Garnier, Goldoni, Marivaux, Strindberg

Des classiques revisités

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Publié le 21/11/2019

« Hippolyte » par Christian Schiaretti, « La Double Inconstance » par Galin Stoev, « Une des dernières soirées de carnaval » par Clément Hervieu-Léger, « Mademoiselle Julie » par Élisabeth Chailloux : à Villeurbanne, Toulouse ou Paris, révisons nos classiques.

« Hippolyte »

« Hippolyte »
Crédit photo : MICHEL CAVALCA

Christian Schiaretti, artiste audacieux, quittera la direction du Théâtre national populaire (TNP) de Villeurbanne (1  dans quelques mois. Metteur en scène puissant, il monte deux chefs-d’œuvre du patrimoine français. Une pièce que l’on a vue une seule fois représentée, il y a plus de trente ans, par Antoine Vitez, « Hippolyte » de Robert Garnier (1573), et une pièce que l’on ne cesse de retrouver, « Phèdre » de Jean Racine (1677).

Nous n’avons vu que la première pour le moment. Un choix magnifique et un dessein remarquable. Un grand plateau nu, un fond sur lequel on distingue des silhouettes ou des paysages, de la musique en direct avec interprètes et chœur intégrés à la représentation, et huit comédiens principaux, impressionnants et beaux dans des costumes de Mathieu Trappler. La pièce est marquée par le temps des guerres de religion. La langue est un peu archaïque, évidemment, un peu rugueuse, mais on la comprend parfaitement et l’on est fasciné par la force de l’ouvrage, servi par un trio que l’on retrouvera dans « Phèdre » : Francine Bergé, Oenone, Marc Zinga, Hippolyte, Louise Chevillotte, Phèdre, jeune et merveilleusement sensible. Un immense travail que l’on aimerait voir repris longuement, ici et là.

Passons au délicieux XVIIIe siècle de Marivaux, qui compose en 1724 « la Double Inconstance ». Au Théâtre de la Cité-Toulouse (2), Galin Stoev, qui s’était fait particulièrement remarquer par sa mise en scène heureuse des « Jeux de l’amour et du hasard », avec la troupe de la Comédie-Française, il y a près de dix ans, choisit de donner à l'intrigue des couleurs de conte cruel à moirures sadiennes. Les amoureux que l’on va manipuler, Arlequin et Silvia, évoluent dans un espace central fermé, avec parois sans tain, tandis que des écrans de contrôle suivent leurs moindres gestes…

C’est très bien joué par Mélodie Richard et Thibault Vinçon, Clémentine Verdier, entre autres, et les jeunes Maud Gripon et Thibaut Prigent. La pièce est électrisante mais durcie par ce traitement.

Brillante soirée

Toujours au XVIIIe, à Venise, Goldoni compose « Une des dernières soirées de carnaval ». Dans la traduction fluide et fruitée de la regrettée Myriam Tanant et de Jean-Claude Penchenat, qui l’avait mise en scène, Clément Hervieu-Léger dirige aux Bouffes du Nord une troupe brillante et signe un spectacle accompli.

Très excellente distribution, lumières subtiles, costumes très élégants dans un espace dégagé, personnages savoureux très bien défendus par des comédiens, musiciens, chanteurs, dont chacun mérite louange. À voir absolument !

En 1889 paraît « Mademoiselle Julie ». Une pièce de Strindberg sans cesse reprise mais qui séduit toujours metteurs en scène et interprètes. Au Théâtre de la Tempête (4) Élisabeth Chailloux n’a pas forcément raison de ne voir en Jean qu’un « valet arrogant qui dans son rêve de réussite veut utiliser Julie ». Elle va chercher ses éclairages dans « King Kong Théorie » de Virginie Despentes. Strindberg n’a pas besoin de cela et les trois exceptionnels interprètes subvertissent cette grille rigide pour donner à chacun des protagonistes sa profondeur bouleversante : Pauline Huruguen, Julie, Anne Cressent, Kristin, Yannik Landrein sont aussi rigoureux qu’impressionnants.

(1) « Phèdre » du 19 au 30 novembre, intégrale « Hippolyte » et « Phèdre » les 24 novembre et 1 er décembre, tél. 04.78.03.30.00, tnp-villeurbanne.com
(2) Jusqu’au 22 novembre, puis en tournée (28 et 29 à Sète, 5et 6 décembre à Brest, etc.), tél. 05.34.45.05.05, theatre-cite.com
(3) Jusqu’au 29 novembre, puis en tournée, tél. 01.46.07.34.50, bouffesdunord.com
(4) Jusqu’au 8 décembre, tél. 01.43.28.36.36, la-tempete.fr

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du médecin