. Et cela pourrait être un prérequis pour pouvoir remplacer. »

Reste qu’à plus court terme, chacun campe sur ses positions. « L’Isni n’acceptera aucune concession sur ce sujet », prévient son président. « Il faut rappeler que le remplacement pendant l’internat est dérogatoire sur le plan législatif, et qu’il s’agit d’une exception par rapport aux pratiques des autres pays européens », souligne de son côté Bernard Guerrier, du Cnom. Le tout étant de savoir si le ministère choisira de confirmer cette exception française… ou de doucement faire rentrer le pays dans le rang.

Adrien Renaud