LE QUOTIDIEN - À quand remonte votre rencontre avec Jean-Pierre de Mondenard ?
ÉRIC BOYER - J’avais 14 ans. Mon père, lui-même coureur amateur, avait lu un article le concernant dans une revue sportive et avait pris conscience de son importance. Dès 1977, j’ai pu passer grâce au Dr de Mondenard une visite comme on n’en pratiquait pas à l’époque, avec ECG de repos et d’effort, et toute une batterie de conseils d’hygiène et d’alimentation. Cette éducation médicale m’a marqué profondément pendant mon parcours de minime, cadet, et junior. Elle m’a protégé. Quand en 1988, devenu professionnel dans l’équipe Z, livré à moi-même au cours d’une saison difficile, j’ai ressenti le besoin de me rapprocher de lui. Dès lors, il m’a protégé pendant toute ma carrière.
Protégé contre les tentations ?
Sans le climat de confiance qui s’était instauré entre nous, j’aurais eu beaucoup de mal à lutter. Je me souviens par exemple lui avoir donné en 1995 une ampoule d’EPO qui était sur ma table de nuit, pour lui montrer à quel point il était facile de s’en procurer.
Mais le passage à l’acte dopant restait une possibilité à chaque course ?
Quand vous finissez cinquième un Tour de France sans avoir eu recours à des produits, forcément, vous vous dites que, pour avoir des chances de victoire au Tour suivant, sur des concurrents qui ont des pratiques dopantes notoires, il faut s’aligner sur eux. La pression est à la mesure de l’enjeu, avec toutes les implications à la clé, en termes de star-système et d’argent. Pour tenir bon, il m’a fallu toute la force de conviction du Dr de Mondenard.
Et vous n’avez jamais regretté ? Vous ne vous êtes jamais dit qu’en refusant les dérives, vous aviez sacrifié votre carrière à l’éthique ?
Si c’était à refaire, je le referai sans aucune hésitation : en prenant de l’EPO ou de la testostérone, j’aurais évidemment eu un meilleur palmarès sur une année, mais je suis convaincu que je l’aurais payé très cher dans la suite de ma vie sportive et personnelle. J’aurais certainement pu avoir plus, mais au risque de tout perdre.
C’est un choix solitaire ?
Le cyclisme est un milieu fermé, où se pratiquent des petits arrangements en famille, comme on dit, un milieu secret où on n’aborde pas certains sujets et un milieu tout court, au sens où quelques parrains y font la pluie et le beau temps. En temps que coureur, j’ai bien sûr appartenu à ce milieu, mais je n’ai pas adhéré au système. Un système qui renvoie tôt ou tard les dopés à la déprime, les use et les mène inexorablement à l’errance. Comme professionnel, je n’abordais pas la question avec les autres coureurs, ils m’auraient ri au nez.
Le Dr de Mondenard n’a-t-il pas cassé la baraque et nui à la réputation du sport cycliste en multipliant les dénonciations dans les médias ?
Il a dérangé le milieu et il a eu raison de s’en prendre à des méthodes dégueulasses et ruineuses pour les coureurs. Comme pionnier médical de la lutte antidopage, il a assuré son rôle non pas dans la dénonciation, mais de protection des sportifs. Ce n’est pas lui qui a nui à l’image du cyclisme. Qui cause le plus grand tort, de celui qui commet l’acte de se doper et de faire se doper, ou celui qui dénonce de telles pratiques ?
Vous êtes depuis 2005 le manager général d’une équipe qui, avant votre arrivée, a été largement éclaboussée par le dopage ; comment pouvez-vous protéger la nouvelle génération ?
La règle, c’est que celui qui triche n’a pas sa place chez Cofidis. Je suis personnellement le garant de la santé de mes 23 coureurs. Ils sont très éduqués au danger et savent qu’ils peuvent faire une belle carrière, gagner très correctement leur vie sans toucher à leur code génétique ni passer par des artifices chimiques. Évidemment, la tentation est toujours là : quand il voit un Armstrong monter à bord de son jet privé, quand ils s’entassent dans un Airbus, avec toutes les surenchères d’ego et d’argent, l’honnêteté est un combat.
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