CLASSIQUE - À Paris et à Lyon

Confrontations wagnériennes

Publié le 20/06/2011
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Crédit photo : STOFLETH

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APRÈS LE TRÈS imagé « Crépuscule » de David McVicar à Strasbourg (« le Quotidien » du 7 mars), au même moment qu’un bien ridicule « Siegfried » parisien, voici que Lyon éclipse le sinistre « Crépuscule » bastillan avec un « Tristan » d’une immense poésie réalisé par La Fura dels Baus.

Nous n’avons pas rendu-compte du « Siegfried » de l’Opéra de Paris, ayant assisté à une représentation où le héros, vocalement défaillant, était remplacé par lui-même mimant son rôle et un chanteur le chantant à l’avant-scène jardin, et où l’autre rôle majeur du Wanderer était assuré par un assistant du metteur en scène figurant le rôle, chanté par un autre chanteur du côté cour de la scène… Ce simulacre, dans la mise en scène d’un grotesque achevé de Günter Krämer, est probablement ce que l’on a vu de plus ridicule sur une scène de théâtre.

Cette « Tétralogie », sur laquelle l’Opéra de Paris fondait de grands espoirs et qui avait plutôt bien commencé, avec « l’Or du Rhin », s’est achevée avec un « Crépuscule des Dieux » dont la mise en scène a été un crescendo désespérant, jusqu’à une fin d’une terrifiante banalité. Bonnes distributions pour ces quatre journées et une seule constante, la direction très musicale de Philippe Jordan. Krämer n’a pas volé la bordée de protestations unanimes du public au rideau final.

Dans l’urgence de la nuit.

Très attendu, le « Tristan et Isolde » lyonnais réalisé par Alex Ollé, l’un des six directeurs artistiques du collectif catalan La Fura dels Baus, est certainement l’un de leurs spectacles les plus sages et poétiques. Économie de moyens avec un décor minimaliste, une belle idée par acte, et l’utilisation très discrète et justifiée de la vidéo, rien à voir avec l’envahissement de celle de Bill Viola à l’Opéra de Paris. On est évidement tenté de comparer ce spectacle à cette référence récente, au moins pour la direction d’acteurs millimétrée et qui s’apparente au travail de Peter Sellars tel que, à l’Opéra Bastille, on ne pouvait le voir que des premiers rangs du parterre. Celle d’Alex Ollé est plus fouillée, plus humaine certainement, et ne cherche pas à sortir du symbolisme profond de l’œuvre. Il joue sur du velours avec les chanteurs réunis pour ces représentations et réussit même à humaniser Clifton Forbis (Tristan), chez qui on avait jamais perçu un tel potentiel d’acteur.

Point positif majeur de ce spectacle : le facteur temps. Le chef russe Kirill Petrenko, co-artisan avec Peter Stein du remarquable cycle Tchaïkovski/Pouchkine présenté sur la même scène, a opté pour l’action, et son « Tristan » ne traîne pas. L’urgence passe dans l’action, tout se passe de nuit comme dans un songe et l’usage de la vidéo projetée sur le décor participe à cette structuration du temps.

Petrenko fait des miracles avec un Orchestre de Lyon forcement réduit. Mais n’est-ce pas l’idéal pour Tristan que de lui donner une dimension chambriste, rendant perceptible la moindre nuance et intention ? Très homogène, la distribution réserve une surprise de taille avec l’Isole de la Danoise Ann Petersen, une impressionnante prise de rôle. Voix nette et tranchante, elle a toutes les couleurs dont on rêve pour chanter le rôle en douceur et de la force à revendre. Et quelle stature de princesse ! Si Clifton Forbis se ménage au début, il recouvre puissance et clarté pour donner à l’agonie de Tristan un relief et une émotion rarement entendus. Christof Fishesser est un noble Roi Marke, dont le monologue suit une progression étonnante.

Deux rendez-vous, peut-être trois, si ce « Tristan » est repris pour la commémoration du bicentenaire de la naissance de Wagner en 2013 : le retour au rôle par Ann Petersen à l’Opéra de Cardiff en 2012, et avec Kirill Petrenko, à qui reviendra de diriger à Bayreuth le prochain « Ring » de 2013, et à l’Opéra de Munich, dont il prendra la même année la direction musicale.

> OLIVIER BRUNEL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8985